TOUSSAINT
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Ap 7, 2-4.9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a

Il y a des moments, des jours où la Parole et la réalité se télescopent de plein fouet ! Comme croyant, comme père et fils que je suis, comme diacre, la foi vacille, on se sent entraîné, bousculé, asphyxié par cette collision qui dévoile des horizons inconcevables !
Quand j’ai lu cet évangile, évangile que je connais bien par ailleurs, pour préparer l’homélie, c’était le mercredi 6 octobre. La lecture s’est arrêtée juste après : « Heureux de ceux qui pleurent… car ils seront consolés… » impossible de lire la suite ! Mes yeux se sont embrumés en repensant à ce que nous avions appris la veille. Abasourdi, effaré, en colère, écrasé, sali par l’annonce et le début de la lecture du rapport de la CIASE (commission sur les abus sexuels dans l’Église). Cet évangile me renvoie brutalement le malheur, la souffrance, la douleur de toutes les victimes… pas 10, ni 20, ni 1000 mais des centaines de milliers de jeunes hommes, de jeunes femmes ; souillés, abusés, violentés, détruits physiquement et spirituellement, dont les cris et les pleurs n’ont pas été entendus. Et mes larmes coulent … comme tant d’autres personnes qui, avec moi, partagent cette profonde tristesse, ce dégoût face à l’impensable ! Mais sur qui pleurons-nous ? Sur nous-mêmes ? Sur cette Mère l’Église qui a laissé des pervers pourrir les fruits de l’amour ? Ou avec les victimes ?
Les victimes…les victimes de ces crimes sont au cœur de mes pensées et de mes prières. Mais comment dire et vivre ma compassion si ce n’est que la partager avec d’autres et prier ensemble en les confiant à Celui qui ne nous fait jamais défaut Dieu Notre père ! Ce père tendre et aimant qui, je le sais, pleure avec elles, les victimes, et avec nous. Une compassion qui se doit humble et active avec un cœur ouvert et vulnérable.
Pleurer sur l’institution ? Cette organisation qui, à cause de certaines personnes imbues et fortes de leur pouvoir, n’a pas permis ou voulu, que cessent ces crimes perpétrés par des prédateurs sexuels. Mais que sont-ils face à ces 97% de prêtres et religieux honnêtes, intègres, exemplaires et dévastés comme nous, par ce rapport ? Pleurer avec tous ceux qui, comme nous, ont cru la maison transparente, saine et sûre. Une maison qui est et restera le peuple du Dieu Amour et qui veut vivre dans la lumière de Jésus, le Christ. Prions, ensemble, l’Esprit-Saint pour nous aider à être en vérité face aux victimes et face au monde, pour continuer à dénoncer chaque abus, chaque crime pour que cette Église, la nôtre, choisisse à chaque fois le chemin de sainteté pour devenir vraiment plus sûre en brisant les branches contaminées pouvant porter de mauvais fruits.
Pleurer ensemble, sur notre douleur de voir nos sœurs et nos frères en profonde souffrance, en profonde détresse, avec souvent une vie disloquée, détraquée par le mal subi. Prions le Fils, sacrifié pour nous, pour qu’il aide chacun des membres de son corps à vivre cette vérité douloureuse et nous aide à nous relever. Que Jésus, en frère aîné, nous donne de nous ouvrir vraiment à leurs souffrances pour rester à leurs côtés, les soutenir et mieux les accompagner.
Aujourd’hui, l’Église entière doit se mobiliser pour lutter contre la pédophilie, une mobilisation d’abord personnelle et locale, en s’appuyant déjà sur quatre actions (proposition des évêques)
Se laisser interpeller pour sortir de l’indifférence et de l’oubli
Soutenir les victimes, leur entourage, par notre compassion active et se faire proche de chacun.
Partager pour informer et s’informer ensemble
Être attentif les uns aux autres avec un regard ouvert sur le plus fragile, vers l’isolé mais aussi vers ceux qui ont un pouvoir.
Je ne suis pas évêque mais personnellement, j’ajouterai : OSER. Oser intégrer cette Église, forcer la porte si besoin. Être présent, femmes et hommes, pour reconstruire sainement, participer aux discussions, aux prises de décision, rendre compte, être là au cœur… pour suivre, par exemple, les 45 propositions de la commission Sauvé.
Dans la confiance en Dieu, en Jésus son fils et en l’Esprit-Saint, demandons-leur le courage de vivre ensemble ces moments de vérité, d’agir par amour fraternel né de l’amour du Père pour, à terme, retrouver la paix du cœur. Alors…Alors seulement…
Heureux serons-nous d’agir pour la justice ! Heureux serons-nous de rester le gardien de notre sœur, de notre frère ! Heureux serons-nous d’être des doux pour nous mettre à leur service ! Heureux serons-nous d’être pauvres de cœur pour consoler par amour sans attendre en retour.
2 extraits de témoignages de victimes
Qui peut savoir le sang qui coule indéfiniment de ce coup de poignard dans un corps d’enfant ?

Je ne sais pas si j’appartiens À l’oubli ou bien à la haine
Mais à chaque heure du quotidien Mon encre sous le papier saigne.

Et de l’Apocalypse :
« Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau »

Patrick DOUEZ, diacre permanent
Toussaint 2021



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