Mercredi des Cendres


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        Voilà un passage d'évangile dont la construction est remarquable et dont je nous invite à admirer la beauté : il est construit comme une chanson ! Une courte introduction, un refrain, trois couplets d'égale longueur qui traitent chacun d'un thème précis, et rythmés par une phrase centrale qui se répète à chaque couplet. Il ne manque que la musique, mais chacun peut la composer selon sa sensibilité.

Cette construction est en fait un outil pédagogique mnémotechnique : Rappelons-nous dans notre enfance, la psalmodie des tables de multiplications, pour mieux les retenir, ou les rimes utilisées pour bien mémoriser le théorème de Pythagore :

« le carré de l'hypoténuse

est égal, si je ne m'abuse,

à la somme des carrés

des deux autres côtés. »

C'était vraiment efficace, je m'en souviens encore !

Alors, si Jésus aussi utilise ces techniques, c'est pour que son auditoire retienne bien ce qu'il dit. C'est donc que, pour lui, c'est très important !

Il rappelle d'abord les trois comportements à tenir « pour devenir des justes », c'est-à-dire pour faire la volonté de Dieu : l'aumône, la prière, le jeûne. Ce sont les trois thèmes des trois couplets. Pour les contemporains de Jésus, c'est quelque chose de connu et sur lequel tout le monde est d'accord. Ce sont les choses qu'il faut faire. Mais là où Jésus veut attirer notre attention, là il nous enseigne une nouveauté, c'est sur la manière de les faire.

La première partie de chaque couplet raconte, avec un humour presque moqueur, la manière dont certains s'acquittent de ces choses à faire. On imagine Jésus faire des grands gestes pour amplifier le côté grotesque de ces personnages. Cette description se termine, en plein milieu du couplet, à chaque fois par cette sentence : « Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. » Et puis le couplet bascule :

« Mais toi, quand tu fais l'aumône, quand tu pries, quand tu jeûnes… » Attention, Jésus nous donne maintenant un conseil ! Et un conseil personnalisé : « toi, quand tu pries… » Il passe du « vous » au « tu », du général à l'intime, de l'humour au sérieux, pour signifier que ce qui suit est précieux, capital, et nous concerne personnellement. On l'entend presque, à présent, chuchoter à notre oreille : « toi, quand tu jeûnes… »

Et enfin, il termine chaque couplet par le même refrain, qui révèle l'effet de ces conseils sur le Père : Le don d'une récompense ! « Ton Père qui voit dans le secret te le rendra ».

Jésus nous présente un Dieu complètement différent des divinités païennes, et sans doute aussi différent des images que l'on peut avoir de lui. Il est ici question de secret. « Que ton aumône, ta prière, ton jeûne restent secrets ». Voici un Dieu personnaliste, qui entre en relation avec chaque personne, dans le secret, dans son intimité, seul à seul, cœur à cœur. On est loin ici des rites communautaires, visibles et ostensibles que produisent les religions. On est loin des sacrifices spectaculaires effectués par des grands prêtres devant une foule assemblée en grand nombre. Ici, pas d'intermédiaire entre Dieu et l'homme. Rien de spectaculaire, rien de démonstratif. Tout se joue entre Dieu et toi, entre toi et Dieu, dans le secret, dans l'intimité.

Faut-il pour autant rejeter les religions ? Ce n'est pas ce que Jésus nous dit. La religion est un élément essentiel de toutes les sociétés, et c'est par elle que la transmission de la foi peut s'opérer. Quelle serait notre foi, si elle n'avait pas été portée par une religion, par des rites, par des personnes qui ont permis au message de Jésus d'arriver jusqu'à nous ?

Non, ce sur quoi Jésus insiste dans cet enseignement, c'est sur la dimension spirituelle de notre relation à Dieu. Notre esprit est capable d'intimité avec Dieu ; c'est par notre esprit, chacun d'entre nous, que nous pouvons rejoindre son Esprit.

Mais il ne faudrait pas voir dans cet enseignement de Jésus qu'une préférence exclusive pour notre relation personnelle à Dieu. Jésus, dans cet enseignement, nous parle aussi de la dimension spirituelle de notre relation aux autres. Il nous redit que la vraie relation aux autres ne se fait pas dans l'exubérance, dans la démonstration, en se montrant, en se mettant en avant, en recherchant un regard favorable de la part des autres. Elle se vit par l'aumône, la prière et le jeûne.

En effet, ces trois comportements dont Jésus fait l'éloge, à condition des les vivre dans la discrétion, nous mettent en relation spirituelle avec nos frères humains.

Qu'est-ce que l'aumône, sinon la prise en compte des besoins de l'autre ? En donnant une part de ce qui m'appartient à ceux qui en ont le plus besoin, j'entre en relation spirituelle avec mes frères.

Qu'est-ce que la prière, sinon la déposition devant Dieu des souffrances et des attentes des plus petits, des sans voix, des plus humbles ? En priant avec eux, pour eux, c'est par l'esprit que je m'unis à eux.

Et qu'est-ce que le jeûne, si ce n'est la compassion active pour et avec ceux qui connaissent l'indigence, la famine, dont les besoins vitaux sont en danger ? En me privant de nourriture ou de toute autre chose, j'entre en solidarité, en empathie avec mes frères souffrants et démunis.

L'aumône, le jeûne, la prière. Le tout, dans le secret de nos cœurs, qui nous met en communion avec tous nos frères en humanité, en communion avec notre Père, par l'action de l'Esprit qui nous est donné par Jésus.

Chaque jour de ce carême, de cette traversée de 40 jours jusqu'à la Résurrection, gardons au fond de nous cette chanson de Jésus, ces paroles de vérité, qui peuvent nous aider à donner du sens à ce temps privilégié. Notre aumône, notre prière et notre jeûne sont autant d'actions qui nous rapprochent de Dieu et de nos frères, et qui font de nous des coopérateurs de Dieu pour le salut de tous. C'est ce que nous dit St Paul, dans la deuxième lecture de ce soir :

« En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui. »

Vivons pleinement chaque jour de ce carême comme une grâce reçue de Dieu, un jour donné pour nous rapprocher de Lui et de nos frères.

« Le voici maintenant, le moment favorable, Le voici maintenant, le jour du Seigneur ! »

Amen !

Daniel BICHET, diacre permanent
1er mars 2017

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