Le contexte :Funérailles de Xxx, jeune père de famille suicidé.
Accueil :
Nous sommes rassemblés cet après midi dans cette église de la Trinité pour accompagner Xxx dans son dernier voyage.
Avec vous, AAA, son épouse ; avec vous, BBB, CCC, DDD, ses enfants.
Accompagner un proche, un ami, avec vous tous, nombreux dans cette
église.
Notre cœur, cet après midi, est habillé d’une immense peine, d’une
immense tristesse. Parce que nous sommes faits pour la vie et non pour
la mort. Parce qu’il y a quelque chose d’absurde à ce qu’un jeune père
de famille, sportif, aimé des siens, serviable, soit retiré à notre
présence.
A la fin d’une vie, ce dont on se souvient, c’est la manière dont on a
aimé. Aujourd’hui, chacun de nous a en mémoire des images de Xxx. Des
liens qu’il a tissés avec lui.
Si nous sommes réunis dans cette église, c’est parce que Xxx était
baptisé. Nous croyons que tous ces liens d’affections qui ont été
tissés au long de notre vie ne s’arrêtent pas avec la mort.
Telle est notre foi. Une foi de vie – même au cœur du malheur. C’est ce
que nous voulons vivre au cours de cette célébration. Confier Xxx à
cette vie infinie que même la mort ne saurait éteindre.
Alors au-delà de la douleur qui nous assaille, c’est dans l’espérance que je voudrais vous accueillir dans cette église :
Que le Dieu de l’espérance vous donne la plénitude dans la foi et que le Seigneur soit toujours avec vous.
Homélie :
Lm 3, 16-26 / Ps 85 / Mt 11, 25-28
« Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau… ». Comme
il est lourd ce fardeau cet après midi, pour vous, AAA, pour vous, BBB,
CCC, DDD. Pour nous tous. Le départ d’un époux, d’un papa, d’un ami
nous rappelle tant la fragilité de notre condition humaine, impuissante
devant la mort. Les paroles de la première lecture résonnent à nos
oreilles – « j’ai oublié le bonheur ; la paix a déserté mon âme ». Nous
sommes là comme Marie au pied de la croix, « le cœur transpercé par un
glaive ».
Devant ce mystère de souffrance, la première attitude est peut-être
d’être là, tout simplement, présent et de garder le silence. Les mots
sont si pauvres pour consoler. Vous êtes nombreux cet après midi dans
cette église, tout simplement là, présents, en silence. C’est très
important.
Notre cœur est peut-être aussi habité par la colère – ou
l’incompréhension – envers Dieu. Si la foi dans laquelle Xxx a été
baptisé proclame un Dieu tout puissant ; s’il est vrai que toi,
Seigneur tu nous aimes tant, que tu aimais tant Xxx, et que tu l’aimes
toujours infiniment, pourquoi l’as-tu laissé faire ? Pourquoi ?… Cette
question de tous les temps, la Bible la connaît. Même Jésus, au moment
de mourir en croix, reprend ces paroles d’un psaume – « Mon Dieu, Mon
Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Nos « Pourquoi » font partie de la
foi, de la vie, du combat pour vivre.
Il faut accepter d’être sans réponse à ces « pourquoi ». L’auteur du
livre de Job – dans l’Ancien Testament – compare ceux qui essaient
d’expliquer la souffrance à des « plâtriers de mensonge » ! Le Dieu que
la Bible nous révèle n’explique pas la souffrance. Mais il vient la
porter avec nous – c’est Jésus sur la croix.
Nous sommes peut-être révoltés contre Dieu. Notre colère, aussi, t’est
adressée, Xxx – Ce n’est pas ‘ne pas t’aimer’ que de te le dire. C’est
ce que nous ressentons. Nous n’approuvons pas ton geste. Pourquoi as-tu
fait cela ? Pourquoi as-tu fait cela aux tiens ? Comment n’as-tu pas
eu la force d’appeler lorsque tu étais perdu ? Tu as perdu pied…
et nous sommes confrontés à ce mystère, le secret infini de ta personne
– et de ta liberté.
