TOUSSAINT
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Ap 7, 2-4.9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
« La religion, c’est l’opium du peuple ! » disait Karl Marx, et combien
d’autres après lui. Pour un athée, si cette affirmation peut sembler
juste, c’est que la vision qu’il a de la religion, vision extérieure,
est une image fausse. C’est donc, avouons-le, que la religion renvoie
vers l’extérieur une image très déformée de sa réalité, en tout cas
telle qu’elle est vécue, assumée et comprise à l’intérieur.
« Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » nous dit Jésus.
Cette phrase, et aussi les autres béatitudes de l’évangile, ont pu
contribuer à donner cette image illisible, voire révoltante, pour un
non-croyant. En identifiant « la religion » à l’opium, donc à la fois à
une drogue dont on devient dépendant, et un à calmant qui apaise de
manière illusoire nos souffrances, l’athée dévoile sa totale
incompréhension des béatitudes. Mais, s’il lit les béatitudes de
manière littérale, au premier degré, on peut comprendre cette méfiance.
Si, comme il le comprend, ceux qui pleurent dans ce monde seront
consolés dans l’au-delà, alors oui, en effet, ça peut permettre à des
dirigeants de tenir un peuple soumis, dans une situation de précarité
ou de souffrance. Ça peut contribuer à lui faire accepter sa condition,
sa souffrance, en attendant un peu comme une revanche après la mort, en
attendant la consolation promise. Oui, dans ce cas, il s’agit pour le
peuple souffrant d’un opium, dont il espère un apaisement et dont il
reste à jamais dépendant. Mais ça, c’est la lecture au premier degré,
la lecture de l’incroyant.
Alors, moi qui suis venu ce matin à cette messe de la Toussaint, parce
que je viens à la messe tous les dimanches et parfois aussi en semaine
quand je peux ; ou moi qui suis là simplement parce que c’est la
Toussaint et que j’ai l’habitude d’aller à la messe une fois par an,
pour penser à mes défunts ; ou moi qui ne viens dans une église qu’à de
rares occasions, à Noël, à Pâques… ; moi qui ne suis pas vraiment
athée, mais pas vraiment pratiquant non-plus ; moi qui me pose des
questions, ou moi qui ne m’en pose plus depuis longtemps… qui que je
sois, finalement, quelle lecture est-ce que je fais des béatitudes ?
En premier lieu – et c’est toujours ainsi qu’on peut mieux comprendre
un texte, quel qu’il soit – il est important de replacer cet épisode
des béatitudes dans son contexte, celui de l’Évangile. Le message,
qu’on retrouve à chaque chapitre, dans tout le reste des évangiles
– et même dans les autres livres de la Bible – est toujours une
invitation à accueillir Dieu comme un père bienveillant pour chacun de
ses enfants. A travers toutes les paraboles que Jésus raconte, à
travers tous ses gestes de guérison, à travers tous ses enseignements,
il nous fait comprendre que Dieu est notre allié, qu’il nous aime et
veut notre bonheur. Pas un bonheur général – « le bonheur pour tous » –
mais le bonheur de chacun de nous, personnellement. Pas un bonheur
futur, hypothétique, un jour, peut-être, dans l’au-delà, mais notre
bonheur, ici et maintenant. Tout l’évangile consiste à nous révéler ce
visage de Dieu, père aimant, et à nous aider à l’accueillir. Les
Béatitudes sont donc, dans ce contexte, comme un catalogue des voies
qui permettent d’accueillir cet amour de Dieu, et donc d’accéder au
bonheur.
Heureux les doux, ceux qui pleurent, heureux les cœurs purs, ceux qui
pardonnent, ceux qui œuvrent pour la justice et pour la paix. Ces
attitudes sont autant de manières de se situer en vérité devant Dieu,
de choisir de recevoir l’amour de Dieu et de le propager autour de soi,
pour le faire connaître par le témoignage de la douceur, de la pureté
de son cœur, par le pardon, par la pratique de la justice et l’action
pour la paix. Et si ces attitudes sont difficiles à tenir, parce
qu’elles peuvent nous amener à être incompris, moqués, parfois méprisés
ou même martyrisés, elles nous donnent accès au vrai bonheur. Celui de
se savoir aimé de Dieu, sinon des humains ; le bonheur de partager une
bonne nouvelle qu’il nous est impossible de garder pour nous tant elle
nous dépasse, tant elle nous est vitale, cette bonne nouvelle de
l’amour que Dieu veut donner à chaque personne, ici et maintenant. Car
les béatitudes se concluent par un présent : « votre récompense EST
grande dans les cieux ».
C’est pourquoi il est important de s’attacher aux choses « des cieux »
plus qu’à celles de la terre. Les biens spirituels, ceux que nous
proposent les béatitudes, apportent plus de joie, et une joie plus
durable, que les biens matériels qui passent. J’aime bien cet exemple
de la tarte aux pommes : Plus je la partage, moins j’ai de gâteau et
moins chacun en a. On opère une division ; la tarte est un bien
matériel. On s’appauvrit en le partageant. Mais si je partage un bien
spirituel, comme la joie par exemple, alors non seulement je n'aurai
pas moins de joie, mais j’en aurai encore davantage, et tous ceux avec
qui je la partage seront aussi dans la joie. On opère une
multiplication. C’est ainsi que l’on reconnaît un bien spirituel : on
s’enrichit en le partageant.
Ce que je vous dis là, qu’il est plus enrichissant de s’attacher aux
bien spirituels qu’aux biens matériels, ce n’est pas moi qui l’ai
deviné, ni inventé ; ce n’est pas non-plus mon « opinion ». La foi
n’est pas une opinion. Ce que je vous dis là, c’est l’expérience que
font tous ceux qui vivent ces béatitudes, ou qui essaient de les vivre.
Les saints qui nous ont précédés et que nous fêtons aujourd’hui, fête
de tous les saints ; les saints qui vivent parmi nous, le plus souvent
dans une grande discrétion, ceux qui essaient d’accorder leur vie au
plus près des béatitudes, dans leur quotidien, à leur niveau, là où ils
se trouvent. « Ces gens vêtus de robes blanches, qu’ils ont lavées dans
le sang de l’Agneau », c’est-à-dire qui sont sauvés par le Christ. Ils
sont « une foule immense que nul ne peut dénombrer » nous dit la vision
de Saint Jean, et « Ils viennent de la grande épreuve ». Le psaume le
disait autrement : « Qui peut gravir la montagne du Seigneur ? l’homme
au cœur pur, aux mains innocentes… ».
Mais tout cela, malheureusement, reste inaccessible à celui qui rejette
Dieu. St Jean nous le rappelle dans sa lettre, qui était notre deuxième
lecture : « Voici pourquoi le monde ne nous connait pas : c’est qu’il
n’a pas connu Dieu ». On dirait aujourd’hui : « voici pourquoi le
monde ne nous comprend pas : c’est qu’il rejette Dieu ».
Alors, la religion ? opium qui abaisse l’humanité au rang de l’animal,
soumis, impuissant, dépendant et opprimé ? ou au contraire, révélation
qui l’élève jusqu’à la connaissance des réalités de Dieu ? Chemin de
bonheur qui donne accès aux biens spirituels ? La réponse de St Jean :
« Nous le savons : Quand cela sera manifesté, nous serons semblables à Dieu, car nous le verrons tel qu’il est »
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent
1er novembre 2019
Maisdon-sur-Sèvre et Gétigné
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