2° dimanche ordinaire.
Après
ces semaines de l’Avent, où la liturgie s’habillait du violet de
l’attente, puis ce temps de Noël tout en blanc, avec ses fêtes de la
Nativité, de la Sainte famille, de l’Épiphanie, du Baptême du Seigneur,
nous entrons à présent dans le Temps Ordinaire. Non pas qu’il ne s’y
passe rien ! Le vert, qui est la couleur choisie pour ce temps
ordinaire, évoque la nature qui repousse au printemps, qui grandit
jusqu’à atteindre la maturité où le fruit sera bon à manger, où la
fleur sera prête à être cueillie. Le vert est ainsi la couleur de
l’espérance. Alors, ce temps est ordinaire en ce sens qu’il nous est
donné, à nous aussi, pour grandir, pour mettre à profit, au quotidien,
tous ces dons spirituels reçus à l’occasion des autres temps forts de
l’année, pour faire grandir notre espérance.
C’est aussi le temps,
en ce tout début d’année, des vœux que nous présentons à nos proches,
et que nous recevons. Alors, à mon tour, je vous souhaite à tous une
bonne année ! Mais, l’avez-vous remarqué, nos vœux sont souvent
bien conventionnels, pour ne pas dire convenus. Que souhaitons-nous la
plupart du temps, de vive voix ou à travers nos cartes de vœux ? pour
résumer : la réussite de nos projets, et surtout la santé !
Eh bien je nous invite, frères et sœurs, à regarder d’un peu plus près
ces formules toutes faites, et à les regarder à la lumière des textes
de ce jour.
Avouons-le : Souhaiter aux autres la santé, c’est
révéler nos propres peurs, et en particulier notre peur de la maladie.
C’est aussi proclamer notre sentiment que la santé, élevée au rang de
« valeur », alors qu’elle n’est qu’un effet de la grâce de
Dieu, est la condition pour accéder au bonheur. Est-ce à dire que celui
qui n’a pas la santé est condamné au malheur ? Derrière ces
évocations de la santé se cachent des visages. Chacun de nous a dans le
cœur le visage de personnes proches qui sont malades, qui souffrent.
Des personnes qui sont dans une situation de dépendance, dont la
liberté est amputée, parfois durablement, du fait de la maladie.
Peut-être sommes-nous, nous-mêmes, concernés directement par la
maladie, la souffrance. Et nous ne souhaitons cela à personne, bien
entendu ! Nos vœux de bonne santé, au début de chaque année,
révèlent cette véritable angoisse qui est enfouie en chacun de nous.
Cependant, c’est en renouvelant ces vœux de bonne santé que nous
fabriquons, bien inconsciemment, des limites à notre espérance de
croyant. Si la santé est une préoccupation qui tient une place
importante dans notre existence, et c’est bien normal, n’en faisons pas
un absolu ! Croyons-nous, oui ou non, que le bonheur véritable est
celui que Jésus nous promet, quel que soit notre vie, quelles que
soient nos difficultés, notre état de santé ? Prenons la deuxième
lecture d’aujourd’hui, qui est le tout début de la première lettre de
St Paul aux chrétiens de Corinthe. Au début de sa lettre, Paul, lui
aussi, présente ses vœux à cette communauté. Quels sont ces vœux ?
« Que la grâce et la paix soient avec vous, de la part de Dieu
notre Père et de Jésus-Christ le Seigneur. » La grâce et la paix
qui viennent de Dieu. Voilà ce qu’il est bon de souhaiter pour ceux
qu’on aime. La santé, bonne ou mauvaise, n’a rien à voir là-dedans.
