10 octobre
"Laissez les enfants venir à moi"
le contexte :
"Je vous transmets l’homélie que j’ai
prononcée dans une situation un peu particulière : sur Radio Espérance
le 10/10, dans le cadre d’une neuvaine de la miséricorde, à l’occasion
du 6ème jour sur le thème « les âmes humbles et douces, les petits
enfants ». [...] homélie plus longue que d’habitude, la consigne étant
15 minutes."
Mc 10,13-16
Il arrive que Jésus se fâche. Aujourd’hui, c’est parce que ses
disciples empêchent des enfants de s’approcher de lui. Du temps de
Jésus, l’enfant, avant un certain âge, n’avait aucune reconnaissance,
aucun statut. L’enfant n’était pas encore considéré comme humanisé. Le
mot latin infans, qui donnera enfant, signifie « celui qui ne parle pas
». Ne pas parler, être infans, c’est ne pas avoir de parole reconnue.
Or l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, est un être
doté de la parole. La révélation nous dit même que Dieu crée par la
Parole, que son Verbe s’est fait chair. La parole humanise, la parole
divinise, elle nous rapproche de Dieu, par la prière et par les liens
avec nos semblables.
Et bien Jésus renverse cette posture : il humanise l’enfant de son
époque en l’accueillant, en le reconnaissant. Où en sommes-nous,
aujourd’hui, de l’humanisation des enfants ? Actuellement, selon
l’UNICEF, 48 millions d’enfants sont déracinés dans notre monde,
parfois seuls, dans l’espoir d’une vie meilleure. Ce ne sont pas
quelques enfants, mais près de 50 millions qui sont écartés de la Vie,
et par là même de la source de cette Vie qui est notre Seigneur,
incarné en Jésus-Christ qui aurait encore aujourd’hui de quoi se
fâcher. Il est facile et cynique d’écarter l’enfant, de barrer à une
âme humble et douce la voie que le Seigneur lui ouvre personnellement,
dès sa conception et tout au long de sa croissance humaine. C’est
l’œuvre de la création qui est abîmée. Or cette création, qui se
manifeste dans chaque conception, dans chaque naissance, dans
l’accompagnement de chaque croissance, cette création est sainte, parce
que d’origine divine.
Cette réalité contemporaine, sombre, pourrait nous conduire vers une
nuit dans la foi. Où es-tu Seigneur ? Que pouvons-nous faire ? De tout
temps, cette nuit dans la foi (qui n’est pas une nuit de la foi) a
habité de nombreux disciples de notre Seigneur, en particulier Sainte
Mère Térésa qui, à partir de cette nuit, a donné du fruit à l’extrême
pour sauver les corps et les âmes douces et humbles de nombreux
enfants. Le 19 septembre 1982, dans un bidonville de l’Inde, le regard
de Mère Térésa tombe sur un nourrisson dans une poubelle. On pourrait
presque entendre le Christ lui dire : « Fait venir à moi cet enfant, ne
le laisse pas dans la poubelle, car le Royaume de Dieu est à celui qui
lui ressemble ». Mère Térésa le prend, l’emmène dans l’orphelinat des
missionnaires de la Charité, puis une famille catholique française
l’adopte à l’âge de 11 mois. Aujourd’hui cet enfant porte un nom :
Emmanuel Leclercq, séminariste du diocèse d’Avignon. Il était présent,
le 4 septembre dernier, pour la canonisation de la sainte de Calcutta.
Avec bien d’autres âmes humbles et douces sauvées de périls variés,
Emmanuel peut faire siennes les paroles du Seigneur selon le prophète
Isaïe : « Jérusalem disait : ‘’Le Seigneur m’a abandonnée, mon Seigneur
m’a oubliée. Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir
de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait,
moi, le Seigneur, je ne t’oublierai pas. Car je t’ai gravée sur les
paumes de mes mains’’ » (Is 49,14-16). Quand nous devenons les bras du
Seigneur, les mains du Seigneur, comme Sainte Mère Térésa et tant
d’autres disciples, nous mettons en application l’ordre du Christ de
laisser venir à lui les âmes humbles et douces, qui attendent tout pour
grandir et advenir.
