Année C
Sommaire année C
retour vers l'accueil
22° dimanche du Temps Ordinaire

Si 3, 17-18.20.28-29 ; Ps 67 ; He 12, 18-19.22-24a ; Lc 14, 1a.7-14

        C’est toujours édifiant de voir comment Jésus utilise des situations banales pour nous donner un enseignement. Dans ce passage de l’Evangile de Luc, il observe simplement comment les invités au repas essayent de s’installer aux meilleures places. Jésus saisit cette occasion pour remettre chacun à sa place, c’est le cas de le dire.

        Chacun sa place. Ce n’est pas un principe arbitraire, une lubie d’un maniaque de l’ordre. Jésus nous dit que c’est un moyen de vivre heureux : « ce sera pour toi un honneur » ; « heureux seras-tu ! ». 

        Dans une équipe de rugby, chacun joue à sa place. La place de chaque joueur n’est pas interchangeable. Chaque joueur a une place qui est la sienne. Surtout les avants, avec la mêlée qui nécessite une structure bien définie. Et pourtant, il n’y a pas de place privilégiée. Pas de « meilleure place ». Le pilier ne jalouse pas le talonneur, le demi d’ouverture ne convoite pas la place du trois quart centre. Chacun d’eux sait qu’il est à sa place, et que c’est en gardant cette place, en jouant son propre rôle, qui est spécifique et qui n’est pas celui d’un autre, que la victoire peut se construire.
        Ainsi, au rugby, les places sur le terrain ne sont pas hiérarchiques. L’équipe est bâtie non-pas en plaçant les meilleurs aux meilleures places et les moins bons aux mauvaises places. Il n’y a pas de rôle principal et de rôle subalterne. Au contraire, l’équipe est d’autant plus efficace que chacun occupe la place qui correspond le mieux à ses capacités, à ses talents. En plaçant ses joueurs, le coach sait ce qu’il fait. Il ne mettra pas les plus rapides en première ligne, mais plutôt aux postes de trois-quarts. Les plus vifs seront plus efficaces comme demi de mêlée ou d’ouverture. Il mettra à profit le poids des plus lourds pour peser lors des mêlées. Chaque profil convient à une place dans une équipe de rugby. Tout le monde peut donc y trouver une place, sa place, et s’en trouver heureux.
        Si beaucoup de chrétiens retrouvent dans ce sport des « valeurs » qui correspondent à leur foi, ce n’est pas sans raison.

        Dans la « vraie vie », c’est pareil. Chaque personne est appelée à jouer un rôle qui lui est propre, à la place qui lui est préparée. Encore doit-il faire le minimum d’effort pour découvrir quelle est sa place. C’est ce qu’on appelle « trouver sa vocation », c’est-à-dire répondre à l’appel de Dieu, qui a préparé lui-même une place pour chacun, en vue de son plus grand épanouissement, de son plus grand bonheur. Le coach sait ce qu’il fait.

        Répondre à cet appel, ça suppose d’accepter cette place spécialement préparée pour nous, comme un don, un cadeau, et non comme un dû. Pour cela, le rugbyman de cent vingt-cinq kilos pour un mètre soixante-douze doit accepter d’être pilier et non demi de mêlée. Il doit comprendre qu’il s’épanouira davantage à cette place qu’à une autre. C’est une démarche d’humilité, qui peut être difficile.
        Or, cette démarche n’est pas vraiment valorisée dans notre monde actuel : on croit généralement qu’on est plus libre si on choisit soi-même sa place. Recevoir, accepter, peut sembler une attitude passive, tandis que revendiquer, se battre pour gagner sa place, est beaucoup mieux considéré. L’orgueil a meilleure presse que l’humilité.

        Pourtant, Jésus nous dit que la seule place que nous avons à rechercher, c’est la dernière, celle du serviteur. Je repense à cette religieuse française, en mission dans un pays d’Afrique, qui vivait parmi les habitants du village. Lors d’un coup d’état, elle reçoit l’ordre d’être évacuée vers la France pour sa sécurité. Sa réponse : « Dieu m’a placée ici, ce n’est pas un Président qui va me faire bouger. Si votre mari, vos frères, vos sœurs sont en danger, allez-vous les abandonner pour sauver votre peau ? » Elle avait trouvé sa place, ou plutôt, en acceptant, en assumant la place qui lui avait été confiée, la place du serviteur, elle répondait à sa vocation, et trouvait sa joie dans l’humilité du service, à la place qui était la sienne.

        Comme les invités au repas de l’évangile d’aujourd’hui, nous dépensons beaucoup d’énergie à vouloir gagner des places. Sans doute que nous avons dans nos schémas de pensée, la vision d’une hiérarchie pré-établie, des places qui seraient nobles ou enviables, et d’autres qui seraient dégradantes ou indignes. Quelle est la place du chrétien dans la société ? Quelle est la place de la femme en politique ? La place du troisième enfant dans la fratrie ? La place du prêtre dans l’Eglise ? Celle du laïc ? Celle de la femme ? La place de la France dans l’Europe ? La place du salarié dans l’entreprise ? Chacun pourra allonger cette liste à l’infini…
Nous raisonnons trop souvent en terme de pouvoir et de droit. Certains mènent un combat pour conquérir plus de pouvoir ; d’autres pour acquérir de nouveaux droits. Le but est encore de gagner des places.
        Ce n’est ni bien ni mal, ces combats sont sans doute légitimes, et heureusement qu’il y a des personnes généreuses et courageuses pour mener ces combats. Mais c’est révélateur de notre vision hiérarchique des places dans notre société : on ne voit que des personnes en haut de l’échelle, et d’autres au bas de l’échelle. Des places à prendre (généralement celle des autres) et des places à éviter (généralement la mienne). Vision très humaine, très « mondaine » comme dirait notre pape François. Mais ce n’est pas ainsi que Jésus nous enseigne le sens de la vie. Ce n’est pas ainsi que Dieu nous considère. Il aime chacun de nous, quelle que soit sa place, d’un même amour. Déjà, bien des siècles avant Jésus, Ben Sira le Sage écrivait, c’était la première lecture : « Mon fils, accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur. Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur. »
        Et Jésus lui-même conclut son enseignement par ces mots : « Quiconque s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé. » Comme toujours, il sait de quoi il parle, lui qui s’est abaissé lui-même, tout Dieu qu’il était, jusqu’à notre condition humaine, jusqu’à la souffrance et la mort. Et Dieu l’a relevé, l’a ressuscité d’entre les morts. Le coach sait ce qu’il fait.

        Au rugby, pour marquer l’essai, il faut abaisser le ballon jusqu’au sol, en l’accompagnant, quitte à s’abaisser soi-même, à se jeter soi-même à terre. La victoire est souvent à ce prix.

        Alors, comme dans une équipe de rugby, efforçons-nous de tenir la place que Dieu a préparée pour nous. Faisons-lui confiance, le coach sait ce qu’il fait, et commençons par choisir la place la plus humble, la place du serviteur, et nous entendrons Jésus lui-même nous dire « mon ami, avance plus haut ! »

Amen !

Daniel BICHET, diacre permanent.
St Lumine de Clisson et Clisson
le 28 août 2016


Sommaire année C
retour vers l'accueil