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Dans ce récit que Luc nous a
transmis de ce « pauvre Lazare » et de cet homme riche on comprend tout
de suite qu’il il est question de notre sort après la mort.
Alors, avec la justice rendue à
Lazare qui a souffert le martyre sa vie durant, n’est-ce pas une sorte
de conte de fée post-mortem ?. Il deviendrait donc possible de
supporter les pires misères, les humiliations, la faim, la soif, la
maladie car on est sûr qu’une récompense est promise après la mort en
contrepartie de ces souffrances ?
Et Jésus va précisément utiliser
cette image connue pour en changer le sens. Il imagine ce dialogue
étonnant entre cet homme riche et Abraham.
L’homme riche au cours de sa vie
n’a eu qu’indifférence pour la misère de Lazare, il voyait bien cet
homme à sa porte mais il ne s’en souciait pas. Et puis, l’un et l’autre
meurent quand le temps est venu. C’est alors au tour du riche de
souffrir et de Lazare de se réjouir. Mais notre riche, ayant vu ce qui
arrive à Lazare, implore et demande ce qu’il n’a jamais donné : un peu
de pitié. Il implore ! mais c’est impossible car entre le lieu où il se
trouve et où se trouve Lazare, un abîme empêche toute intervention,
même si Abraham le voulait.
D’un côté il y a un lieu de consolation, de prévenance, d’attention, de
l’autre un lieu d’indifférence, d’oubli, de disparition.
Alors le riche dit : « Puisque
Abraham ne peut rien pour moi, qu’au moins on prévienne ma famille :
que Lazare retourne sur terre et avertisse mes frères pour qu’ils se
repentent et fassent le nécessaire pour ne pas connaître le sort qui
est le mien ! » Comme nous aimerions aussi que quelqu’un revienne de la
mort et nous dise finalement, de manière précise, ce qu’il en est
réellement. Il nous dirait comment il faut vivre, comment nous
comporter vis-à-vis de la détresse humaine, nous ferions le bien comme
on respire, et même plus encore si nous étions persuadés de ce qui nous
attend après la mort !
Et pourtant même cela est
impossible, Abraham refuse d’envoyer Lazare. Evidemment, si Lazare
était revenu sur terre, les frères du riche auraient été impressionnés
et auraient sans doute changé de vie. Comme nous le ferions si nous
avions maintenant des certitudes. Mais Abraham refuse la magie et
renvoie l’homme à lui-même : les frères du riche ont la loi et les
prophètes, ils savent ce qu’ils doivent faire, comment et pourquoi, et
bien, qu’ils le fassent.
Dans ce dialogue entre le riche
et Abraham se joue quelque chose d’essentiel dans notre rapport à la
vie et à la mort.
Nous avons l’habitude de
réfléchir à nos actes en fonction du bien ou du mal, à partir d’une
norme morale. Et comme nous sommes tous des gens très logiques, nous
pensons qu’à chacune de nos actions correspond un résultat: « si nous
faisons ceci ou cela… est-ce bien est-ce mal, si j’agis bien, alors…je
suis dans l’amitié du Seigneur, si j’agis mal, que je le sais, je vais
me repentir et grâce à cette contrition, je retrouverai l’amitié du
Seigneur etc !».
Et justement, c’est ce que refuse
Abraham : l’action ne doit pas être motivée par le résultat qu’on en
espère. Il ne faudrait pas que les frères du riche respectent la loi et
les prophètes simplement pour éviter les flammes de l’enfer.
Si faire le bien n’a d’autre
motivation que la peur de la punition, cela ne sert à rien. C’est un
comportement d’enfant : fais tes devoirs et tu pourras regarder la
télévision !
Si aujourd’hui nous regardons la mort, et parfois avec crainte, dans
l’incertitude du jugement dernier, nous ne ferons jamais rien de notre
vie.
Tout le bien que nous pourrions faire, s’il ne cherche qu’à nous éviter
la sanction des flammes de l’enfer est profondément inutile. Car qu’est
ce qui est en jeu dans l’histoire du riche et de Lazare, ce qui sépare
vraiment les deux hommes ? c’est l’indifférence !
Le problème du riche n’était pas
d’être riche ! Notre problème n’est pas d’être ceci ou cela, de faire
ceci ou cela. Notre problème c’est d’être concerné par ce qui arrive à
l’autre, à notre prochain, à notre frère. C’est le résumé de la Loi et
des prophètes que de se préoccuper de ce qui arrive à l’autre. Non pour
le contrôler, le juger, le reprendre mais pour l’aider, le soutenir, le
nourrir : l’Evangile nous en donne tellement d’exemples ! le bon
samaritain, Zachée qui donne la moitié de ses biens aux pauvres (Lc
19,8), si quelqu’un veut prendre ta tunique, laisse lui-même ton
manteau, (Mt, 4,40), que celui qui a deux tuniques partage avec celui
qui n’en a pas (Lc 3,11) que celui qui donne le fasse sans calcul (Rm
12,8) vends tout ce que tu as et distribue le au pauvre (le jeune homme
riche dans Lc 18, 22) etc.
Le désintérêt doit être notre
règle ! S’intéresser aux personnes en se désintéressant de nous-mêmes.
Se rendre compte que la vie ne s’obtient pas quand on se regarde dans
un miroir mais seulement quand on en vient à secourir les blessés de la
vie : « Mes frères, si quelqu'un prétend avoir la foi, alors qu'il
n'agit pas, à quoi cela sert-il ? Cet homme-là peut-il être sauvé par
sa foi ? Supposons que l'un de nos frères ou l'une de nos sœurs n'aient
pas de quoi s'habiller, ni de quoi manger tous les jours; si l'un de
vous leur dit : « Rentrez tranquillement chez vous ! Mettez-vous au
chaud, et mangez à votre faim ! » et si vous ne leur donnez pas ce que
réclame leur corps, à quoi cela sert-il ? Ainsi donc, celui qui n'agit
pas, sa foi est bel et bien morte » Lettre de Saint Jacques chapitre 2,
14-17
Combien de Lazare aux portails de
nos vies ? Sans abri, sans pain, sans parole, sans papiers, sans droits
! Couverts des ulcères de notre monde moderne, victimes de nos
préjugés, du racisme, de l’exclusion, n’entendez vous pas ? « les
Saint-Luciens » tous voleurs et trafiquants, les « haïtiens » qui
viennent travailler en cachette et volent notre pain, les « dominicains
» qui entretiennent le vice et la prostitution, et en France les « roms
» qui n’ont pas vocation à la paix, à l’espoir pour leurs enfants, que
tous ceux là rentrent chez eux et retrouvent leur misère, qu’ils
restent à la porte de nos maisons, il y aura peut être quelques miettes
pour eux, ou peut être rien !
Etre chrétien, il faut que ça
signifie quelque chose, il faut que ça corresponde à une véritable
préoccupation du destin de l’Autre.
Oui, ce récit cherche à nous
faire comprendre le point de vue de Lazare, le sentiment de tous ceux
qui sont écrasés par la vie et qui savent qu’il y a une justice qui
vient.
Il est impossible de prétendre aimer Dieu qu’on ne voit pas, dont on ne
sait que peu de choses sinon rien, si, par ailleurs, on n’aime pas
l’homme que l'on voit.
Et ne soyons pas aveugle : dans cette histoire, nous ne sommes pas Lazare mais le riche.
Gérald PRIVE
Saint Thomas – Le Diamant (Martinique)
29 septembre 2013
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