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Épiphanie

        Pendant que je lisais ce passage d’évangile, à l’instant, beaucoup d’entre-nous, j’en suis sûr, avions en tête trois personnages hauts en couleurs : richement vêtus, une couronne de roi sur la tête, l’un portant un coffret plein d’or, l’autre une urne de myrrhe, et le troisième de l’encens. L’un d’entre-eux avait la peau noire, un autre était vieux et portait une longue barbe, et le troisième, de type asiatique, marchait à côté de son chameau en le tenant par la bride. Nous connaissons même leur noms : Melchior, Gaspar, Balthazar... Nous les avons vus tous les trois s’agenouiller devant l’enfant Jésus, et ouvrir devant lui leurs présents, dans le silence et le recueillement...
        Belles images que la tradition nous a rapportée !

        En vérité, dans le texte que je viens de lire, et qui est le seul qui raconte la visite de ces voyageurs étrangers, il n’est pas question de rois, encore moins de « rois-mages », mais simplement de « mages ». On ne nous dit pas qu’ils étaient trois. Ni la couleur de leur peau, ni la longueur de leur barbe. Il est simplement écrit qu’ils venaient d’Orient. C’est tout ce que l’on sait d’eux. Mais comment s’appelaient-ils ? on ne nous le dit pas. Combien étaient-ils ? Au moins deux en tout cas, puisque c’est le pluriel qui est employé. Mais peut-être étaient-ils cinq ou six, voire une dizaine, ou plus encore, pourquoi pas ? Qui sait ? et qu’importe !

        Ces belles images qui ont traversé les siècles ne sont pas à rejeter, encore moins à interdire, au motif qu’elles auraient été inventées après la mise par écrit des évangiles. Elles nous permettent de rendre cet épisode plus concret, plus vivant, et de mieux l’inscrire dans notre mémoire. Mais ne les laissons pas, ces images, envahir notre imagination, au risque de masquer le véritable sens de cet épisode. Car si l’évangéliste a rédigé ce passage et l’a placé à cet endroit, il avait bien évidemment de bonnes raisons. Essayons de comprendre.

        On peut tout d’abord remarquer un mot qui revient souvent dans les textes d’aujourd’hui, c’est le mot « nations ». « Les nations marcheront vers ta lumière » ; « vers toi viendront les richesses des nations » dans la première lecture du prophète Isaïe ; « toutes les nations se prosterneront devant toi » avons-nous chanté dans le psaume ; « toutes les nations sont associées au même héritage » nous dit St Paul. Et puis l’évangile selon St Matthieu, qui nous décrit la réalisation de toutes ces prophéties, comme une récapitulation des écritures : les mages, venus de toutes les nations, ont marché vers sa lumière, lui apportent leurs richesses et se prosternent devant lui.

        Les nations. Ce terme très fréquent dans la Bible désigne le monde non-juif : ceux qui ne connaissent pas Dieu, ceux qui ne pratiquent pas les rites juifs, ceux qui ne partagent pas le mode de vie des Israëlites. « Les nations » désigne les pays où vivent les païens, et les païens eux-mêmes.
Pour le peuple de la Bible, les nations ne sont pas seulement des gens différents, des étrangers, des gens d’ailleurs. Ce sont souvent des adversaires, parfois des ennemis. Ce sont des gens qu’il faut en tout cas éviter de fréquenter, dont il faut se méfier, qu’on peut même haïr car ils pourraient, sait-on jamais, devenir hostiles, nous envahir, nous dominer…
        Rien de nouveau sous le soleil ! Quel regard portons-nous aujourd’hui sur les étrangers ? Et particulièrement ceux qui viennent chez nous ? Les nations, ce sont eux : ils viennent d’ailleurs, ils n’ont pas la même physionomie, ils ne portent pas les mêmes vêtements que nous ; ils ont des modes de vie différents ; ils n’ont pas la même religion, ils n’ont pas la même mentalité que nous. Et la tentation est évidemment de les considérer comme les Israëlites considéraient « les nations » : des gens qu’il faut éviter de fréquenter, dont il faut se méfier, qu’on peut même haïr car ils pourraient, sait-on jamais, devenir hostiles, nous envahir, nous dominer… L’étrange, l’étranger, l’autre, le différent, fait toujours un peu peur.

