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6° dimanche de Pâques

Ac 15, 1-2.22-29 ; Ps 66 ; Ap 21, 10-14.22-23 ; Jn 14, 23-29


        La première lecture d’aujourd’hui, dans le livre des Actes des Apôtres, nous présente un texte qui peut paraître anodin, le récit de décisions prises par l’Eglise naissante, suite à un conflit parmi tant d’autres. Doit-on, oui ou non, imposer la loi juive aux païens devenus chrétiens ? On pourrait se dire entre nous, chrétiens du vingt et unième siècle : qu’est-ce que ça peut bien nous faire ? C’est un problème apparemment juridique qui se posait, dans un contexte bien précis, à Antioche de Syrie, il y a deux mille ans ; en quoi sommes-nous concernés ?

        Cette décision juridique, c’est d’abord celle de l’ouverture. L’Eglise naissante accueille des personnes d’origines diverses, sans leur imposer la loi juive. Cette loi juive qui s’impose pourtant aux membres de l’Eglise eux-mêmes, juifs devenus chrétiens, et sur laquelle s’appuient les préceptes de la foi chrétienne en train d’éclore. La communauté des disciples de Jésus décide donc de s’ouvrir à toute personne, quelle que soit son origine, ses traditions, ses croyances anciennes, du moment qu’elle souhaite entrer dans cette communauté pour suivre Jésus ressuscité. Les seuls préceptes imposés consistent à « s’abstenir de manger des aliments offerts aux idoles » (c’est le refus de l’idolâtrie) ; « s’abstenir de manger de la viande non saignée » (le sang est le signe de la vie, et la vie n’appartient qu’à Dieu) ; « s’abstenir des unions illégitimes » (reconnaissance de la valeur irremplaçable du couple humain, homme-femme, comme coopérateur de Dieu par la transmission de la vie). Ces préceptes sont ce qu’on pourrait appeler les « fondamentaux », puisqu’ils sont en fait les termes de la première alliance, très ancienne, conclue avec Noé.

        Décision d’ouverture, donc, mais aussi décision de rupture. En rappelant comme seule loi celle du respect de la vie et de l’adoration exclusive de Dieu, les premiers chrétiens décident de rompre avec la loi juive en vigueur, et ses nombreux interdits et obligations qui s’étaient ajoutés au fil des siècles. L’accent est mis sur la nécessité de vivre l’Alliance, et non sur la pratique de rites. On peut donc dire que ce texte que nous venons d’entendre est l’acte de naissance du christianisme, et de son émancipation par rapport au judaïsme dont il est issu. Cette émancipation se poursuivra progressivement : Au début, les premiers chrétiens étaient tous juifs, et pratiquaient encore assidûment la loi juive, même en devenant disciples du Christ. La séparation s’est faite en constatant que la plupart des juifs ne voulaient pas reconnaître en Jésus celui qui accomplit l’Ecriture. Les chrétiens se sont alors éloignés des synagogues et ont progressivement cessé de pratiquer les rites autres que le repas dominical de l’eucharistie.

        C’est d’ailleurs dans cette ville d’Antioche de Syrie, actuellement en Turquie, que le nom de chrétiens a été donné pour la première fois à cette communauté de disciples de Jésus. Chrétiens signifie « du Christ », « ceux qui appartiennent au Christ », ceux qui voient en Jésus le Christ, le Messie. Ce ne sont pas des disciples d’un quelconque meneur d’hommes, d’un gourou ou d’un prophète, mais bien de ce messie annoncé par l’Ecriture et attendu par tout le peuple juif.

        On le voit, cette décision est loin d’être anodine. On accepte mieux alors qu’elle soit annoncée par : « l’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé... ». Cette formule pourrait paraître présomptueuse. Mais la foi nous fait dire qu’en effet, cette décision finalement capitale et sans doute douloureuse pour beaucoup, puisqu’il s’agit d’une rupture, n’a pu se faire qu’avec au moins le soutien de l’Esprit Saint.