Au début de cette célébration, nous avons évoqué ces randonnées en VTT
que tu aimais tant faire avec BBB ou CCCr. Voilà une bien belle image
pour évoquer le parcours d’une vie – de ta vie – avec ses lignes
droites et ses sentiers escarpés ; ses plaines monotones et ses reliefs
accidentés ; ses raidillons à gravir et ses pentes à dévaler. Lorsque
la nuit – ou le brouillard ou la neige – viennent, il arrive que le
randonneur se perde. Survient alors la tentation de tout laisser
tomber. C’est cette tentation qui t’a assailli, Xxx. Tu te sentais
perdu, dans le noir, sans appui et tu as déclaré forfait. Nous aurions
tant aimé que tu appelles à l’aide.
Quelles sont ces conditions extérieures – la nuit, le froid, le
brouillard – qui caractérisent notre monde et ont rendu ta randonnée si
éprouvante ? Peut-être de croire que le bonheur de l’homme est
tributaire de la perfection de sa vie – cette perfection étant comprise
comme celle d’une vie sans défaut, marquée par l’excellence. C’est
l’une des grandes misères de notre monde. Faire croire que pour
exister, pour être aimé, il faut sans cesse tenir son rang, être fort –
et dissimuler ses faiblesses.
Mais cette perfection est-elle bien le chemin du bonheur ?
Hier, nous avons célébré la Toussaint. Nous avons évoqué les Saints.
L’Eglise nous les présente comme des modèles de vie pour être heureux.
Nous avons lu l’évangile des béatitudes – il commence ainsi : « heureux
les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux ». Oui. Les saints
nous font comprendre que le bonheur est associé à l’acceptation de
notre pauvreté – « ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as
révélé aux touts petits ». Accepter d’être un mendiant des autres et de
Dieu.
Notre monde nous pousse à un rêve – celui d’être des héros aux yeux des
autres. Mais le héros se construit par ses propres forces, à la force
de ses poignets. C’est usant. C’est minant – parce que l’on n’y
parvient jamais. Le saint, lui, accueille le don de Dieu, s’en imprègne
avant de répondre à ce don par les efforts de sa vie.
Frères et sœurs, nous sommes au pied de la croix, avec Marie, en
silence, peinés, peut-être en colère. Au pied de la croix, Marie est
restée debout. Elle espérait.
Espérer, ce n’est pas dire que tout va bien quand ça va mal. Espérer,
c’est continuer d’avancer ici bas – en acceptant d’être des pauvres,
des mendiants de Dieu. En ce jour, comment ne pas se sentir ébranlés,
pauvres, vulnérables. Mais nous ne sommes pas abandonnés. Jésus est
vivant. Il est là avec nous cet après midi et il veut emplir nos cœurs
de sa présence pour nous porter – « venez à moi vous tous qui peinez
sous le poids du fardeau et moi je vous procurerai le repos ».
Notre vocation est là. Avoir l’infini désir d’accueillir Jésus dans
notre vie. Pour participer à la construction d’un monde où chacun se
sente à sa place – accueilli pour ce qu’il est, sans jugement. Seul
Jésus, par le don de son Esprit Saint, en nous communiquant sa lumière
et sa force – dans sa parole ; dans son corps livré dans l’eucharistie
– peut nous aider à réaliser cette vocation à aimer, à servir, à
accepter d’être tout simplement soi-même ; à accepter que les autres
soient tout simplement eux-mêmes.
Dans l’évangile de Mathieu, Jésus dit à ses disciples : « soyez parfait
comme mon Père céleste est parfait ». Chez saint Luc, il y a l’exact
parallèle – un seul mot diffère. Il nous permet de comprendre ce qu’est
la perfection : « soyez miséricordieux comme mon Père céleste est
miséricordieux ».
La perfection du Père, c’est sa miséricorde. Sûrs que le Père nous
entend, demandons cette perfection – cette miséricorde – pour Xxx. Pour
chacun de nous. Pour ce monde que nous arpentons, sac au dos, jour
après jour, habités par un immense désir de bonheur. Et dans la
confiance, laissons résonner encore une fois ces paroles de la première
lecture… « voici que je rappelle en mon cœur ce qui fait mon espérance
: les bontés du Seigneur ne sont pas épuisées. Ses miséricordes ne sont
pas finies (…) sa fidélité est inlassable (…). C’est une bonne chose
que d’attendre en silence le secours du Seigneur ».
Dans le silence, viens, Seigneur, à notre secours.
Amen.
Sébastien DEGROULARD, prêtre.