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La Sagesse ! Que peut-on désirer de plus que la Sagesse ? Quoi d’autre que la Sagesse peut nous apporter le bonheur, la sérénité, la paix du cœur ? Bon, c’est vrai, la sagesse n’est plus vraiment à la mode de nos jours. On voit davantage, dans nos journaux, d’éloges de la folie que de la sagesse ; on vante plus les comportements excessifs que les attitudes modérées ; et celui qui est sage peut souvent être considéré comme une personne du passé. D’ailleurs, ne dit-on pas que la sagesse serait l’apanage des anciens, comme pour les consoler de n’avoir plus la vitalité, l’énergie, la témérité, qui permettent l’initiative et le progrès ? Le sage ne serait-il donc qu’un vieil homme qui observe, assis à sa fenêtre, les agitations du monde ?
Le livre de la Sagesse, d’où nous vient le passage de la première lecture, est un texte écrit quelques années seulement avant la naissance de Jésus. L’auteur de ce livre nous présente un éloge de la sagesse, cette sagesse qui est Dieu lui-même. Les manières de la décrire sont celles que l’on utilise habituellement pour parler de Dieu vis-à-vis de l’humanité : « [la Sagesse] se laisse aisément contempler par ceux qui l'aiment, elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. Elle devance leurs désirs en se montrant à eux la première. » Comme Dieu devance notre amour, lui qui nous a aimés le premier.
Si la sagesse est Dieu, alors elle peut nous sembler inaccessible, impossible à atteindre. Et c’est vrai, sans l’aide de Dieu, ce ne sont pas nos propres forces ou notre propre volonté qui nous permettront de posséder la sagesse. Et pourtant, elle est souvent toute proche, présente dans le simple bon sens. Comme dans cette parabole des cinq jeunes filles insensées et des cinq jeunes filles prévoyantes, qu’une autre traduction appelle « sages ». Leur sagesse n’est pas le fruit d’une intelligence extraordinaire, mais relève simplement du bon sens : on n’imagine pas de partir dans la nuit avec sa lampe de poche sans s’assurer que la pile tiendra jusqu’au bout, et on pense à apporter avec soi une pile de rechange !  C’est la même chose souvent dans notre quotidien. Le bon sens nous dicterait toujours des comportements de sagesse, mais nous avons parfois tellement la tête dans le guidon que nous ne prenons pas ce petit temps de réflexion qui nous permettrait d’entendre cette voix de la sagesse. Les façons de faire du monde, les modes de pensée du plus grand nombre, peuvent nous apparaître comme des chemins plus faciles, qu’il suffit de suivre, comme tout le monde, pour atteindre nos objectifs sans déranger notre confort, sans avoir besoin de réfléchir, sans même y penser. C’est ainsi que s’installe ce que l’on peut appeler la « pensée unique », celle qu’il faut adopter pour être considéré comme normal, celle qui nous fait le plus ressembler à notre voisin, celle qui nous mène sans le moindre effort sur un chemin hyper sécurisé, comme le mouton au milieu du troupeau, qui n’a pas besoin de se poser de question pour avancer. Il  suffit de suivre les autres, et de toute façon, c’est bien difficile d’imaginer faire autrement, coincés que nous sommes au milieu du troupeau. Alors on se complaît dans le « politiquement correct », que l’on appelle « sagesse » pour se rassurer. On avance sans bousculer, sans faire de vagues, on calque sa marche sur l’ensemble du troupeau bêlant, en se nourrissant de l’herbe qui est juste là, à nos pieds, sans effort, il suffit de se baisser. Et on finit par se résigner : pourquoi faire l’effort de chercher une autre nourriture que celle qui se trouve sous notre nez ? même si elle n’est pas de bonne qualité, abîmée, piétinée par les autres moutons qui nous précèdent. On se contente de la médiocrité. C’est ainsi que l’on remplace, peu à peu, la sagesse par la folie, la clairvoyance par l’aveuglement, le courage par la paresse. Comme ces jeunes filles insensées de la parabole, qui ne vont simplement pas faire l’effort de prendre l’huile nécessaire au fonctionnement de leurs lampes. On se résigne, on refuse la lutte, on se contente de suivre ce que les médias nous donnent en pâture quotidiennement. En nous montrant des attitudes, des comportements, des idéologies qui devraient nous choquer, nous alerter, nous faire réagir, on peut être tenté de se dire « si tout le monde fait comme ça, c’est sans doute que c’est bien ». Saint Augustin, au quatrième siècle déjà, mettait en garde ses contemporains en leur disant : « A force de tout voir, on finit par tout admettre ; à force de tout admettre, on finit par tout approuver. » Et de fil en aiguille, on finit par perdre de vue la frontière entre le bien et le mal, entre ce qui est sage et ce qui est folie. Et au lieu de faire des lois dans le but de baliser notre route, on fait des lois pour autoriser les excès. Au lieu de faire des lois pour protéger le faible contre l’arrogance des plus forts, on fait des lois pour permettre aux forts de disposer des faibles : les riches ont moins de devoirs envers les pauvres, et la vie humaine n’est plus sacrée, n’est plus protégée, aux moments où elle est pourtant la plus vulnérable, à son tout début et à sa fin. Dans ces conditions, la sagesse qui dénonce la folie n’apparaît plus que comme une contrainte, et le sage comme un empêcheur de tourner en rond. On le considère non-plus comme un phare qui éclaire le chemin devant nous, mais comme la voix un peu désuète d’un passé, d’une tradition dont il faut absolument s’affranchir pour se croire un homme libre. On a même pris un soin tout particulier, par exemple, à renier les racines chrétiennes de l’Europe, comme s’il s’agissait d’un héritage encombrant ; comme si la pensée chrétienne, sagesse fortifiée par les siècles, était un obstacle à la construction européenne, alors qu’elle en est l’origine.
Oui, nous ne pouvons que le constater, la sagesse a mauvaise presse. On lui préfère une espèce de tolérance molle qui accepte tout, même l’intolérable, au nom d’une liberté débridée et vidée de son sens. Et le sort de ces cinq jeunes filles insensées de la parabole ? « C’est leur choix » dirait-on simplement aujourd’hui. 
Alors, dans ce contexte, comment accueillir cet éloge de la Sagesse que nous proposent les lectures d’aujourd’hui ? Qu’il est difficile, en effet, aujourd’hui comme hier, de faire le choix de la sagesse ! Comme nous le conseille la première lecture, il nous faut commencer par la chercher. Pas la peine, pour cela, d’être doué de facultés exceptionnelles, car « elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent » ; puis, laissons-nous réconforter par ces mots « Ne plus penser qu'à elle prouve un parfait jugement, et celui qui veille en son honneur sera bientôt délivré du souci. » Alors, avec elle, pour elle, nous pourrons tenir ferme dans le monde, en nous rappelant cette phrase de St Paul dans sa lettre aux Corinthiens : « ce qui serait folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et ce qui serait faiblesse de Dieu est plus fort que la force des hommes ». Oui, frères et sœurs, désirons la Sagesse, car la désirer, c’est désirer Dieu. Faisons nôtre cette prière au chapitre 9 de ce même livre de la Sagesse : « Seigneur, donne-moi la sagesse, assise près de toi ! »
Amen !

Daniel BICHET, diacre permanent
5-6 novembre 2011, Gétigné et Clisson.

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