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Jeudi Saint

« Faites cela en mémoire de moi »
« C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Aujourd’hui, à travers les textes que nous propose la liturgie, nous est proposé de méditer sur les deux piliers qui fondent notre identité de chrétien : Notre relation particulière à Dieu, évoquée par l’institution de l’eucharistie : « Faites cela en mémoire de moi », et notre relation aux autres, représentée par le lavement des pieds : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Dans les deux cas, il s'agit bien de faire comme Jésus, de suivre son exemple. C'est ce qu'il nous demande, c'est ce qui fera de nous des chrétiens si nous nous sentons invités à suivre ses recommandations.

Ces deux aspects indissociables de notre vie chrétienne sont à la fois notre richesse, notre force, mais trop souvent aussi, hélas, notre faiblesse, notre pauvreté. Car notre grande difficulté, individuellement et collectivement, c’est notre incapacité à parvenir à cette unité entre relation à Dieu et relation aux autres, notre tendance à opposer les deux au lieu de les unifier. De les unifier pour nous unifier.
St Paul nous rappelle dans la deuxième lecture le dernier repas du Seigneur. Ce n'est pas une simple anecdote, mais bien une recommandation : « Faites cela en mémoire de moi » dit Jésus par deux fois. Nous avons à vivre l’eucharistie comme un mémorial. Pas comme la commémoration d’un souvenir, avec la nostalgie d’un événement passé, mais comme une actualité, un événement qui se reproduit à chaque eucharistie. « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » dit le Christ Jésus. Il n'a pas dit : ceci représente ou symbolise mon corps et mon sang, mais ceci est mon corps et mon sang.
Ce corps, nous le recevons sous la forme de cette hostie, ce petit morceau de pain que nous mangeons, en venant communier lors de la célébration eucharistique. Aujourd’hui encore, nous allons le recevoir, puis nous pourrons le contempler après cette messe, pour entrer en relation avec lui dans ce dialogue de cœur à cœur au cours de ce temps d’adoration qui nous sera proposé.
Dans l'autre geste de Jésus, ce geste du lavement des pieds, c'est le contact physique du corps de Jésus avec notre propre corps qui est en jeu. Ce corps du Christ n'est pas lointain et inaccessible. Il se fait proche, tout proche, jusqu'à l'intime : c'est par ses mains qu'il nous lave, peau contre peau, dans un geste concret qu'il nous demande de perpétuer : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Lorsque nous pratiquons ce geste auprès d'un de nos frères – et il y a mille manières de la faire – nous sommes pour lui le corps du Christ, et ce frère est pour nous le corps de Christ.
En effet le corps du Christ, c’est aussi l’Eglise, comme le rappelle le Concile Vatican II dans Lumen Gentium : « Eglise, corps du Christ et temple de l’Esprit ». Or, l’Eglise, c’est qui ? C’est vous, c’est moi, c’est nous tous ! Chacun de nous est membre du corps du Christ depuis notre baptême, chacun de nous est habité par l'Esprit Saint. Il nous est donc donné de contempler le corps du Christ dans nos frères. Nous sommes invités à voir en chacun de nos frères le Christ lui-même. Particulièrement dans les plus petits, les plus pauvres. Jésus ne nous a-t-il pas dit, dans l’évangile de Matthieu au chapitre 25 : « ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » ?
Alors, pourquoi ces reproches incessants entre ceux d’entre-nous qui vivent leur foi plus volontiers dans l’intériorité de la prière, dans l’adoration du corps de Jésus dans le Saint-Sacrement, et ceux qui le reconnaissent et l'honorent dans leurs frères en souffrance ? Entre ceux qui s’agenouillent au moment de la consécration et ceux qui restent debout ? Entre ceux qui apprécient les liturgies avec un peu de latin et d'encens, et ceux qui n’y voient qu’une mise en scène inutile ? Entre ceux qui négligent la participation à la messe du dimanche mais sont investis dans le service de leurs frères démunis, et ceux qui ne sont chrétiens que le dimanche matin ? Je pourrais continuer ainsi les exemples de ces détails qui agacent, qui dérangent, mais, plus gravement, qui nous divisent et qui défigurent le Christ. En évoquant ces querelles regrettables, on pourrait se dire qu’elles sont dérisoires, sans grande importance. On pourrait même trouver nos divisions utiles : après  tout, il est sain qu’il y ait une complémentarité dans l’église, entre ceux qui prient et ceux qui agissent... Mais en réalité, c’est pour l'Eglise une grande tristesse que cette déchirure. L’unité dans l’Eglise ne se limite pas à la simple complémentarité des uns et des autres, les uns "rachetant", en quelque sorte, les carences des autres, même si cet aspect n’est pas mauvais en soi. La véritable unité, c’est celle que chacun de nous doit s’efforcer d’établir d'abord en soi-même. Nous avons besoin de cette unité qui fait de nous des priants qui n’oublions pas de nous engager au service de nos frères, et en même temps des militants de la fraternité qui n’oublions pas de nous ressourcer régulièrement auprès de Jésus Eucharistie. Les grandes figures de ces dernières décennies, les modèles universels d'humanité que sont Mère Teresa et l’abbé Pierre pour ne citer que les plus connus, mais il y en a beaucoup d’autres, ont marqué leur époque et ont pu faire ce qu’elles ont fait parce qu’elles étaient tout à la fois complètement données dans le service des pauvres, et complètement plongées dans la présence du Christ par la prière permanente et l’adoration eucharistique fréquente. Les saints sont des personnes pleinement unifiées.
Nous n'avons pas à choisir notre camp. Si nous sommes Chrétiens, c'est-à-dire membres du corps du Christ, nous devons nous interroger sans cesse sur notre façon de faire l'unité, entre nous mais aussi en nous-mêmes.

« Faites cela en mémoire de moi »
« C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » les deux sont indissociables, ils se comprennent à la lumière l'un de l'autre. La communion nous relie à la fois à Dieu et à nos frères, sinon ce n'est pas la communion.
Au terme de cette célébration, allons donc adorer le Corps du Christ qui s'offre à nos regards, puis, de retour dans nos foyers, allons l'adorer chaque jour dans les visages des plus petits et des plus pauvres qui sont nos frères.
Amen !



Daniel BICHET, diacre permanent
Gétigné, le 17 avril 2014


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