TOUSSAINT
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Ap 7, 2-4.9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a

Comment chanter Heureux Bienheureux, comment parler de bonheur, thème central et unique de l’Évangile, alors que nous vivons avec l'atrocité, la barbarie, les massacres et le déplacement de populations entières comme à Gaza actuellement, des milliers de morts dont plus de 3000 enfants... sans aucun respect des droits humanitaires, du droit international et résolutions de l'ONU. C'est pourtant un passage des plus profonds de l’Évangile mais aussi des plus difficile à mettre en pratique. Les Béatitudes ont un caractère explosif, une nouveauté révolutionnaire. Elles ont transformé un François d'Assise et fait de sa vie un chant d'action de grâce. Des paroles qui résonnent chaque année en cette fête de TOUSSAINT(tous saint) et que nous choisissons de réentendre lors des célébrations d’adieu de nos proches : car accueillir les Béatitudes à ces moments-là n’est-ce-pas redécouvrir ce que nous ont transmis ces éclaireurs, ces témoins, ces hommes et ces femmes, connus ou inconnus, qui n'ont jamais fait parler d'eux, n'ont pas fait de bruit, parents, amis  qui ont tant compté dans nos vies, qui demeurent pour nous de vraies balises par leur manière de vivre, de poser des choix , d’être au service des autres. Ce qu’ils ont été nous construit, nous édifie. Ils nous invitent à leur emboîter le pas …ils sont les maillons de cette grande chaîne sur le chemin tracé par Jésus.

Les Béatitudes sont les 9 clés de la sainteté, 9 clés du bonheur, la réponse à la question essentielle : où se trouve le vrai bonheur, de quel bonheur s'agit-il ? Et quel chemin nous mène au bonheur ? (« il est où l'bonheur il est où...comme on le chante) ça ne tombe pas du ciel, ça ne s’invente pas. Nous le traduisons et l'exprimons souvent par des vœux: de bonheur aux jeunes mariés, d'heureux anniversaire, de bonne et heureuse année, de joyeuse retraite… mais le bonheur de sa vie ça vient d'où ?  Les Béatitudes ne sont-elles pas le portrait du Christ, pour qu'on y revienne constamment au cours de notre vie.

Des Béatitudes à contre courant du bling bling  à contre pied de ce que les gens pensent dans la vie ordinaire…: comment, en effet aujourd'hui, oser proclamer bienheureux les pauvres alors que je soutien, je m'engage et j'agis pour lutter contre la pauvreté ?Comment oser proclamer bienheureux les persécutés pour la justice, la liberté d’expression, allant jusqu’à la mort barbare ? alors que  je lutte avec tous ceux qui rêvent de paix et de liberté, comme nos amis Palestiniens, nos frères aînés dans la foi, que l'on a oubliés et qui vivent aujourd'hui une tragédie...

Et si ce récit nous provoque : parce que la joie, le bonheur nous paraissent loin de ce que nous vivons, les épreuves personnelles, familiales, le contexte économique, politique et social, le drame humanitaire au Proche-Orient, les scandales dans l’Église ne nous poussent pas à être transportés de joie… alors pour entrevoir le Royaume essayons d’écouter et de regarder celles et ceux qui ont suivi Jésus sur ce chemin du vrai bonheur.

Qu’est-ce qu’être saint alors ?   Les saints ? c’est la foule immense des hommes et des femmes qui n'ont pas laissé d'image dont nous parle Matthieu : des pauvres, des petits exploités écrasées par les charges, des gens frappés par la maladie et la pénurie, des affamés de justice et de paix depuis des décennies… Çà nous révèle que le bonheur des béatitudes est à accueillir au cœur même de nos existences et de notre monde tel qu’il est, même moche, abîmé et défiguré. Il se construit au jour le jour là où nous sommes et avec les autres : 

- le bonheur dans le couple et dans la famille se réalise et s’instaure tous les jours par le dialogue, l’échange, le partage, l’écoute, le pardon, la fidélité…- le bonheur dans une relation d’amitié se gagne par la confiance, l’acceptation de la différence et le respect de l’autre. Le bonheur dans le travail ou dans nos divers engagements sociaux se bâtit dans l’entraide, la concertation, la solidarité, la mutualisation, l’inventivité, la responsabilité...

Les Béatitudes nous proposent donc une exigence d’engagement. 

Beaucoup d’hommes et de femmes, ne se résignent pas à un monde où la richesse indécente des uns grandit sans cesse avec la misère des autres. Obstinément, ils n’acceptent pas une société où il y a des sans terre, sans travail, sans papiers, sans toit, sans voix… On les traite de naïfs ? ils sont les vrais réalistes ; on les traite de rêveurs ?  lorsqu’on rêve seul, ce n’est qu’un rêve, lorsque nous rêvons ensemble c’est le commencement de la réalité.   Notre monde a besoin de ces hommes, de ces femmes qui prônent la force des doux face à la faiblesse des violents. Notre monde a besoin d’hommes et de femmes qui offrent le pardon quand se présentent la vengeance ou la rancune. Notre monde a besoin d’hommes et de femmes qui déclarent la paix quand sévit la guerre. Notre monde a besoin d’hommes et de femmes qui, en versant des larmes croient en leur consolation. Notre monde a besoin d’hommes et de femmes qui présentent un visage transparent quand tant de compromissions le défigure 

A chacun de trouver son mode d’action concrète, y compris politique ou social, fondé sur la solidarité humaine pour un monde plus juste, plus équitable, plus pacifique, et sur une fraternité qui a son origine dans la paternité universelle de Dieu et qui nous est donné à vivre par Jésus en Église. (Dom Helder Camara).  Si donc les Béatitudes sont le portrait de Jésus, ne doivent-elles pas être aussi le programme de l’Église et de chaque chrétien que nous sommes, appelé, missionné pour servir nos frères et non les abuser, les exploiter, les humilier...  

Alors comment faire une pastorale avec les pauvres et non pas pour eux. Comment faire de nos paroisses des lieux de vie partagés avec les exclus de nos communautés : les petits enfants dont les cris nous gênent, les ados qui s'ennuient à la messe, les personnes de la rue à nos portes, les migrants, les homosexuels, les divorcés remariés… toutes celles et ceux qui dérangent par leur attitude ou leur positionnement social. Ceux-là devraient pouvoir être représentés dans nos équipes d'animation pastorale… Comment construire des liens fraternels dans notre société éclatée ? Comment faire grandir notre humanité en agissant pour répondre aux défis de notre temps ?? 

En utilisant nos talents pour construire, pour bâtir humblement, là où nous sommes, un petit bout de monde plus juste, plus vrai, plus beau… sans jamais baisser les bras... C’est ainsi que le Royaume de Dieu se bâtit : « la rencontre de nos faiblesses avec la force de Dieu ». Et si c’était ça, être un saint ?


« Heureux êtes-vous si vous vous faites serviteurs les uns des autres »



François CORBINEAU, diacre permanent
1er novembre 2023


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