20° dimanche ordinaire.
Is 56, 1.6-7/Ps 66/Rm 11, 13-15.29-32/Mt15, 21-28
Ah, ces petits chiens qui viennent manger les miettes qui tombent
de la table… Quelle étrange histoire ! Quel dialogue énigmatique, entre
Jésus et cette femme qu’on appelle la cananéenne !
Pour décrypter cette énigme, essayons ensemble de comprendre ce que
l’Église veut nous dire, en situant ce passage d’évangile en lien avec
les autres textes qu’elle nous propose en ce 20ème dimanche du Temps
Ordinaire.
Le fil rouge des textes de la liturgie d’aujourd’hui, vous l’aurez sans
doute remarqué, c’est « les étrangers ». C’est ce terme qui est employé
dans la première lecture. Dans le psaume, il est question des
« nations », ce qui veut dire la même chose. Dans la deuxième lecture,
Saint Paul parle des « nations païennes ». Dans tous les cas, il s’agit
des peuples qui ne sont pas juifs. Quant à l’évangile, il nous raconte
la demande d’une femme qui est elle aussi une étrangère, puisqu’elle
est du territoire de Tyr et Sidon, territoire non-juif, qui correspond
à peu près à l’actuel Liban.
Les étrangers… voilà un thème qui soulève de nombreuses problématiques, et ça ne date pas d’aujourd’hui.
L’étranger, c’est celui qui est différent ; c’est l’étrange, donc le
bizarre, le difficile à comprendre puisqu’il n’est pas comme nous. Avec
cette définition, on voit que cette notion d’étranger est beaucoup plus
large qu’une histoire de frontière nationale : des gens « pas comme
nous », il y en a partout autour de nous ! Qui pensent autrement que
nous, qui s’habillent autrement, qui mangent autrement, qui vivent
autrement… Nous les côtoyons quotidiennement ! Ici-même dans cette
église, je peux considérer que mon voisin de banc est un étranger, si
je m’attache simplement à ce qui le différencie de moi-même.
Mais cette façon de voir les choses est-elle bien raisonnable ? Car
elle nécessite de se demander où mettre le curseur : au niveau du mode
de vie ? des habitudes alimentaires ? du milieu social ? ou bien de la
couleur de la peau ? des frontières ? que sais-je encore… ? Qui est
l’étranger ?
Les textes de ce jour, frères et sœurs, nous redisent, tous, qu’en
réalité, on n’a pas à chercher où placer le curseur : il faut plutôt
chercher à supprimer le curseur ! En tout cas, pour Dieu, pas de
curseur, pas de frontière entre les hommes.
On raconte que Gordon Cooper, le premier américain à avoir séjourné
plusieurs jours en orbite autour de la terre, aurait dit quelque chose
comme : « Vue d’ici, la terre est vraiment plus belle : on voit les
continents, les mers, les fleuves, les montagnes… et on se rend bien
compte que les frontières n’existent pas ! » En fait, il ne voyait
évidemment pas les frontières, mais pour être honnête, il ne voyait pas
les hommes non-plus. Il n’en a pas déduit que les hommes n’existent
pas. Mais il voulait dire que les frontières sont bel et bien le seul
fait des hommes. Nous les avons inventées.
Bien sûr, dire qu’il n’y a pas de frontières ne veut pas dire qu’il n’y
a pas de différence, et que nous serions tous pareils et identiques.
Soyons réalistes !
Ce que nous disent chacun des textes de ce jour, c’est que ces
différences doivent être vues bien comme des réalités indéniables, mais
que nous n’avons pas à en créer un problème en y introduisant une
comparaison, une hiérarchie, une échelle de valeurs. Pour simplifier,
on pourrait dire que la différence est le fait de Dieu, l’inégalité est
le fait de l’homme. (x2)
Dans la première lecture, extraite du Livre d’Isaïe, le prophète nous
explique que les étrangers, au jour du salut, seront traités par Dieu
de la même manière que les juifs, sans distinction. Puis le psaume 66
chante les louanges de Dieu, son « salut parmi toutes les nations » :
« que les nations chantent leur joie » « sur la terre, tu conduis les
nations ».
Et puis ensuite, dans la deuxième lecture, St Paul dans sa lettre aux
Romains s’adresse à des étrangers, « vous qui venez des nations
païennes » leur dit-il. Et il leur annonce le salut de Dieu pour tous.
Finalement, il n’y a que Jésus, au début de ce passage d’évangile, qui
nous rappelle le statut privilégié du peuple juif. Il répond à ses
disciples : « je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison
d’Israël ». Il semble donc exclure les étrangers du salut de Dieu.
En réalité, si on regarde plus attentivement tous ces textes, on peut
percevoir ceci : si les « étrangers » sont globalement traités à
égalité avec le peuple élu, le peuple d’Israël, il y a tout de même une
condition importante : Isaïe nous dit de la part de Dieu : « les
étrangers qui se sont attachés au Seigneur pour l’honorer, pour aimer
son nom […] je les conduirai à ma montagne sainte, je les comblerai de
joie […] ». Il y aurait donc nécessité, pour les païens, de se
convertir afin d’obtenir le salut. En affirmant leur foi dans le
Seigneur, les étrangers accèderaient à la miséricorde de Dieu. C’est
cette conviction qui était présente au temps de Jésus. Elle provient
directement de la lecture de la première alliance, l’« Ancien
Testament ».
C’est donc cette conviction que l’on retrouve tout naturellement dans
la bouche de Jésus : le salut est pour les juifs, les étrangers doivent
d’abord se convertir. « Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants
pour le jeter aux petits chiens » On comprend bien que les enfants sont
les Israëlites, les petits chiens sont les étrangers, et le pain, c’est
la Bonne Nouvelle du Salut de Dieu. Mais justement, la femme étrangère
ne va pas s’arrêter à ce rappel. Elle va oser cet acte de foi, cette
conversion, qui lui ouvre le chemin du salut : elle se contentera bien
volontiers des miettes qui tombent de la table. Elle affirme ainsi sa
foi en ce Dieu qui donne tant d’amour à ses enfants que cet amour
déborde. Elle ne nie pas sa différence, elle reconnaît qu’en effet,
elle n’est pas du peuple élu, mais elle démontre à Jésus qu’elle aussi
est croyante. Et Jésus découvre en elle une grande foi : « femme,
grande est ta foi ».
Ainsi Jésus inaugure une nouvelle façon de comprendre le salut. En
réalité, le salut est gratuit. Dieu le propose à tous, en abondance, en
surabondance même, puisqu’il déborde, et tous ceux qui font confiance à
Dieu ont leur part. Sa miséricorde est offerte à tous, comme St Paul
nous l’a rappelé.
Alors, frères et sœurs, puisque Dieu ne traite pas différemment les
personnes différentes, de quel droit bâtissons-nous des barrières entre
nous et ceux qu’on appelle « les étrangers » ? A la lumière de ce
message qui nous est donné aujourd’hui, changeons notre regard afin de
faire grandir dans ce monde la fraternité, qui nous rapproche du
Royaume de Dieu.
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent
Clisson, le 16 août 2020
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