24° dimanche du Temps Ordinaire.
Ben Sira 27,30-28,7 ; Rom 14,7-9 ; Mt 18,21-35
Soixante-dix fois sept fois ! Pardonner jusqu’à
soixante-dix fois sept fois, ça ferait pardonner 490 fois ! ça fait
beaucoup ! Quand on voit la difficulté que nous avons, parfois, à
pardonner des toutes petites choses... Quand on pense au travail
intérieur qui nous est nécessaire pour essayer de pardonner à une
personne qui nous a blessé – ce qui prend parfois des années – cette
demande de Jésus nous paraît exorbitante. Impossible. Hors de notre
portée. Pardonner jusqu’à soixante-dix fois sept fois ! C’est au-dessus
de nos forces...
Le pardon. Voilà un sujet qui
nous concerne tous ! Pardon à donner, pardon à recevoir aussi. Parce
qu’il n’est pas non plus toujours facile d’accepter le pardon qui peut
m’être offert par la personne que j’ai moi-même blessée.
Et puis, pardonner, c’est le boulot de Dieu ! N’est-il pas le Dieu de toute miséricorde ?
Dieu pardonne, en effet. C’est sa
fonction principale, c’est dans son ADN, pourrait-on dire. Partout dans
la Bible, et dès l’ancien testament, contrairement à ce qu’on entend
parfois, et souvent par des personnes qui ne l’ont pas lu, on peut voir
Dieu exercer sa miséricorde sur le pécheur repenti. Nous l’avons encore
entendu dans la première lecture, et aussi dans le psaume d’aujourd’hui.
Dimanche dernier, Jésus nous demandait de tout faire pour que notre
frère qui est dans le péché entende la voix de la raison. On appelle ça
la correction fraternelle. Ne pas hésiter à corriger ceux qui suivent
une mauvaise route. Mais attention, danger ! C’est là qu’intervient
l’orgueil. Le nôtre et celui de la personne que l’on corrige. Notre
orgueil : qui sommes-nous en effet pour prétendre corriger notre
semblable ? Sommes-nous sûrs de lui proposer la Vérité ? N’est-ce pas
se montrer orgueilleux que d’agir ainsi ? Et l’orgueil de ce frère dans
l’erreur : pas facile de s’entendre reprocher une mauvaise attitude,
une mauvaise action... Son orgueil, atteint par ces reproches, peut
l’empêcher de les entendre, de les reconnaître.
Aujourd’hui, dans le même
évangile de Matthieu, Jésus nous demande de pardonner. Pardonner à ce
frère pécheur. Donc, d’abord dénoncer le péché, faire en sorte de
ramener le pécheur dans le droit le chemin – c’était l’Evangile de
dimanche dernier – mais quoi qu’il advienne, finalement, lui pardonner.
Toujours. 70 fois 7 fois ! Ce chiffre est évidemment à prendre non-pas
comme une limite, mais au contraire comme une absence de limite.
Ces deux conseils de Jésus :
dénoncer le péché de notre frère un dimanche, et lui pardonner le
dimanche suivant, peuvent nous sembler contradictoires ; ils pourraient
embrouiller le message, nous déstabiliser. Ils sont au contraire très
complémentaires, et très éclairants sur notre condition humaine, avec
ses excès, ses contradictions. Mais surtout ils sont très éclairants
sur Dieu lui-même. Corriger son frère, ce n’est pas pour le dénoncer,
le punir, exercer la justice des hommes. Mais c’est pour qu’il voie sa
faute et qu’il renonce au péché. C’est en fait l’aider à se convertir,
pour que s’exerce sur lui la justice divine, c’est à dire la
miséricorde ! Car Dieu n’aime rien plus que de voir un de ses enfants
revenir à lui, se convertir. Pour pouvoir lui pardonner, l’entourer de
sa miséricorde.
« L’erreur est humaine, et le pardon divin », disait un philosophe
catholique. Nous sommes tous pécheurs, c’est notre condition, c’est
incontournable. Mais Dieu nous pardonne. Et il nous demande, nous
aussi, de pardonner.
Dans la prière du Notre Père,
c’est nous qui lui demandons « pardonne-nous COMME nous pardonnons ».
Lors d’une rencontre de préparation au baptême, à propos du Notre-Père,
une personne a dit : « si Dieu ne me pardonne que dans la mesure où moi
je suis capable de pardonner, s’il pardonne comme moi, ce n’est pas un
Dieu de miséricorde. » Soyons attentifs en effet à bien comprendre ce
mot « comme ». « Comme nous pardonnons » ne signifie pas « à égalité »,
ou « dans les mêmes proportions » ni même « avec autant d’empressement
». D’ailleurs, le Notre Père que nous utilisons provient de l’évangile
selon St Matthieu. Mais dans celui de St Luc, on trouve : «
pardonne-nous nos péchés, CAR nous-mêmes nous pardonnons aussi à tous
ceux qui ont des torts envers nous ». Comme, car, ou encore puisque...
Les traductions possibles permettent de saisir que, en nous adressant à
Dieu, nous reconnaissons que nous avons nous-même une certaine capacité
à pardonner, même si elle est fragile, mais que Dieu, nous en sommes
sûrs, est Celui qui pardonne. Et nous l’en supplions : « pardonne-nous
» parce que nous savons que lui, il en est capable. Si nous qui sommes
pécheurs pouvons pardonner un peu, lui qui est Dieu, peut pardonner
beaucoup. C’est notre foi, c’est notre espérance !
Et ça rejoint la première
lecture, du livre de Ben Sira le sage, parole de sagesse donc : « Si un
homme nourrit de la colère contre un autre homme, comment peut-il
demander à Dieu la guérison ? S’il n’a pas de pitié pour un homme, son
semblable, comment peut-il supplier pour ses péchés à lui ? » Dieu nous
demande de pardonner, de pardonner toujours, parce qu’il pardonne
lui-même toujours.
Cependant, le pardon, c’est un don de Dieu. C’est le don de Dieu, c’est
même plus qu’un don, c’est le don accompli, le don parfait. Par-don, la
perfection du don. C’est donc gratuit ! Ce n’est pas en contre-partie
d’une attitude, d’une bonne action, ou pour obtenir quelque chose. On
ne marchande pas avec Dieu, puisqu’il donne ! En pensant que si je ne
pardonne pas, je ne serai pas pardonné, je bâtis un raisonnement
marchand : donnant-donnant. Cette logique est étrangère à Dieu, qui ne
sait que donner, gratuitement. Un don, ça se reçoit, ça s’accueille, ça
ne se négocie pas. Donc, même si nous ne parvenons pas toujours à
pardonner à ceux qui nous ont offensé, accueillons ce don de Dieu, ce
pardon qui nous est promis de toute façon et quoi qu’il advienne. En
prenant conscience de cette gratuité absolue dont Dieu nous comble,
alors nous aussi nous aurons envie de faire l’effort de pardonner à nos
semblables. Mais restons humbles, notre démarche sera de toute façon
difficile, longue et tortueuse, car nous ne sommes pas Dieu.
Alors, frères et sœurs, cherchons
toujours à imiter Dieu, oui, mais depuis notre place de pécheur. Nous
ne sommes pas Dieu, alors ne nous culpabilisons pas de ne pas être à la
hauteur. Assumons notre condition humaine, notre condition pécheresse,
et rendons humblement grâce à Dieu pour ce don inestimable qu’il nous
fait, ce pardon qui nous est acquis, ce salut qui nous est
définitivement offert par la mort de Jésus sur la croix.
Amen.
Daniel BICHET, diacre permanent
17 septembre 2017
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