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Jeudi Saint


« Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce » « J’élèverai la coupe du salut » disait le psaume. Pour nous, plus ou moins habitués, de dimanche en dimanche, au langage particulier de la parole de Dieu, ces mots nous sont relativement familiers. Mais que mettons-nous derrière ces mots « sacrifice » « action de grâce » « coupe du salut » ?
L’antiquité a vu éclore une multitude de religions, concrétisées par des pratiques, des rites, des sacrifices, destinés à établir une relation avec les divinités. Soit pour les amadouer, les apaiser, soit pour les remercier. Le but étant de faire en sorte de s’attirer la sympathie des puissances divines, car le sentiment qui domine alors, c’est la peur.
Peur de ces forces naturelles ou surnaturelles devant lesquelles l’homme est bien peu de choses !
La première lecture d’aujourd’hui nous livre le récit d’un tel rite, le rite de la Pâque, d’abord destiné à écarter la colère de Dieu : Seuls ceux qui auront pratiqué le rite seront épargnés. Mais tout au long de son histoire, le peuple d’Israël, tout en gardant une grande partie des gestes du rite initial, en a affiné le sens, l’a spiritualisé pour en faire non-plus un rite de peur, mais un mémorial, c’est-à-dire une évocation concrète d’un événement fondateur passé. Il s’agit, ici, de la libération du peuple de l’esclavage en Egypte. Evocation concrète, qui rappelle avec force que cette libération (ce salut) n’est pas due à un quelconque mérite de ce peuple, ou à son héroïsme, mais qu’elle est due à la volonté de Dieu et à elle seule.
Le psaume que nous avons entendu tout à l’heure nous rappelle cet attachement à reconnaître Dieu comme origine de tout bien, par cette question : « Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » et aussitôt par la réponse : « J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur, je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce » c’est-à-dire de remerciement.
Bien des siècles plus tard, c’est encore ce même rite de la Pâque que Jésus célébrera juste avant sa passion. Tout en gardant les gestes prescrits par la Tradition, il va donner à ce rituel un sens radicalement nouveau : l’agneau pascal, dont le sang versé sera la cause de la libération du peuple de Dieu, c’est Jésus lui-même. Le pain sans levain, qu’il fallait manger avec l’agneau et des herbes amères, c’est son propre corps qui se donne en nourriture. La coupe du salut contient désormais son propre sang.
Le livre de l’Exode nous commande de refaire ce geste « en mémoire du Seigneur Dieu ».
Jésus, lui, nous dit « faites ceci en mémoire de moi ». Comprenons par là que Jésus se présente comme étant lui-même Dieu. Jésus ne vient donc pas abolir l’ancienne alliance, il vient l’accomplir. C’est en Jésus lui-même que la Pâque prend un sens nouveau et universel : la libération dont il s’agit n’est plus seulement celle d’un peuple minuscule au milieu des nations, mais c’est la libération de toute l’humanité.
Le rite du repas pascal n’est pas le seul que Jésus nous demande de perpétuer : Après avoir lavé les pieds de ses amis, il dit : « vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns des autres ». Au cœur même du repas, qui est rite d’action de grâce, de remerciement adressé à Dieu, il va faire un geste qui va scandaliser ses disciples : lui, le Maître et Seigneur, il se fait l’esclave de tous. Il signifie par là que le sacrifice n’est pas total s’il n’est accompagné du don de soi au service des autres. Ces deux signes sont indissociables : le mouvement vers Dieu en action de grâce (l’eucharistie), signe de remerciement et d’humilité devant la grandeur de Dieu, et le mouvement vers les frères vers qui chaque baptisé est envoyé pour se mettre à son service. Car servir ses frères est aussi rendre un culte à Dieu.
Mais attention : il ne faudrait pas se focaliser sur l’un de ces 2 aspects. Nous l’avons dit, les 2 sont indissociables, les deux s’éclairent mutuellement. Il serait bancal, ce rituel de l’eucharistie, s’il était seulement relation entre le Christ et moi, dans mon coin, ignorant ceux qui m’entourent. Tout à l’heure nous sera proposé justement un temps d’adoration eucharistique. Occasion de redécouvrir que Dieu nous aime chacun d’une façon unique, par cette relation toute personnelle qui s’établit dans ce moment d’adoration. Relation dans laquelle la peur n’a plus de place, puisqu’il s’agit d’une relation d’amour. Mais il ne s’agit pas pour autant de s’isoler face au Christ présent dans l’hostie, comme dans un tête à tête avec « mon Jésus pour moi tout seul ». Ce temps qui nous est donné n’est pas seulement un tête à tête, un entretien sympa avec Jésus, mais aussi un cœur à cœur avec Dieu. Si mon cœur est bien sûr trop petit pour accueillir celui de Dieu en entier, le cœur de Dieu, lui, est tellement vaste qu’il contient l’humanité tout entière. Alors, si je suis vraiment en cœur à cœur avec Dieu, je reçois en mon cœur le cœur de tous mes frères et sœurs. C’est en cela que je peux dire que je suis alors en communion avec eux. Et prendre conscience de cet extraordinaire don de la présence de Dieu en moi ne peut que me porter vers mes frères pour me mettre à leur écoute, à leur service. Je ne peux pas garder ce don pour moi seul !
De même, il serait aussi bancal, ce service des frères qui ne s’appuierait pas sur l’action de grâce, sur la relation intime avec Dieu. Qui suis-je, mon Dieu, pour aider mes frères, si tu n’es pas avec moi ? C’est ici que se révèle la différence entre un Chrétien et un non-croyant. Le Chrétien n’est pas meilleur que les autres. Combien d’hommes et de femmes incroyants, si dévoués à leurs frères humains, à travers les associations caritatives, les ONG, ou à titre personnel ? Mais le Chrétien, lui, se sait envoyé par Dieu, se proclame agissant au nom de Dieu, se reconnaît de Dieu. Son action auprès de ses frères n’est pas alors simplement « de l’humanitaire », même si c’est déjà formidable. C’est beaucoup plus que cela, puisque cette action implique aussi Dieu, qui est celui qui agit à travers le serviteur. Le service des autres est, à l’image du Christ, pleinement humain et pleinement divin.
Mais comment pouvons-nous laver les pieds de nos frères, aujourd’hui ? Ce geste, s’il avait une utilité concrète du temps de Jésus, n’est bien sûr plus possible tel quel aujourd’hui. À nous d’inventer dans le concret de nos vies comment répondre aux besoins les plus simples de nos contemporains. Et quand, à notre manière, nous referons ce geste de Jésus, qui se fait serviteur des hommes et qui nous invite à faire de même, gardons-nous d’y voir seulement la dimension horizontale, humaine, fraternelle, mais soyons assez humbles pour y reconnaître aussi, avec l’aide de l’Esprit Saint, l’action de Jésus, le Christ qui glorifie ainsi son Père qui est aussi notre Père.
Amen !

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