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24° dimanche du Temps Ordinaire.

Ben Sira 27,30-28,7 ; Rom 14,7-9 ; Mt 18,21-35 


« 70 fois 7 fois ». Bon, ça fait 490, mais évidemment, ce chiffre n’a aucune importance. Il faut comprendre que c’est beaucoup, qu’il n’y a pas de limite au pardon. Jésus nous rappelle que le pardon n’est pas une démarche réservée à certaines circonstances bien précises, rares, exceptionnelles (jusqu’à 7 fois demande Pierre, pensant que c’est déjà beaucoup). Au contraire, Jésus lui signifie qu’il faut pardonner toujours, à chaque fois que l’on est offensé. La réponse de Jésus, 70 fois 7 fois, a dû résonner dans l’esprit de Simon-Pierre qui, comme tout juif, connaissait parfaitement l’Ecriture. Et dans la Genèse, au chapitre 4, il avait lu :
« Lamek dit à sa femme : Ada et Cilla, entendez ma voix, femme de Lamek, écoutez ma parole. J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. C’est que Caïn est vengé 7 fois, mais Lamek 77 fois. » (Gn 4,23-24). Ce très ancien chant guerrier, qu’on appelle « le chant de Lamek » est le plus ancien texte de la poésie hébraïque que nous ayons aujourd’hui. Ce chant est un appel à la vengeance. Il revendique, pour une offense faite, une vengeance sans limite. À cette époque, on pouvait exercer une vengeance largement supérieure à l’offense. La loi du Talion, provenant du Code de Hammourabi, 1750 ans tout de même avant Jésus-Christ, limitera cette vengeance en demandant de ne pas exercer une sanction qui la dépasse. C’est ce que nous avons dans le fameux dicton : « Œil pour œil, dent pour dent. » cité dans le livre de l’Exode au chapitre 21.
Pierre, donc, en rapprochant ce texte qu’il connaît avec la réponse de Jésus, reçoit cette réponse comme un véritable retournement des valeurs. Ce n’est plus la vengeance qu’il faut exercer à l’infini, mais plutôt le pardon. C’est donc exactement le contraire de ce qui était préconisé jusqu’alors.

En effet, la réponse naturelle à la violence, c’est la vengeance, pas le pardon. C’est la première réaction qui vient spontanément à toute personne victime de violence, si elle laisse les sentiments dominer son âme, si elle ne fait pas l’effort de surmonter ce premier réflexe qu’est le désir de se venger d’une manière ou d’une autre. Il y a dans notre humanité comme une culture de la vengeance. « la vengeance est un plat qui se mange froid », dit-on. Ce qui sous-entend que, bien que le désir de vengeance soit premier, spontané, immédiat, la vengeance est meilleure quand elle est longuement préparée, ruminée, afin de mettre au point une punition plus raffinée pour celui qui nous a blessé.
Mais l’expérience humaine montre que, même si on peut avoir l’impression d’un certain soulagement une fois la vengeance réalisée, la blessure subie n’est pas apaisée pour autant. Il y a à présent deux personnes qui souffrent au lieu d’une, mais c’est une bien piètre consolation. Il faut se rendre à l’évidence : la vengeance ne guérit de rien.
Au contraire, l’effet du pardon véritable est beaucoup plus durable et plus libérateur, à la fois pour la victime et pour le bourreau.

Si la vengeance est la réaction naturelle à la violence, le pardon, lui, est surnaturel. C’est un don de Dieu. Même si ce n’est pas l’exclusivité de ceux qui croient en lui, heureusement.
Le pardon, c’est difficile. Parce que ce n’est pas naturel, il faut se forcer pour arriver à pardonner véritablement. Ça peut demander des efforts surhumains. Sans l’aide de Dieu, c’est même parfois impossible. Même Jésus, sur la croix, ne dit pas à ses bourreaux « je vous pardonne », mais cette fameuse phrase : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Comme pour dire : moi je ne peux pas pardonner, je suis trop dans la souffrance, mais toi, Père, tu es le Dieu de miséricorde, tu es le seul qui puisse pardonner une si grande offense.
Le psaume 102 que nous venons de chanter nous rappelle cette capacité de Dieu à pardonner toujours : « Bénis le Seigneur, ô mon âme,[…] Car il pardonne toutes tes offenses, et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse. »
C’est sans doute ainsi que nous pourrions essayer de nous comporter, nous qui sommes chrétiens, c’est-à-dire des personnes qui ont Jésus pour modèle à suivre. Lorsque le pardon nous est impossible, lorsque la souffrance ou l’humiliation subie est trop lourde, demandons à Dieu notre Père de pardonner à celui qui nous a blessé. Nous, nous en sommes pour le moment incapables, mais en demandant à Dieu de pardonner, peut-être finirons-nous par entrevoir, plus tard, une possibilité de pardonner.

Cette démarche de pardon, déjà Ben Sira le Sage, donc environ 200 ans avant Jésus, la mettait en valeur. Nous avons entendu dans la première lecture : « Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ; alors, à ta prière, tes péchés seront remis. » Jésus, 200 ans plus tard, lorsqu’il apprendra à ses disciples à prier, reprendra cette injonction de Ben Sira : “pardonne-nous nos offenses COMME nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés”.
C’est donc à la mesure de notre capacité à pardonner que nous sommes nous-mêmes pardonnés. Et nous avons tellement à nous faire pardonner ! Alors, ça vaut peut-être le coup de s’y efforcer !
Pour nous y aider, Jésus, comme à son habitude, invente une petite histoire, une parabole. Il nous raconte cette histoire d’un roi – il s’agit bien évidemment ici d’une métaphore de Dieu, le Père – d’un roi, donc, qui fait le point avec ses serviteurs. L’un d’entre eux lui devait « 60 millions de pièces d’argent » c’est-à-dire plusieurs fois le salaire de toute une vie ! Évidemment, il était incapable de rembourser ! mais que fait ce roi ? « il lui remit sa dette »! 60 millions de pièces d’argent ! On l’oublie souvent, mais le maître efface complètement la dette ! Il aurait pu la réduire, l’aménager pour la rendre supportable, mais non, il l’efface purement et simplement !
Nous-même, nous avons peut-être des dettes envers Dieu, des fautes que nous avons commises, et que nous avons du mal à nous pardonner nous-mêmes. Rappelons-nous que Dieu, lui, peut les pardonner. Même si elles sont exorbitantes – 60 millions de pièces d’argent ! – et qu’il nous est impossible de les effacer, de les rembourser, Dieu, lui, le Père de Miséricorde, peut nous pardonner.
Alors, frères et sœurs, pécheurs que nous sommes, tous, comprenons bien ce que Jésus nous dit par cette parabole. Plus qu’une leçon de morale (“tu dois pardonner...”) ce passage d’évangile nous montre surtout la bonté de Dieu, sa grandeur, la dimension incroyable de son amour, son amour si grand qu’il pardonne les pires de nos fautes. Il nous demande juste d’en avoir conscience, d’assumer nos erreurs, nos fautes, nos offenses, et de faire l’effort de pardonner celles des autres ou en tout cas d’essayer, de montrer notre volonté de pardonner à nos semblables.
Seigneur, pardonne-nous nos offenses, et aide-nous à pardonner à ceux qui nous ont offensés.

Amen.

Daniel BICHET, diacre permanent
Gétigné et Clisson, le 13 septembre 2020



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