        L’Eglise des premiers chrétiens, comme l’Eglise d’aujourd’hui, est donc en rupture avec le judaïsme, et elle est une communauté ouverte à tous, qui accueille toute personne de bonne volonté. Ce sont les conséquences de cette décision. Ouverte à tous, à ceux de l’extérieur que le Christ appelle, comme ces cinq mille adultes baptisés à Pâques cette année en France. Ouverte sur l’extérieur, mais aussi ouverte sur l’intérieur. Tous les chrétiens ne sont pas identiques, heureusement, et il existe dans l’Eglise une palette extrêmement variée de sensibilités, de manières d’être chrétien.

        Mais on entend parfois des chrétiens qui portent des jugements sur d’autres chrétiens. Il y aurait ainsi d’après certains une « Eglise à deux vitesses ». Par exemple, ceux à qui on propose le baptême communautaires avec une dizaine d’autres enfants, et ceux à qui on autorise le baptême de leur enfant, seul, pendant la messe. Cette situation a toujours suscité des critiques, des jalousies, des jugements. Comme si une des deux possibilités était meilleure que l’autre, dans l’absolu. Comme si l’une était un privilège, et l’autre une pratique de seconde zone. Ne faudrait-il pas plutôt considérer que ces deux façons de célébrer un baptême sont adaptées, au contraire, aux personnes et à leur situation dans l’Eglise ? Faut-il imposer une messe à ceux qui ne demandent qu’un sacrement de baptême, et qui ne sont pas des familiers de l’eucharistie ? Faut-il proposer un parcours identique à des personnes qui ont déjà beaucoup reçu parce qu’elles fréquentent habituellement et régulièrement les sacrements, et à d’autres qui ont peu reçu, du fait de leur éloignement, en toute liberté, des propositions de l’Eglise ? De même pour les mariages. Qu’un mariage soit suivi ou non de l’eucharistie n’enlève ni n’ajoute rien au sacrement de mariage en lui-même. C’est bien le même sacrement dans les deux cas. Ce qui importe, c’est le sens des actes que chacun souhaite poser. En demandant à l’Eglise de célébrer un sacrement,  que ce soit le baptême, le mariage ou un autre sacrement, chacun vient avec ce qu’il est, chacun doit être accueilli en prenant en compte ses besoins plus ou moins importants, afin de lui faire découvrir, ensemble, par un accompagnement adapté, que sa démarche a vraiment du sens, un sens compréhensible, perceptible de là où il se trouve, ici et maintenant.

        Comme dans cet épisode du livre des Actes des Apôtres, l’Eglise reconnaît chacun dans sa différence, sa singularité. Elle propose un chemin d’avenir, un chemin nouveau, sans obliger quiconque à renier son passé, sans obliger les personnes à de faux semblants, mais au contraire en assumant la vérité de son état de vie, de son cheminement ; la vérité de toutes ses pauvretés, de toutes ses richesses. Elle propose si nécessaire la réconciliation, qui est aussi un sacrement, une rencontre avec Dieu. L’essentiel est rappelé par Jésus dans la lecture de cet évangile de Jean : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. » C’est tout simple ! « Si quelqu’un m’aime ». Il n’y a pas d’autre condition.

        Alors, n’allons pas inventer des injustices là où Dieu lui-même ne fait pas de différence. Cessons de rapporter nos jugements humains au jugement de Dieu, qui n’est qu’amour. Nous ne sommes pas Dieu. Jésus insiste : « c’est la paix que je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne ». Nos modèles humains sont incapables de seulement s’approcher de cette paix qui nous est donnée. L’amour avec lequel Dieu aime chacun d’entre-nous est absolument différent, car chacun de nous est absolument autre. Nos égalités bricolées ne sauraient rendre compte de l’équité dans laquelle Dieu tient la totalité des hommes et des femmes de la terre. Et pour accueillir cette paix que Dieu nous donne, souvenons-nous qu’équité n’est pas égalité ; ce qui est équitable ne passe pas nécessairement par l’égalité. L’égalité est une valeur républicaine, l’équité lui est supérieure, c’est une valeur évangélique, c’est une qualité de Dieu. Faisons-lui confiance, puisqu’il nous aime, puisqu’il sait comment nous aimer d’un même amour dans nos différences.

Amen !

Daniel BICHET, diacre permanent.
Gétigné et Clisson, le 5 mai 2013

 

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