Je me souviens comme si c’était hier de la naissance de
notre 1er enfant, une fille, née un soir de novembre 2000 et qui nous a
fait,
mon épouse Katia et moi, passer en quelques instants de l’état de jeunes
gens,
à celui de parent. Je ne peux oublier cette immense vague d’émotion qui
m’a
alors submergé, de cette énergie folle qui m’a empli, de cette conviction
que,
à partir de ce moment, ma vie toute entière prenait un nouveau sens, une
signification merveilleuse. Lorsqu’on devient parent, on ressent, de
manière
incroyable, un sentiment jusque-là inconnu, celui d’une forme de
dépassement de
soi, la certitude que sa vie est désormais suspendue à celle que l’on
vient de
mettre au monde. En tant que Père, je réalise alors que j’ai tout à
découvrir.
Qu’il me faudra apprendre la générosité, l’abnégation, la disponibilité,
la
sévérité, aussi, mais, au-delà de tout, la compréhension et le pardon. Et
je
dois dire, 22 ans et 3 enfants plus tard, que tout cela reste encore à
apprendre chaque jour.
Être père, c’est une chance merveilleuse, mais c’est
aussi
beaucoup de responsabilités et, bien souvent, quelques difficultés. Mais
on
réalise, à chaque fois que votre enfant tourne son regard vers vous, à
quel
point nous tenons en nos mains les clés d’un destin. A quel point cette
vie qui
vient de nous, cette petite personne que nous avons mis au monde, attend
de
celle et de celui qui l’ont fait naître l’Amour, l’attention, l’écoute et
la mansuétude
qui lui permettront de grandir et de construire sa vie.
En lisant les textes de ce jour, on réalise à quel
point que
ce qui nous unit à Dieu, notre créateur, est empreint de ce lien,
indéfectible,
qui unit l’enfant à son père.
Jésus, lorsqu’il propose à ses disciples, les termes
qui
leur permettront de s’adresser à Dieu, emploie, comme premier mot, celui
qui
vient avant tous les autres, celui de « Père ». Il nous donne la clé qui
nous
permet de comprendre la base, et peut être l’essentiel, de la nature de la
relation entre chacun de nous et notre créateur.
Chacun de ces 3 textes nous permet de bien comprendre
qui
est Dieu pour nous, les êtres humains, et ce que nous savons pouvoir
attendre
de lui. La 1ère lecture, du livre de la genèse, évoque la bonté du père,
sa
mansuétude. Un père qui a sans doute de bonnes et solides raisons de se
mettre
en colère, de sévir, mais qui sait se laisser attendrir par les arguments
qu’on
lui apporte pour privilégier le pardon à la condamnation, le salut à la
sentence.
Je le trouve très beau ce passage où l’on entend Abraham, à la fois avec
délicatesse, habilité et opiniâtreté, inviter le Seigneur à, peu à peu,
infléchir sa résolution et, finalement quasiment renoncer au châtiment.
Personnellement, mon cœur de père vibre à cette évocation, me souvenant du
nombre de fois où, sous le coup de la colère, je m’apprêtais à sévir, et
où,
peu à peu, on réfléchit, on laisse refluer l’emportement, et où,
finalement, on
entre dans une démarche de compréhension, et de pardon. Voilà une image
forte
de notre Dieu. Il n’est pas un Dieu de colère, de punition, de sévérité
brutale. Il n’est pas un Dieu avec un cœur de pierre, mais un créateur au
cœur
de Père. Tel le Papa qui accueille le fils perdu dans la parabole du fils
prodigue, il nous aime tant, qu’il veut par-dessus tout, pouvoir nous
pardonner.
La 2ème lecture, lettre de St Paul aux Colossiens, nous
montre un père qui, non seulement est prêt à nous pardonner toutes nos
fautes,
à effacer le billet de la dette qui nous accable, mais, plus encore, est
prêt
nous donner ce qu’il a de plus précieux, son fils, pour nous sauver.
L’exemple
que nous donne Dieu, en laissant le Christ offrir sa vie en sacrifice pour
nous, ses enfants, est absolument radical. Il nous montre la force inouïe
de son
Amour, en nous rappelant, sans cesse, que notre créateur veut nous sauver,
on
pourrait presque dire malgré nous ! Là encore, en tant que parent, nous
comprenons, car je crois que nous le ressentons, cet élan qui peut nous
pousser
à donner notre propre vie pour épargner à nos enfants la douleur, la
souffrance, la mort. Mais notre Dieu fait ici le sacrifice ultime. Il
offre la
vie de son fils, pour sauver celle de toute l’humanité menacée de mort par
le
péché. Notre père nous aime tant qu’il veut, par-dessus tout, nous sauver
du
péché, nous épargner la mort éternelle.
Et puis le texte d’Evangile, de Saint Luc, vient nous
montrer un père à qui l’on peut oser tout demander et qui est d’une bonté
infinie pour celles et ceux qui savent, vraiment, s’adresser à lui. Mais
en
lisant attentivement le texte, on se rend bien compte qu’il ne s’agit pas,
pour
notre père, de nous faire croire qu’il est un super magicien qui peut
faire
apparaître et nos offrir le moindre jouet qui pourrait répondre à nos
exigences
et à nos caprices. Il n’est pas le genre de père qui, pour se donner une
bonne
conscience en paternité, gâte ses enfants en leur achetant et leur offrant
tout
et n’importe quoi, les habituant ainsi, peu à peu, à tout obtenir même
sans
effort ni volonté. Non, dans ce texte il est question d’un père qui ne
donne
que si on sait faire la démarche d’aller vers lui, d’entrer en dialogue,
de
demander, non pas du bout des lèvres, mais avec toute la force de notre
cœur.
L’Amour du Père se nourrit de l’Amour partagé, de l’attention que nous
prenons
à ne pas négliger notre relation avec lui. Les 1ers mots de ce passage
d’Evangile sont « Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière
».
En prière, c’est-à-dire en dialogue avec son père ; dans une démarche où
l’on
accepte de laisser pendant un moment le flux de nos activités
quotidiennes,
pour entrer dans un espace d’échange avec Dieu. Et cette prière, que nous
redirons dans quelques instants, la prière du « Notre père », commence,
non pas
par des demandes pour nous-mêmes, mais par une expression de
reconnaissance
pour notre créateur : « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne
».
Nous pouvons tout demander, à notre père. Mais il nous faut aussi ne pas
oublier ce que nous pouvons nous même lui donner : notre Amour, notre
confiance, notre reconnaissance.
Notre père nous aime tant, qu’il veut, par-dessus tout,
dialoguer avec nous, nous entendre lui parler et, dans cet échange cœur à
cœur,
nous donner ce qu’il y a de meilleur pour chacune et chacun de nous.
Nous n’avons pas tous la chance d’avoir encore notre
père
terrestre auprès de nous. Certain, ne l’ont jamais connu, d’autres en
gardent
un souvenir compliqué, parfois, les difficultés de la vie nous ont séparé.
Mais
nous avons tous l’immense chance d’avoir un Père créateur du Ciel et de la
Terre qui, au-delà de tout, nous aime si fort qu’il peut tout nous
pardonner,
nous offrir ce qu’il a de plus cher, et être disponible à nos prières. Que
cette chance, ô combien précieuse, nous donne la paix que l’on ressent
lorsqu’on
se sait aimé. Et que cela nous invite à faire de même pour celles et ceux
qui
nous entourent, celles et ceux que nous sommes invités à aimer, comme
notre
Père nous a aimé.
Olivier RABILLOUD,
St Vincent de Paul
24 Juillet 2022