8° dimanche ordinaire.
8° ordinaire.
« Pourquoi
se faire tant de soucis ? » nous dit Jésus. Le mot souci
revient six fois dans ce passage de l’Evangile de Matthieu. Souci de ce
que nous allons boire et manger, souci des vêtements que nous allons
porter. De quoi s’agit-il ?
Les sociologues, psychologues et
autres adeptes des sciences humaines, qui aiment bien faire des
catégories, ont classé les besoins de l’homme par ordre d’importance.
Si ces classements diffèrent légèrement d’un scientifique à l’autre,
tous cependant s’accordent à dire que les besoins premiers de l’homme,
depuis qu’il est homme, sont le besoin de manger, de boire, de se
vêtir pour se prémunir du froid. On les désigne par besoins primaires,
besoins physiologiques, besoins vitaux, besoins de survie. Les autres
besoins, de sécurité, d’appartenance, d’estime, de réalisation de soi,
sont classés comme secondaires ou tertiaires. Et voilà que Jésus, à une
époque où le monde se passait très bien de psychologues, nous dit que
ces besoins, pour primordiaux qu’ils soient, ne doivent pas devenir des
soucis. Jésus n’était pas chercheur en psycho-sociologie, mais on peut
tout de même dire qu’il était expert en sciences humaines. Il nous dit
que ces besoins dont notre vie dépend – boire, manger, se vêtir – ne
doivent pas nous causer de soucis, puisque c’est Dieu qui nous donne la
vie, et c’est donc aussi Dieu qui nous donne les moyens de la vie,
comme il le fait pour les lis des champs et les oiseaux du ciel.
Facile
à dire ! Comment comprendre ces paroles qui nous invitent au
détachement, dans ce monde où près de 700 millions de personnes n’ont
pas accès à l’eau potable ? Dans ce monde où plus d’un milliard de
personnes n’ont pas suffisamment à manger, et quarante millions d’entre
eux en meurent chaque année ? « Que fait le Bon
Dieu ? » Ces millions d’affamés comptent-ils donc moins, pour
lui, que les lis des champs et les oiseaux du ciel ? Justement,
par ses paroles, Jésus pointe du doigt notre tentation à l’égoïsme, ou
à l’égocentrisme. « Ne vous faites pas tant de souci pour ce que
vous mangerez demain ». Ça ne nous interdit pas de nous faire du
souci pour ce que les autres mangeront demain. C’est, en creux, comme
un appel ou un rappel à notre devoir de fraternité. Avoir le souci des
plus pauvres, se préoccuper des autres, militer ou agir pour la vie des
plus vulnérables, voilà un souci qui plaît à Dieu. En adoptant cette
attitude, ce n’est plus la question « Que fait le Bon
Dieu ? » qui nous vient, mais « Qu’est-ce que je fais,
moi, pour venir en aide à tous ces affamés ? ». C’est
pourquoi Jésus ajoute : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu
et sa justice, et tout le reste vous sera donné en plus ». Ce
n’est pas le souci en tant que tel que Jésus reproche, mais c’est le
souci quand il reste tourné vers soi-même. Il remet ainsi de l’ordre
dans la hiérarchie de nos préoccupations.
Quand Jésus nous
dit : « Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie, au
sujet de la nourriture […]. La vie ne vaut-elle pas plus que la
nourriture ? » il s’adresse à des nantis, en tout cas à des
gens qui, comme nous, ont de quoi manger chaque jour. Et ce qu’il veut
nous signifier, c’est que, justement, nous mangerons aujourd’hui,
demain et les jours suivants. Inutile alors de transformer ce besoin en
souci. Notre Père céleste sait que nous en avons besoin, et il veille
sur nous comme il veille sur les lis des champs et les oiseaux du ciel.
Ne valons-nous pas beaucoup plus qu’eux ?
Dès lors, notre
attitude doit être non pas celle du nanti, mais au contraire celle du
pauvre de cœur, celui qui se reconnaît petit dans la main de Dieu, et
qui attend tout de lui. Et s’il attend tout de Dieu, c’est qu’il se
sait aimé de lui. C’est la confiance absolue dans cet amour absolu qui
permet à l’homme de vivre sans se soucier, pour lui-même, des
préoccupations matérielles. Quand nous disons, dans la prière du Notre
Père que le même Jésus nous a apprise : « donne-nous
aujourd’hui notre pain de ce jour », il ne s’agit pas du caprice
d’un enfant paresseux qui exige de son père une nourriture qui lui
serait due. Il ne s’agit pas non plus d’un cri d’angoisse :
« pourvu que j’ai à manger aujourd’hui ! ». Il s’agit au
contraire d’un abandon total dans la providence. C’est la prière du
petit enfant, confiant dans l’attention que son Père lui porte. En
disant cette prière, je reconnais ma propre vulnérabilité. « Oui,
Père, tu sais de quoi j’ai besoin, chaque jour, et je sais que tu
combles ce besoin, jour après jour, parce que j’ai confiance en toi,
parce que tu es mon père ». Ce besoin, ce manque, ce désir, cette
vulnérabilité me conduit à la confiance, et non au souci du lendemain.
« Donne-nous
aujourd’hui notre pain de ce jour ». En nous apprenant cette
prière, Jésus insiste sur l’importance du présent, de l’aujourd’hui, de
ce jour. Comme il nous le dit aussi dans ce passage d’évangile que nous
venons d’entendre : « Ne vous faites pas tant de souci
pour demain : demain se souciera de lui-même ; à chaque jour
suffit sa peine ». Quelques décennies auparavant à peine, Horace,
un poète romain, écrivait dans un de ces poèmes le fameux « carpe
diem » (« cueille le jour »). Souvent repris et détourné
de son sens, « carpe diem » est une autre manière de dire
« à chaque jour suffit sa peine ». Vis intensément le jour
présent, goûte l’instant présent, comme un cadeau, un
« présent » que Dieu te fait. C’est ce que vivait aussi à sa
manière Ste Thérèse de Lisieux, elle qui disait : « Je ne vois que le
moment présent, j'oublie le passé et je me garde bien d'envisager
l'avenir ». Ça ne veut pas dire qu’il suffit de rester les bras
ballants à attendre que les choses se fassent. Chacun de nous a un rôle
à jouer dans la marche du monde. Mais les soucis que nous nous faisons
peuvent être, pour une part, un moyen de nous persuader que nous sommes
importants. Il nous faut pourtant accepter que tout ne dépend pas de
nous. Après tout, nous ne sommes peut-être pas si importants que nous
le croyons. Comme on le dit parfois, « les cimetières sont remplis
de gens indispensables », et pourtant le monde continue de tourner
sans eux.
Alors, comme nous le demande Jésus, remettons un peu
d’ordre dans nos soucis. Essayons de voir si les soucis qui
empoisonnent parfois nos existences sont tous justifiés, c’est-à-dire
ordonnés à la justice. Quelle est la part du souci des autres,
vis-à-vis des soucis pour notre propre confort, nos propres intérêts,
la satisfaction de nos désirs immédiats ? Cherchons d’abord le
Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste nous sera donné en plus.
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent.
Monnières, Gétigné et Clisson
26-27 Février 2011
Sommaire année A
Accueil