        Pourtant toute la Bible répète à longueur de pages que le salut est promis pour toutes les nations. Pas seulement pour les croyants. Si Israël est le « peuple élu », ce n’est pas pour être le chouchou de Dieu. C’est pour être le peuple chargé d’annoncer à tous les autres peuples le Salut de Dieu. C’est vrai aussi au niveau individuel : quand Dieu choisit quelqu’un, ce n’est jamais simplement pour le privilégier, le protéger. C’est toujours pour lui confier une mission, et une mission difficile et dangereuse, qui est l’annonce du salut, d’un salut proposé à tous.
        Les prophètes qui se sont succédés tout au long de l’Histoire n’ont pas cessé de le répéter, le plus souvent à contre-courant de la pensée de leur époque : le salut n’est pas un privilège pour les croyants, il est bel et bien proposé à toutes les nations.

        Encore aujourd’hui, il peut être difficile d’admettre cette universalité du Salut. Et pourtant, la visite de ces « mages venus d’orient », que nous venons de réentendre, en est une preuve de plus : Dieu vient aussi pour les étrangers, ceux qui sont d’une autre religion ou d’aucune religion.
Tout va donc se jouer dans la façon dont nous recevons cette Bonne Nouvelle du salut de Dieu. Les mages, ces étrangers, on vu, ont entendu, ont senti l’appel de Dieu, à travers un signe dans le ciel. Ils ne connaissaient pas le Dieu d’Israël, mais leur attitude d’ouverture les a mis en route. Ils ont fait ce long voyage pour répondre à cet appel, ils ont pris le risque de partir de chez eux, de sortir de leur confort et même de leurs croyances, pour aller à la rencontre de ce petit enfant, qu’ils appellent « le roi des juifs qui vient de naître », eux qui ne sont même pas juifs. Qu’avaient-ils besoin d’un tel voyage, pour adorer un roi étranger ? Ce n’était certainement pas la simple curiosité scientifique qui les a poussés. Ils étaient en recherche de bien plus qu’un petit enfant couché dans une mangeoire. Ils étaient en recherche de la Vérité. Et leur démarche, leur déplacement, les conduit jusqu’à ce Dieu qui leur était inconnu jusqu’alors.

        A l’inverse, les notables juifs, les grands prêtres et les scribes connaissent les écritures, sont capables de les interpréter. Ils savent. Ils se croient détenteurs de la vérité, et ne la recherchent donc pas. Ils apprennent aux mages le lieu de naissance de l’enfant. Mais eux-mêmes, ils ne bougent pas. Ils ne daignent pas se déplacer pour accueillir cet enfant, l’adorer pour ce qu’il est, leur Dieu et leur roi. Ils restent enfermés dans leurs certitudes, et toutes leurs connaissances ne leur servent pas à ouvrir leur cœur. Ils ne progressent pas dans leur foi ni même dans leur connaissance : pas plus savants, pas plus croyants.

        Les Mages nous révèlent donc que tous les hommes peuvent accéder à la foi en accueillant les signes qu’ils reçoivent de Dieu. Leur message, c’est que nous aussi, qui sommes croyants, il nous faut nous mettre en route quand Dieu nous fait signe. Toutes nos connaissances ne suffisent pas. Ce qui compte, c’est l’attitude dans laquelle nous sommes devant ces signes de Dieu. Sommes-nous capables de les reconnaître ? Sommes-nous prêts à nous déplacer, à quitter nos certitudes et notre confort pour aller à la rencontre de la Vérité ?

        Frères et sœurs, à l’exemple de ces Mages, demandons à Dieu de nous donner l’audace de risquer les déplacements intérieurs nécessaires pour accueillir sa Bonne Nouvelle, celle du Salut qu’il propose à tous.

Amen !

Daniel BICHET,  diacre permanent.
Clisson, 7 janvier 2018


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