«
Salut tout le monde !
»
Vous
allez peut-être
trouver ce salut un peu familier… Un « bonjour » ou un « bonsoir »
n’aurait-il
pas été plus adapté, plus solennel, en ce Jeudi Saint ? Et pourtant,
quoi de
plus beau que de souhaiter à ceux que l’on rencontre d’être sauvés ?
C’est bien
ce que dit ce « salut ! » : « je vous souhaite de connaître le salut »,
« je
vous souhaite d’être sauvé ! » Aujourd’hui, cette façon de « saluer
» est devenue
socialement réservée à nos proches, nos familiers, nos copains ;
pourtant,
les militaires s’adressent toujours un salut, obligatoire dès qu’ils se
croisent ; comme les Romains se lançaient un
« Ave » ;
comme nous l’exprimons encore en priant Marie : « Ave Maria /
Je vous
salue Marie ».
Cela étant, on peut aussi se souhaiter simplement le « bon-jour », se
souhaiter
de passer une bonne journée, mais qu’est-ce qu’une seule bonne journée,
par
rapport à l’éternité qui nous est promise par le salut ? Se dire « salut
»,
c’est manifester à l’autre notre souhait qu’il soit sauvé, qu’il
connaisse le
bonheur de la vie éternelle, de la vie en Dieu, à la suite de Jésus et
avec
lui. C’est quand-même autre chose !
Le
« salut »,
c’est justement ce dont nous parlent les textes de ce soir…
La
première lecture nous
raconte que les hébreux, prisonniers de Pharaon, se sont… « sauvés
» d’Égypte,
ont trouvé leur « salut » en se libérant de l’esclavage et de la
soumission. A
vrai dire, ils ne se sont pas sauvés tout seuls, c’est Dieu bien-sûr qui
les a
sauvés. Il s’agit d’un épisode fondateur de l’histoire du salut,
tellement
important que Dieu prescrit à Moïse tout un rituel pour en faire mémoire
de
siècle en siècle, rituel toujours pratiqué aujourd’hui par nos frères
juifs et
par les chrétiens.
C’est
justement ce que St
Paul nous rappelle dans la deuxième lecture : ce que fait Jésus ce
soir-là, au cours de ce repas, n’est que l’observance de ce rituel. Sauf
qu’il
se l’applique à lui-même : il accomplit le rituel du salut de Dieu
le Père,
pour que le salut s’accomplisse par lui le Fils. Il actualise l’ancien
rite et
le mène à son accomplissement. Le pain sans levain qui rappelait
l’Ancienne
Alliance deviendra, par la parole de Jésus, son corps même, qu’il
donnera en
sacrifice pour le salut du monde à peine quelques heures plus tard. « Cette
coupe est la nouvelle alliance en mon
sang » : le vin qui marquait le signe de l’Ancienne Alliance
devient
le sang de Jésus, sang qu’il versera pour sceller la Nouvelle Alliance,
c’est-à-dire le salut de tout homme.
Oui,
le Salut, c’est le
plus cher désir de Dieu, dès l’origine : Dieu veut que tout homme
soit
sauvé. Et la mission de Jésus, c’est de l’accomplir par son
sacrifice : sa
mort et sa résurrection. Pour notre Salut, Jésus donne par avance ce que les
hommes veulent lui prendre : sa vie. Ce faisant, il inverse le
cours des
choses : tu veux prendre ? Eh bien je te précède et je me donne ! « Ma
vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui
la donne.».
Mais
alors, quelle
conséquence cela engendre t’il pour nous, pour notre vie ? Puisque le
Salut
offert par Dieu est pure grâce, absolument gratuit, nous n’avons rien à
faire
pour le mériter ! La vie d’un chrétien ne consiste pas en un long
parcours
d’obstacles dont le but serait d’arriver à décrocher son propre salut, à
force
d’efforts et de sacrifices. Le salut est déjà donné ! Jésus n’est pas
mort pour
rien, tout de même !
Alors,
que devons-nous faire ? Eh
bien, le salut donné par Dieu, nous devons en vivre, tout simplement !
Si nous
croyons vraiment qu’il nous est donné, il nous est impossible de faire
comme si
ce n’était pas le cas.
Et
comment en vivre ? Jésus
ne nous laisse pas sans réponse. Il nous donne des conseils et des rites
pour
notre vie : « Faites cela en
mémoire de
moi ». Cette phrase, nous la connaissons bien. Et nous l’associons
évidemment, presque par réflexe, à l’eucharistie, que nous perpétuons
chaque
jour depuis ce premier Jeudi Saint d’il y a 2000 ans dont nous faisons
précisément mémoire ce soir. Mais Jésus nous dit la même chose aussi à
propos
de l’autre geste qu’il fit ce soir-là, et que seul St Jean nous raconte
dans
son évangile que nous venons d’entendre : « c’est
un
exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme
j’ai
fait pour vous. »
Oui
F&S, le geste du lavement des
pieds a bien la même signification ! Nous rappelant que c’était le
sale
travail des esclaves de laver les pieds de ceux qui entraient dans la
maison,
le « maître qui se fait
esclave »
nous invite nous aussi à « faire
cela
», comme il l’a fait pour ses disciples. Il nous exhorte à dépasser la
seule reproduction
des rites : c’est dans la vie de tous les jours qu’il s’agit de nous
mettre au
service des autres ! Et ce faisant, Jésus nous dit qui est Dieu :
celui
qui se met au service des hommes, de leur vie, de leur vérité. Pour
effacer la
saleté ramassée sur nos routes humaines, la pollution inévitable de nos
parcours… c’est en cela que nous avons à imiter Dieu lui-même : en
aidant les
hommes à retrouver leurs priorités.