Et cela n’est pas sans effet sur nous-mêmes. En effet, dans cet épisode
de l’évangile selon St Marc, Jésus va encore plus loin pour nous donner
un enseignement. Il éclaire notre chemin vers le Royaume de son Père.
En effet, prendre soin des âmes humbles et douces ne constitue pas
seulement un acte humanisant. Cet engagement nous fait avancer, nous
aussi, vers le Royaume. Chaque enfant sauvé et accompagné fait
progresser d’un cran l’avènement du Royaume de Dieu. Avec 50 millions
d’enfants en situation de péril humanitaire, nous voyons combien est
colossale la progression du monde en direction du Royaume de Dieu.
Récemment, un humanitaire dans l’enfer d’Alep, en Syrie, a déclaré : «
pour nous, sauver une vie, c’est sauver l’humanité ».
Oui, dans cet épisode de l’évangile, ce qui est remarquable, c’est que
Jésus associe l’accueil des enfants avec l’entrée dans le Royaume de
Dieu. Les disciples ne s’attendaient sûrement pas à une telle
évocation. Quel rapport, en effet, entre l’accueil d’un enfant, et
l’entrée dans le Royaume de Dieu ?
A notre tour, mettons-nous à l’école du Christ et écoutons-le.
Avec ces mêmes disciples, un peu plus tôt, toujours dans l’Évangile de
Marc, Jésus déclare : « Le mystère du règne de Dieu vous a été donné »
(Mc 4,11). Nous pourrions penser que tout est acquis. Il suffit alors
de continuer, comme les disciples qui suivent Jésus. Et voilà que Jésus
leur déclare, à eux qui ont tout quitté pour le suivre, qu’en
repoussant des enfants, ils se ferment à eux-mêmes l’unique porte
d’entrée dans le Royaume de la Vie. Or l’avènement de ce Royaume est
imprévisible, comme l’arrivée de ces enfants devant Jésus. Pour les
disciples, les enfants qui s’approchent de Dieu, ce n’est pas
nécessaire, et ce n’est pas le bon moment. Pour Jésus, au contraire,
c’est nécessaire et c’est toujours le bon moment.
« Celui qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant, n’y
entrera pas ». Si nous sommes attentifs à cette affirmation radicale de
Jésus, il y a deux manières de la comprendre.
On peut comprendre : « accueillir le règne de Dieu comme un enfant
l’accueille ». L’Évangéliste Matthieu nous restitue une autre parole de
Jésus dans ce sens : « Si vous ne retournez pas et ne devenez pas comme
les enfants, vous n’entrerez pas dans le règne des Cieux » (Mt 18,3).
Un enfant grandit dans l’ouverture et la confiance à l’égard de ceux
qui l’entourent, que ce soit ses parents, ses éducateurs, ses amis.
Nous voyons alors combien s’avèrent dangereux, diaboliques mêmes,
certains usages liés à des moyens de communications actuels, tels
l’ivraie au milieu du bon grain. L’ivraie peut venir lacérer les âmes
humbles et douces, pour les entraîner dans une spirale de destruction
et de mort, comme avec la pornographie ou la guerre prétendue sainte.
Alors que le Seigneur a donné à chacun, dès sa naissance, un cœur voué
à rayonner d’ouverture et de confiance, pour accueillir le don de Dieu,
à commencer par le don de notre vie reçue, prémisse du Royaume. «
Accueillir le règne de Dieu comme un enfant l’accueille ».
On peut aussi comprendre : « accueillir le règne de Dieu comme on
accueille un enfant ». On n’accueille pas un objet, mais quelqu’un. Tel
est le sens du verbe accueillir. Un peu plus tôt, l’évangéliste Marc
nous rapporte que Jésus devine les pensées de ses disciples qui se
disputent pour savoir lequel parmi eux est le plus grand. Jésus leur
déclare alors que celui qui veut être premier, qu’il soit dernier.
Comme dans le texte que nous avons écouté aujourd’hui, Jésus poursuit
son enseignement de manière concrète : il prend un enfant. Il le place
au milieu de ces futurs responsables de l’Eglise, et leur dit : «
Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi
qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il
accueille, mais Celui qui m’a envoyé. » (Mc 9,37). Jésus compare ainsi
l’accueil de Dieu à l’accueil de l’être vulnérable qui demande de
l’attention pour grandir, pour advenir. Ceux qui sont les plus
vulnérables, les plus humbles, qui n’ont ni pouvoir, ni reconnaissance,
sont le chemin et le passage incontournable pour vivre en communion
avec le Seigneur.
« Devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur », déclare
Jésus dans l’évangile selon Saint Matthieu (Mt 11,29). La douceur et
l’humilité sont deux attitudes fondamentales chez le disciple qui
chemine en vérité vers le Royaume de Dieu, vers cette vie divine à
laquelle il est appelé.
Le Christ nous invite à l’école de l’humilité. Etre humble n’est pas
une marque de faiblesse, mais la reconnaissance que nous ne sommes pas
les maîtres de la Vie, une Vie reçue que nul n’a le droit de toucher,
une Vie que nous avons vocation à développer. L’humilité sera
détournée, lorsqu’on oublie les attentes du Créateur qui nous appelle à
la dignité humaine et à une Vie qui cherche son créateur.
Humble vient de humus, la terre. Comme la terre qui attend tout du
ciel, l’humble comprend que tout vient de Dieu et non point de son
propre mérite : à ce sujet, Saint Paul écrit aux Corinthiens « As-tu
quelque chose sans l’avoir reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te
vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co 4,7). L’humilité est
une vertu de la foi. Elle ne prend son sens profond qu’en Dieu.
Quant à faire preuve d’humilité à l’égard d’autres hommes, Saint Benoît
explique dans sa Règle que le 7ème degré de l’humilité « consiste non
seulement à se proclamer, par la bouche, inférieur à tous et digne
d’être placé au-dessous d’eux, mais encore à le croire par un sentiment
intime du cœur ». L’humble a conscience que chacun de ses semblables
recèle un mystère que personne ne peut connaître ni apprécier, à
l’exception de celui qui « sonde les reins et les cœurs » (Si 42, 18).
L’humble de cœur ne porte pas de jugement global sur autrui, ce qui ne
veut pas dire qu’il accepte tout ce qui vient d’autrui. L’humble peut
entrer en discussion, et il a le devoir de le faire s’il estime en
conscience qu’un différend se pose avec autrui. « Amour et vérité », la
devise de notre évêque Mgr Sylvain Bataille, exprime cette exigence de
vérité dans l’humilité. Ce dialogue peut même se déployer avec Dieu.
Abraham nous en fournit un exemple dans le livre de la Genèse (Gn 18,
27) : « Parlerai-je à mon Seigneur, moi qui ne suit que cendre et
poussière ? » dit Abraham, avant de se lancer dans la plus serrée des
discussions à propos du nombre de justes, qui peut convaincre Dieu de
ne pas détruire Sodome.
L’humilité est indissociable de la miséricorde. Être humble et
miséricordieux passe par l’amour gratuit, à l’image de l’enfant. Cette
année, l’Église nous stimule sur la miséricorde qui traverse toute la
Bible, preuve que l’on touche avec ce mot l’être même de Dieu. Car si
Dieu est don par la vie qu’il nous a donné, il est pardon par la
miséricorde qu’il nous redonne toujours et sans compter.
Pour terminer je vous transmets une belle méditation de Jean-Paul 1er,
pape pendant 33 jours en 1978 : « Personnellement, quand je parle seul
à seul avec Dieu ou avec la Vierge Marie, plus qu’un adulte, je préfère
me sentir comme un enfant. La mitre, la barrette, l’anneau
disparaissent ; j’envoie en vacances l’adulte et l’Évêque, ainsi que le
port grave, posé et pondéré, pour me laisser aller à la tendresse
spontanée de l’enfant devant son papa ou sa maman. Être – au moins
pendant quelques demi-heures – devant Dieu ce que je suis en réalité,
avec ma misère et avec le meilleur de moi-même : je laisse surgir du
fond de mon être l’enfant d’autrefois, qui veut aimer le Seigneur, et
qui sent parfois le besoin de pleurer pour que lui soit accordée la
miséricorde. Tout cela m’aide à prier. Le Rosaire, prière simple et
facile, m’aide parfois à redevenir un enfant ».
Christophe DONNET, diacre, aumônier diocésain des aveugles et mal-voyants
Paroisse St Benoît, Diocèse de Saint-Etienne
10 octobre 2016
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