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3° dimanche de Pâques


Mettons-nous à la place des Apôtres : Jésus, pour qui ils avaient tout quitté, qu’ils avaient suivi jusqu’au bout (enfin, presque !), Jésus sur qui ils avaient fondé leur espérance… Jésus est mort, crucifié, comme un bandit. Oh, bien sûr, il y en a bien qui ont dit l’avoir reconnu, vivant, sur la route d’Emmaüs… mais il avait aussitôt disparu. Et puis, l’autre jour, alors qu’ils étaient tous réunis, sauf Thomas, ils l’ont bien vu vivant eux aussi. Mais il faut se rendre à l’évidence : aujourd’hui, dans le quotidien, Jésus n’est plus là. Alors, fini les longues marches de village en village, à travers la Galilée et la Judée. Fini les rencontres avec ces gens, tout le long des routes, à la suite de Jésus qui savait si bien leur parler du Royaume de Dieu.
Il faut continuer à vivre, il faut bien reprendre le travail. « Bon, ben, je vais à la pêche… » « Bon, ben on y va aussi… ». L’enthousiasme est mesuré ! En fait, le moral est au plus bas. Ce quotidien, hier si riche, devient lourd, sans saveur, vide d’espérance. Même dans le travail. On pourrait se dire qu’aller à la pêche, c’est toujours dans l’espérance de prendre des poissons. Mais non, même après toute une nuit de pêche, le filet reste désespérément vide. Alors, le moral descend encore plus bas, la fatigue et la lassitude en plus. Et puis, quand cet homme sur le rivage a le culot de leur dire : « jetez le filet à droite de la barque », s’ils avaient su que ce n’était qu’un charpentier, ils ne l’auraient jamais écouté ! Et pourtant, bien leur en a pris ! le filet est trop lourd pour le ramener ! On imagine les milliers de poissons, serrés les uns contre les autres, prisonniers des mailles tendues, prêtes à craquer sous la pression… Mais non ! ce ne sont pas des milliers, mais 153 poissons ! C’est curieux, pourquoi 153 ? 153 poissons, ça ne suffit pas à remplir un filet au point de le rendre si lourd !?  Alors, pourquoi cette précision ?
Arrêtons-nous un instant sur ce symbolisme des chiffres, important chez Jean tout le long de ses écrits. Voyons d’abord le nombre de personnes de cet épisode : Combien sont-ils à partir à la pêche ? Il y a Simon-Pierre, Thomas, Nathanaël, les 2 fils de Zébédée, et comme le compte n’y est pas, Jean ajoute : « et deux autres disciples ». Cette fois, ils sont bien sept. Sept, le chiffre de la perfection, de la totalité. L’évangéliste suggère que cette pêche est celle de l’Eglise, dans sa totalité. Et alors, ces 153 malheureux poissons ? quelques siècles plus tard, St Jérôme signalera que les naturalistes de l’époque comptaient 153 espèces différentes de poissons dans la mer. Ces 153 poissons symboliseraient donc la totalité des peuples de la terre. La scène décrite par Jean nous montre donc L’Eglise, constituée de pêcheurs d’hommes, envoyée en mission vers tous les peuples de la Terre. Et avec quelle efficacité !
Restons dans les symboles : Nous qui sommes réunis à cause du diaconat, nous pouvons être sensibles au fait que, dans cette scène, Jésus survient dans le quotidien des hommes, et plus particulièrement dans leur travail. Comme le diacre a pour mission de révéler Jésus dans son quotidien, dans son travail, y compris dans un travail infructueux, et même, comme les disciples fatigués de leur nuit de pêche, dans la lassitude et l’échec de nos tâches humaines.
Le psaume 29 que nous avons chanté juste avant disait  : « Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse » et « Avec le soir, viennent les larmes, mais au matin, les cris de joie ! ». C’est sans doute ce qu’ont vécu les apôtres, en ce petit matin au bord du lac. L’espérance retrouvée, quand tout semblait désespéré, malgré nos efforts et notre bonne volonté. Le travail, grâce à la présence de Jésus, donne à nouveau du fruit ! Et les disciples vont constater, en arrivant sur la plage, que le poisson est déjà prêt, sur le feu, avant qu’ils n’aient eux-mêmes apporté le leur. Dieu nous devance toujours, mais il veut avoir besoin de notre participation. Quel signe d’espérance ! Mais pour cela, pour que le travail soit enfin récompensé par une pêche surabondante, il a fallu un acte de foi : mettre sa confiance dans la parole d’un inconnu sur le rivage. Accepter de remettre l’ouvrage sur le métier, quand la tentation serait plutôt de laisser tomber. Ecouter une parole qui peut paraître déraisonnable, quand notre raison nous dicte l’inverse. Ecouter la Parole de Dieu, quand le monde nous pousse à suivre d’autre voies. Et nous rejoignons ici la première lecture, et la parole de Pierre : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » et « le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que VOUS aviez exécuté . » Aujourd’hui, comme il y a 2000 ans, cette tentation nous tiraille toujours. Exécuter, ou au moins faire taire ceux qui prêchent une parole qui dérange. Il serait tellement plus simple de suivre l’opinion, plutôt que d’écouter les paroles qui nous semblent folie, alors qu’en réalité, et nous le savons bien, elles nous rappellent le cap à suivre, quand le courant du monde nous entraîne vers une autre direction.
Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, c’est faire des choix souvent radicaux, qui nous mettent dans des situations difficiles, qui peuvent parfois nous marginaliser vis-à-vis de nos proches, de nos amis, de nos collègues de travail. Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, c’est réaffirmer des principes souvent incompris de nos contemporains, parce que contraires aux habitudes de confort, de matérialisme, de conformisme. Je pense à cet égard au texte d’ouverture de l’Assemblée Plénière à Lourdes de la Conférence de Evêques de France, intitulé « Rappel de quelques convictions à l’approche des élections ». Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, c’est aller contre une sorte de pensée unique véhiculée par les média qui, insidieusement, sans qu’on y prête garde, infléchissent notre mode de pensée, nous font douter de nos valeurs en proposant un autre système ou la vie n’est plus un absolu sacré, où la dignité de l’homme dépend seulement de la qualité de sa vie. Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, cela demande une conversion totale, un recentrage, un abandon, une souffrance. C’est en somme prendre part à la Passion du Christ, qui est allé jusqu’au bout de l’amour, acceptant de souffrir et de donner sa vie par fidélité à son Père. Sommes-nous prêts, nous aussi, à vivre tous ces renoncements ? Croyons-nous qu’en jetant le filet encore une fois, malgré notre lassitude et la fragilité de notre foi, le Seigneur nous gratifiera, une fois encore, d’une pêche qui sera miraculeuse ?

Daniel BICHET


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