En
grec, serviteur se
dit diakonos, mot qui a donné en français « diacre ». Avec mes
frères
diacres, prêtres et évêques (qui sont aussi ordonnés diacres), j’ai été
ordonné
pour signifier que le Christ est serviteur, non pas pour avoir
l’exclusivité du
service, mais pour nous inviter toutes et tous à être au service pour
rendre la
vie plus humaine. Voilà très simplement le sens du lavement des pieds,
dont
nous avons fait mémoire symboliquement ce soir en nous lavant les mains
à
l’entrée de l’église.
Dans
son évangile, Jean
substitue le lavement des pieds au dernier repas de Jésus. Quel est le
lien
entre les deux ? Et bien pour servir en plénitude, Jésus se donne en
plénitude.
Parce que Jésus
sait
que la nourriture fondamentale de l’homme, ce qui nous fait exister et
nous
tient en vie, c’est Dieu lui-même, son Père et notre Père ; il sait
que ce
qui est la source de notre être, c’est l’amour, son amour et notre amour
les
uns pour les autres ! C’est pourquoi Jésus a choisi le pain et le
vin pour
signifier son être propre, livré et destiné à nourrir l’humanité. Il
avait d’ailleurs
déclaré aux Juifs qu’il est « le
vrai
pain donné pour la vie des hommes ». Et nous savons bien que le
pain et le
vin, dans nos pays, sont nourriture courante, nourriture de tous les
jours,
dont le symbolisme est profond : « fruit
de
la terre et du travail de
l’homme »,
exprimant à la fois le rapport de l’homme avec la nature et le rapport
de
chacun de nous avec tous les autres… Thèmes chers à notre Pape François,
développés dans ses 2 encycliques « Laudato
Si » et « Fratelli
Tutti ».
Manger
du pain fait de
farine et d’eau est déjà essentiel pour nourrir notre corps. Mais en
chacun de
nous, il y a une faim plus forte, une faim d’aimer, de servir, de
partager, de
construire ensemble, d’aider ceux qui sont en difficulté, d’aspirer au
bonheur.
Et en Dieu aussi, il y a ce désir permanent de se communiquer à chacun
pour
combler cette faim. La nourriture, c’est Jésus, Dieu lui-même, donné
dans
l’Eucharistie.
Au
fond, le
génie de Jésus est de nous avoir démontré que la meilleure manière de «
faire mémoire » du Christ
dans toute notre existence, c’est, en
communiant, d’adopter une façon de vivre, d’accueillir le
monde, les événements de la vie, les personnes qui nous entourent, de
se
nourrir, de travailler…, qui fait que l’on ne cherche pas à avoir un
rapport de
domination sur les choses, sur les gens, mais qu’on est prédisposé au
partage,
au service, à l’accueil, à la diaconie dans tous les gestes du
quotidien, aussi
petits soient-ils, partout, tout le temps et avec tout le
monde… une
charité et un amour qui nous entraîne « jusqu’au bout » de nous-mêmes. Dans son
homélie pour la messe chrismale, notre évêque disait avant-hier, je le
cite : « En ces temps troublés, chahutés que nous
connaissons
mais qui sont aussi ces temps où nous célébrons un jubilé de
l’espérance, Dieu
(…) vient nous combler de la puissance de son esprit pour faire de nous
maintenant, aujourd’hui, ce peuple chargé d’annoncer à sa suite,
joyeusement,
l’espérance du salut. (…) Par la grâce des sacrements, notre
participation à la
mission même de Jésus, devient un aujourd’hui de son action pour le
salut des
hommes. » CQFD ! C’est bien dans l’exercice de notre mission
de
baptisé que s’opère le lien entre « le
salut », le lavement des pieds et l’eucharistie.
Dans
quelques instants,
le prêtre dira « Heureux les invités au repas des noces de
l’Agneau ».
Nous entendons cette parole à chaque messe, peut-être sans l’écouter
vraiment,
mais ce soir elle reprendra tout son sens : Jésus nous invite,
allons-nous
refuser ? Non, et nous lui répondrons comme le Centurion dans l’évangile
de
Luc : « Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis
seulement une parole et je serai guéri. ».
Frères
et sœurs, croyons-nous sincèrement
en cette Parole-Sacrement qui opère notre salut ?
A
bon entendeur :
« salut » !
Amen
Patrick JAVANAUD
17 avril 2025