Année C
Sommaire année C
retour vers l'accueil
Saint Sacrement
du Corps et du Sang du Christ

       

Frères & sœurs,

Partage

Nous fêtons ce dimanche le « Saint Sacrement », c’est ainsi que l’on appelait autrefois l’Eucharistie, le signe par excellence de l’amour de Dieu pour les hommes. Il existe une multitude de pistes pour entrer dans la compréhension de ce mystère, mais aujourd’hui – éclairé par la seconde lecture et par l’évangile que nous venons d’entendre – je me limiterai à un seul aspect : dans l’Eucharistie, il y a un signe et un appel à partager. Regardons comment l’Eucharistie est partage entre frères, et partage « pour la vie du monde ».

 A Corinthe en l'an 56

Tout d’abord dans la première Lettre aux Corinthiens : savez-vous dans quelles circonstances l’apôtre Paul a été amené à écrire ce récit de l’institution de l’Eucharistie ? Il a quitté depuis quelques années la communauté qu’il a fondée à Corinthe (ville de Grèce au nord d’Athènes) et il vient d’apprendre, par des gens qu’il a rencontrés, que tout ne va pas très bien. Des divisions sont apparues dans cette communauté mais il y a pire : lorsqu’ils se rassemblent pour célébrer l’Eucharistie, le soir, après le travail, une fois par semaine, ils commencent par un repas où chacun vient avec sa nourriture. Or, plutôt que de partager, chacun reste dans son coin, mange ce qu’il a apporté, alors qu’auparavant, du temps de Paul, on mettait tout en commun ; c’était le pique-nique fraternel. Mais maintenant, il y en a qui mangent et qui s’enivrent, tandis que les pauvres n’ont rien à manger ; il n’y a plus de partage ! Paul le leur reproche sévèrement et pour justifier ses reproches, il leur rappelle le geste du Christ, la veille de sa mort. Il a partagé, leur dit-il, non seulement du pain et du vin, mais sa propre vie. Et c’est parce que Jésus a fait ce geste primordial de partager le pain et le vin en disant : « C’est mon Corps, c’est mon Sang, c’est ma vie que je donne, pour la vie du monde », c’est parce que Jésus a partagé que nous devons partager, ou alors, restons chez nous ! Nous venons de l’entendre.

 Le jour commençait à baisser

Dans l’évangile : quand Jésus a multiplié les pains pour la foule (geste dans lequel toute la Tradition de l’Eglise a vu l’annonce de l’Eucharistie), c’est exactement la même chose. Regardons le contexte : les apôtres sont avec Jésus ; ils voudraient bien rester seuls avec lui pour discuter. Et ils trouvent comme bon prétexte que personne n’a rien à manger, qu’il faut aller dans les villages des alentours pour acheter de la nourriture. Jésus leur dit alors : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Comment faire ? Ils ont 5 pains et 2 poissons ! Mais Jésus insiste. Et à partir de ce petit apport, de ce geste de partage tout petit, tout pauvre, 5 pains et 2 poissons, Jésus va donner en surabondance la nourriture à cette foule.

Des partageux

Donc, dès le départ, rappelant ce geste de partage que Jésus a fait le premier, le soir du jeudi saint, l’Eucharistie est un appel pour tous les hommes à être des « partageux ».

Et bien, le moment est venu de nous poser la question : qu’en est-il pour chacune et chacun de nous ? La plupart du temps, nous venons à la messe du dimanche parce que nous avons envie de nous ressourcer, de nous nourrir, d’offrir notre vie ; c’est normal ! En même temps, se nourrir de la Parole de Dieu et du Corps du Christ, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant ! Comme disait Saint Augustin : « Deviens ce que tu reçois ». C’est-à-dire : assimile-toi à la vie du Christ, vie de don et de partage fraternel.

Concrètement, F&S, cela signifie deux choses : l’une à usage interne, l’autre par rapport à notre monde d’aujourd’hui.


