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Jeudi Saint

Jean 13, 1 à 15


« Salut tout le monde ! »

Vous allez peut-être trouver ce salut un peu familier… Un « bonjour » ou un « bonsoir » n’aurait-il pas été plus adapté, plus solennel, en ce Jeudi Saint ? Et pourtant, quoi de plus beau que de souhaiter à ceux que l’on rencontre d’être sauvés ? C’est bien ce que dit ce « salut ! » : « je vous souhaite de connaître le salut », « je vous souhaite d’être sauvé ! » Aujourd’hui, cette façon de « saluer » est devenue socialement réservée à nos proches, nos familiers, nos copains ; pourtant, les militaires s’adressent toujours un salut, obligatoire dès qu’ils se croisent ; comme les Romains se lançaient un « Ave » ; comme nous l’exprimons encore en priant Marie : « Ave Maria / Je vous salue Marie ».
Cela étant, on peut aussi se souhaiter simplement le « bon-jour », se souhaiter de passer une bonne journée, mais qu’est-ce qu’une seule bonne journée, par rapport à l’éternité qui nous est promise par le salut ? Se dire « salut », c’est manifester à l’autre notre souhait qu’il soit sauvé, qu’il connaisse le bonheur de la vie éternelle, de la vie en Dieu, à la suite de Jésus et avec lui. C’est quand-même autre chose !

Le « salut », c’est justement ce dont nous parlent les textes de ce soir…

La première lecture nous raconte que les hébreux, prisonniers de Pharaon, se sont… « sauvés » d’Égypte, ont trouvé leur « salut » en se libérant de l’esclavage et de la soumission. A vrai dire, ils ne se sont pas sauvés tout seuls, c’est Dieu bien-sûr qui les a sauvés. Il s’agit d’un épisode fondateur de l’histoire du salut, tellement important que Dieu prescrit à Moïse tout un rituel pour en faire mémoire de siècle en siècle, rituel toujours pratiqué aujourd’hui par nos frères juifs et par les chrétiens.

C’est justement ce que St Paul nous rappelle dans la deuxième lecture : ce que fait Jésus ce soir-là, au cours de ce repas, n’est que l’observance de ce rituel. Sauf qu’il se l’applique à lui-même : il accomplit le rituel du salut de Dieu le Père, pour que le salut s’accomplisse par lui le Fils. Il actualise l’ancien rite et le mène à son accomplissement. Le pain sans levain qui rappelait l’Ancienne Alliance deviendra, par la parole de Jésus, son corps même, qu’il donnera en sacrifice pour le salut du monde à peine quelques heures plus tard. « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang » : le vin qui marquait le signe de l’Ancienne Alliance devient le sang de Jésus, sang qu’il versera pour sceller la Nouvelle Alliance, c’est-à-dire le salut de tout homme.

Oui, le Salut, c’est le plus cher désir de Dieu, dès l’origine : Dieu veut que tout homme soit sauvé. Et la mission de Jésus, c’est de l’accomplir par son sacrifice : sa mort et sa résurrection. Pour notre Salut, Jésus donne par avance ce que les hommes veulent lui prendre : sa vie. Ce faisant, il inverse le cours des choses : tu veux prendre ? Eh bien je te précède et je me donne ! « Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne.».

Mais alors, quelle conséquence cela engendre t’il pour nous, pour notre vie ? Puisque le Salut offert par Dieu est pure grâce, absolument gratuit, nous n’avons rien à faire pour le mériter ! La vie d’un chrétien ne consiste pas en un long parcours d’obstacles dont le but serait d’arriver à décrocher son propre salut, à force d’efforts et de sacrifices. Le salut est déjà donné ! Jésus n’est pas mort pour rien, tout de même !
       Alors, que devons-nous faire ? Eh bien, le salut donné par Dieu, nous devons en vivre, tout simplement ! Si nous croyons vraiment qu’il nous est donné, il nous est impossible de faire comme si ce n’était pas le cas.

Et comment en vivre ? Jésus ne nous laisse pas sans réponse. Il nous donne des conseils et des rites pour notre vie : « Faites cela en mémoire de moi ». Cette phrase, nous la connaissons bien. Et nous l’associons évidemment, presque par réflexe, à l’eucharistie, que nous perpétuons chaque jour depuis ce premier Jeudi Saint d’il y a 2000 ans dont nous faisons précisément mémoire ce soir. Mais Jésus nous dit la même chose aussi à propos de l’autre geste qu’il fit ce soir-là, et que seul St Jean nous raconte dans son évangile que nous venons d’entendre : « c’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »

Oui F&S, le geste du lavement des pieds a bien la même signification ! Nous rappelant que c’était le sale travail des esclaves de laver les pieds de ceux qui entraient dans la maison, le « maître qui se fait esclave » nous invite nous aussi à « faire cela », comme il l’a fait pour ses disciples. Il nous exhorte à dépasser la seule reproduction des rites : c’est dans la vie de tous les jours qu’il s’agit de nous mettre au service des autres ! Et ce faisant, Jésus nous dit qui est Dieu : celui qui se met au service des hommes, de leur vie, de leur vérité. Pour effacer la saleté ramassée sur nos routes humaines, la pollution inévitable de nos parcours… c’est en cela que nous avons à imiter Dieu lui-même : en aidant les hommes à retrouver leurs priorités.