Elle n’est pas un paramètre valide pour un chrétien. Regardons à
présent le psaume 39 que nous venons de chanter. C’est un chant
d’action de grâce, c’est-à-dire un cri de remerciement à Dieu. C’est le
merci de quelqu’un qui goûte au bonheur. Il ne remercie pas Dieu de lui
avoir donné une bonne santé – on ne sait pas quel est son état de santé
– mais simplement de s’être fait connaître à lui : « Dans le livre, est
écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. Mon Dieu, voilà ce que
j'aime : ta loi me tient aux entrailles. » Apprécier, comme le
psalmiste, cette joie de connaître Dieu, voilà le vrai bonheur. La
première lecture, elle aussi, nous dit quelque chose du bonheur :
« Oui, j’ai du prix aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est
ma force ». Ce n’est pas la santé qui est ma force, c’est mon
Dieu ! Que peut-on souhaiter de meilleur à ceux qui nous sont
chers, que de connaître Dieu et de vivre de son amour ? que
peut-on leur souhaiter de mieux que de devenir des saints ? Or,
une bonne santé n’a jamais fait de personne un saint, c’est-à-dire une
personne comblée de bonheur. Inversement, une mauvaise santé n’a jamais
empêché quelqu’un de vivre une vie de saint. Combien de saints, qui
sont nos modèles, sont des personnes qui avaient une santé
précaire ? Les vies courtes, à cause de la maladie, d’une Thérèse
de Lisieux, d’une Bernadette de Lourdes ou d’une Chiara Luce, cette
très jeune fille récemment béatifiée ; les longues souffrances d’un
François d’Assise, d’une Marthe Robin, et de tant d’autres, ne
sont-elles pas des preuves que les vœux de bonne santé que nous
formulons pour nos amis ne sont pas ajustés à ce qu’au plus profond de
nous-même, nous souhaitons pour eux ? Oui, vu sous cet angle, la
santé apparaît comme une valeur bien vaine. Si elle a pris cette
place si importante dans nos sociétés occidentales, c’est parce qu’elle
est le signe le plus évident des progrès de la médecine. Elle est donc
signe de la volonté de toute-puissance de l’homme qui croit pouvoir
s’affranchir de Dieu.
Quand nous exprimons nos « meilleurs
vœux », si nous sommes chrétiens, nous ne pouvons que souhaiter ce
qu’il y a de meilleur. Et ce qu’il y a de meilleur pour chacun, qui
mieux que Dieu peut le savoir, lui qui connaît chacun de nous mieux que
nous-mêmes ? Laissons donc Dieu nous donner ce qui est bon pour
nous. Qui sommes-nous pour nous sentir obligés de lui indiquer les
moyens de sa grâce ? « les noces de Cana, la
Transfiguration, la pêche miraculeuse, la Résurrection, d’accord, mais
pas la Passion ni la Croix ! » N’est-ce pas indigne d’un
chrétien de souhaiter pour les autres l’absence de difficultés,
l’absence d’adversité, de maladie, de deuils ? Dans le fond de nos
cœurs, nous savons bien qu’une vie ne peut pas se passer sans
souffrance, sans maladie, sans deuils. Quand, au cours de l’année, ces
difficultés surviennent malgré nos vœux du nouvel an, ces vœux
apparaissent d’autant plus vains ! Alors, pourquoi ne pas changer
nos formulations, en disant par exemple « je te souhaite la force
de supporter les difficultés que tu vas rencontrer cette
année » ? Car nous savons que cette force, c’est celle que
Dieu lui-même nous donne. En se faisant homme parmi les hommes, Dieu
n’est pas venu apporter la santé sur la terre, même s’il a opéré
beaucoup de guérisons, mais la joie que procure la révélation de son
amour.
Frères et sœurs, au début de ce temps ordinaire, temps de la
croissance, temps de l’espérance, prenons pour modèle ces personnages
que la liturgie nous propose aujourd’hui, et qui tous, témoignent du
bonheur de connaître Dieu. Regardons Isaïe, dans ce Chant du Serviteur,
qui prophétise le salut de Dieu jusqu’aux extrémités de la terre.
Regardons le psalmiste qui proclame « l’amour [de Dieu et sa]
vérité à la grande assemblée ». Regardons le « peuple
saint » à qui s’adresse St Paul, « ceux qui, en tout lieu,
invoquent le nom de notre Seigneur Jésus-Christ ». Regardons
Jean-Baptiste enfin, reconnaissant en Jésus qui vient à lui l’agneau de
Dieu qui enlève le péché du monde : « oui, je l’ai vu et je
rends ce témoignage : c’est lui le Fils de Dieu ». Avec eux,
profitons de nos vœux pour rendre nous aussi témoignage de ce grand
amour que Dieu vient nous donner, pour guider notre vie et nous
accompagner, sans jamais nous lâcher la main, à travers les épreuves, à
travers les difficultés, à travers les maladies et les deuils que,
nous-mêmes ou ceux que nous aimons, aurons à vivre cette année.
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent.
Clisson, le 16 janvier 2011
Sommaire année A
Accueil