 

Nous avons à partager entre nous, qui participons à la même Eucharistie, qui mangeons le même Corps du Christ, qui buvons à la même coupe. Partager quoi ? Ce que l’on possède : accepterions-nous qu’il y ait parmi nous de la misère, sans que personne ne s’en occupe ? Non, et les exemples de solidarité au sein de notre communauté paroissiale ne manquent pas ! Pour autant avons-nous la certitude qu’il ne subsiste pas de situation de fragilité parmi nous ?          
Alors, au-delà de nos ressources, nous sommes aussi invités à partager ce que l’on vit, c’est-à-dire à ouvrir nos oreilles, nos yeux, notre cœur, pour ne pas passer à côté de nos frères et de nos sœurs sans partager avec eux les peines, les soucis, les joies, les espoirs,… Comment ? En prenant l’habitude de s’accueillir à l’entrée de l’église, de se dire bonjour, et pas seulement de se dire bonjour, mais de se parler, de se donner des nouvelles, de se confier nos soucis, quitte à arriver quelques minutes plus tôt... Soyons également attentifs à ce que nous exprimons par notre geste et notre regard lors du partage de la paix du Christ : que ce soit un moment de partage et d’accueil profond et sincère. Toute aussi importante est la sortie de l’église, où l’on se retrouve encore, plus longuement, pour partager ensemble quelque chose de notre vie, et pourquoi pas, à l’occasion, autour du verre de l’amitié. Que la messe ne se termine pas brutalement avec l’envoi du prêtre ou du diacre : « Allez-vous-en dans la paix du Christ ! C’est fini ! » Non ! Si nous avons reçu le même Corps du Christ, c’est pour partager ensemble quelque chose : vie, joies, peines, espoirs. Que personne d’entre nous ne reste indifférent aux soucis et à la peine des frères et des sœurs... En évoquant cela, je me fais l’écho de vos expressions recueillies au travers de la démarche  synodale, où il est également suggéré de changer régulièrement de place dans l’église afin rencontrer celui ou celle que je connais moins…

Voilà pour l’usage interne. Il y a aussi l’usage externe.

J'ai pitié de cette foule

Les disciples, aujourd’hui, c’est l’Eglise, c’est chacune et chacun de nous. Des problèmes comparables à celui de l’Evangile : une foule qui a faim, un monde en souffrance, des besoins individuels à satisfaire, nous connaissons cela. Mais quels types de solutions avons-nous le plus tendance à proposer ? Des solutions de dispersions, ou des solutions de rassemblement ? Des solutions de division, ou des solutions de multiplication ? Quand on partage un gâteau, plus il y a de personnes à nourrir, plus les parts sont petites, je ne vous apprends rien ; on fait une division. Mais lorsqu’on partage le feu, la flamme à laquelle on s’est allumé garde la même taille et la même efficacité, et les flammes distribuées sont toujours aussi lumineuses, apportent la même quantité de chaleur quel que soit leur nombre ; on fait alors une multiplication. Ce n’est plus un partage d’indigence, mais un partage d’abondance. Le partage du gâteau, c’est le partage au niveau de l’humain, c’est le partage matériel. La partage du feu, c’est le partage au niveau du divin, c’est le partage spirituel, qui enrichit celui qui donne autant que celui qui reçoit ; qui n’est pas limité par la quantité de personnes ni par la grosseur des parts : donner de son temps, donner un peu d’amour autour de soi… Nous ne savons pas, nous ne pouvons pas multiplier comme Jésus les pains et les poissons... la multiplication des biens de ce monde est humainement impossible. Mais si nous avons l’humilité de tout reconnaître comme don de Dieu, alors l’évangile nous dit que l’impossible est envisageable et, comme aumônier du Secours Catholique 44 depuis 8 mois, je peux en témoigner !

Frères & sœurs, nous connaissons ce proverbe : « si tu donnes un poisson à celui qui a faim, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours. » Donner un poisson : solution de division, solution du sursis. Apprendre à pêcher, solution de multiplication, solution d’espérance.        
Alors, au moment où des choix de société nous sont proposés, prenons le temps de méditer sur notre conception de la vie fraternelle et du partage : la solidarité consiste-t-elle à diviser les biens existants, pour l’immédiat, ou bien à s’efforcer de mettre en place des solutions de multiplications, pour le long terme ? A donner du poisson, ou à apprendre à pêcher ? Nous contenterons-nous de l’humainement possible, ou bien avons-nous le désir d’aller au-delà ? Oserons-nous demander à Dieu de multiplier les ressources par nos mains ?                           Amen.


Patrick Javanaud (avec la complicité de mes frères et de l’Esprit-Saint)

18 et 19 juin 2022


Sommaire année C
retour vers l'accueil