En grec, serviteur se dit diakonos, mot qui a donné en français « diacre ». Avec mes frères diacres, prêtres et évêques (qui sont aussi ordonnés diacres), j’ai été ordonné pour signifier que le Christ est serviteur, non pas pour avoir l’exclusivité du service, mais pour nous inviter toutes et tous à être au service pour rendre la vie plus humaine. Voilà très simplement le sens du lavement des pieds, dont nous avons fait mémoire symboliquement ce soir en nous lavant les mains à l’entrée de l’église.

Dans son évangile, Jean substitue le lavement des pieds au dernier repas de Jésus. Quel est le lien entre les deux ? Et bien pour servir en plénitude, Jésus se donne en plénitude. Parce que Jésus sait que la nourriture fondamentale de l’homme, ce qui nous fait exister et nous tient en vie, c’est Dieu lui-même, son Père et notre Père ; il sait que ce qui est la source de notre être, c’est l’amour, son amour et notre amour les uns pour les autres ! C’est pourquoi Jésus a choisi le pain et le vin pour signifier son être propre, livré et destiné à nourrir l’humanité. Il avait d’ailleurs déclaré aux Juifs qu’il est « le vrai pain donné pour la vie des hommes ». Et nous savons bien que le pain et le vin, dans nos pays, sont nourriture courante, nourriture de tous les jours, dont le symbolisme est profond : « fruit de la terre et du travail de l’homme », exprimant à la fois le rapport de l’homme avec la nature et le rapport de chacun de nous avec tous les autres… Thèmes chers à notre Pape François, développés dans ses 2 encycliques « Laudato Si » et « Fratelli Tutti ».

Manger du pain fait de farine et d’eau est déjà essentiel pour nourrir notre corps. Mais en chacun de nous, il y a une faim plus forte, une faim d’aimer, de servir, de partager, de construire ensemble, d’aider ceux qui sont en difficulté, d’aspirer au bonheur. Et en Dieu aussi, il y a ce désir permanent de se communiquer à chacun pour combler cette faim. La nourriture, c’est Jésus, Dieu lui-même, donné dans l’Eucharistie.

Au fond, le génie de Jésus est de nous avoir démontré que la meilleure manière de « faire mémoire » du Christ dans toute notre existence, c’est, en communiant, d’adopter une façon de vivre, d’accueillir le monde, les événements de la vie, les personnes qui nous entourent, de se nourrir, de travailler…, qui fait que l’on ne cherche pas à avoir un rapport de domination sur les choses, sur les gens, mais qu’on est prédisposé au partage, au service, à l’accueil, à la diaconie dans tous les gestes du quotidien, aussi petits soient-ils, partout, tout le temps et avec tout le monde… une charité et un amour qui nous entraîne « jusqu’au bout » de nous-mêmes. Dans son homélie pour la messe chrismale, notre évêque disait avant-hier, je le cite : « En ces temps troublés, chahutés que nous connaissons mais qui sont aussi ces temps où nous célébrons un jubilé de l’espérance, Dieu (…) vient nous combler de la puissance de son esprit pour faire de nous maintenant, aujourd’hui, ce peuple chargé d’annoncer à sa suite, joyeusement, l’espérance du salut. (…) Par la grâce des sacrements, notre participation à la mission même de Jésus, devient un aujourd’hui de son action pour le salut des hommes. » CQFD ! C’est bien dans l’exercice de notre mission de baptisé que s’opère le lien entre « le salut », le lavement des pieds et l’eucharistie.

Dans quelques instants, le prêtre dira « Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ». Nous entendons cette parole à chaque messe, peut-être sans l’écouter vraiment, mais ce soir elle reprendra tout son sens : Jésus nous invite, allons-nous refuser ? Non, et nous lui répondrons comme le Centurion dans l’évangile de Luc : « Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. ».

Frères et sœurs, croyons-nous sincèrement en cette Parole-Sacrement qui opère notre salut ?

A bon entendeur : « salut » ! 

Amen


Patrick JAVANAUD

17 avril 2025

 


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