TOUSSAINT
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Ap 7, 2-4.9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a

        C’est donc aujourd’hui la Toussaint, la grande fête joyeuse de tous les saints, ceux qui nous ont précédés, ceux qui sont parmi nous, ceux qui viendront encore. Fête joyeuse, parce que les saints sont des modèles de joie. Même si leurs vies nous sont parfois racontées comme des souffrances continues, même si beaucoup d’entre-eux ont vécu le martyr, et même si nous héritons des deux siècles précédents où la souffrance pouvait parfois être comprise – mal comprise – comme une nécessité pour être sauvé ; la sainteté, c’est le chemin de la joie. Et la joie, même si elle n’est pas l’exubérance, même si elle est toute intérieure, c’est un signe infaillible du bonheur tout proche.
        C’est pourquoi le texte d’évangile que l’on lit chaque année à la Toussaint, c’est toujours ce passage de l’évangile de Matthieu, que l’on appelle « les béatitudes ». « Heureux les pauvres de cœur, heureux les doux, heureux les artisans de paix, heureux, heureux… »
        Ce texte, nous le connaissons bien – peut-être trop bien ? – nous l’avons sans doute entendu des dizaines de fois. Jésus nous y donne des clés pour comprendre que le bonheur n’est pas tout à fait ce qu’on pourrait croire, en tout cas pas ce que le monde nous fait croire : la réussite, le pouvoir, l’argent, la domination, la possession de biens matériels…
        Non, les « attitudes du bonheur », les béatitudes, sont tout autres. Tellement autres, d’ailleurs, qu’il nous est difficile de bien comprendre ce dont il s’agit. Une première lecture superficielle des béatitudes pourrait laisser penser que pour connaître le bonheur, pour être heureux, il faut être passif, mou, se laisser écraser, sans réaction, se laisser insulter, se laisser persécuter, … bref, juste souffrir, et ça suffirait. Difficile d’adhérer à un tel programme ! Comment croire que Dieu exige de nous une telle attitude ?
        Non, les béatitudes, ce n’est pas la recherche de la souffrance !
Une seconde lecture, peut-être plus approfondie, pourrait laisser penser que Jésus anticipe sur la vie après la mort, ce qu’on appelle le paradis. Comme s’il disait : « souffrez aujourd’hui, ce n’est pas grave ! Demain, vous serez heureux ! » « Après votre mort tout ira bien, et vous serez même vengés, car ceux qui sont heureux aujourd’hui sur terre seront malheureux après leur mort et iront en enfer. » Belle consolation ! Comment un tel discours pourrait-il donner la foi à des milliards de chrétiens de par le monde, depuis deux mille ans ?
        Non, nous le sentons bien, le bonheur, ce n’est évidemment pas ça non plus ! Encore une fausse piste. Ce n’est pas ça que Jésus veut nous dire ! Notre intelligence et notre manière de raisonner nous pousse à tout expliquer, à tout rationaliser. Mais pour comprendre les béatitudes, pour comprendre le message de Jésus, le simple bon sens doit suffire. Pas besoin d’être savant, heureusement ! Jésus lui-même, d’ailleurs, dans le même évangile de Matthieu, en rend grâce à son Père : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. » N’importe qui peut donc comprendre, pas avec le cerveau, mais avec le cœur, cette parole de bonheur.
       
        Qu’est-ce donc que le bonheur, alors ?
        Dans la liturgie de la messe, le mot bonheur n’apparaît qu’une seule fois : c’est juste après la proclamation du « Notre Père ». Vous avez peut-être remarqué que, parfois, le prêtre omet cette prière, et force l’assemblée à continuer : « mais délivre-nous du mal… car c’est à toi qu’appartiennent… » Dommage de « zapper » cette si belle prière, qui est la seule à nous parler du bonheur ! Et que dit-elle, cette prière ?
        Le Notre Père se termine par « délivre-nous du mal » ; la prière dite par le prêtre seul enchaîne : « délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps. Par ta miséricorde, libère-nous du péché ; rassure-nous devant les épreuves en cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus-Christ, notre sauveur. »
        Comme souvent, le « et » doit être compris comme un « c’est-à-dire » : « en cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets, c’est-à-dire l’avènement de Jésus-Christ notre sauveur. » Eh bien, le voilà, le bonheur ! Le bonheur promis par Dieu, c’est l’avènement de Jésus, le Christ ! C’est la venue de Jésus parmi nous ! Et quand vient-il ? après notre mort ? Pas du tout ! « rassure-nous devant les épreuves, en cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets… » C’est bien en cette vie que le bonheur nous est promis !
        Et on voit bien alors que le bonheur dont il est question n’a plus grand-chose à voir avec les représentations que nous en avons habituellement, et que notre monde nous propose. Le bonheur, c’est la présence de Jésus parmi nous, en nous. Ce bonheur-là, celui justement des béatitudes, c’est celui qui remplit notre cœur de joie, de manière discrète mais puissante ; sans débordement, puisqu’il agit au plus intime de nous-mêmes. C’est cette certitude d’être aimé, d’un amour si fort qu’il nous permet de tout supporter avec confiance : « rassure-nous devant les épreuves, en cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets… » Les épreuves nous sont alors supportables ; elles ne sont rien devant cet amour dont nous sommes aimés. Certains même, tellement remplis de cet amour, ont supporté l’épreuve jusqu’au don de leur vie. On les appelle alors des martyrs. Le martyr est celui que l’on tue à cause de sa foi – alors que d’autres « cultures » prétendent que le martyr est celui qui tue pour sa foi. Et ces martyrs, nous les appelons des saints, des bienheureux. Bienheureux car ils ont vécu les attitudes du bonheur : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » Votre récompense est grande, c’est maintenant !

        Si demain sera le jour où nous nous souviendrons avec tristesse de nos morts, de ceux qui nous ont quittés, de nos proches, de ceux qui nous manquent, aujourd’hui est un jour de joie, car nous fêtons les Vivants de la Vraie Vie, ceux qui ont vécu les Béatitudes, pour la gloire de Dieu et le salut du monde ! Pour nous sauver ! Leurs vies nous sont données en exemple, parce qu’elles contribuent à faire advenir le Royaume de Dieu, parce qu’elles participent à notre salut.
Alors, n’ayons pas peur d’être des saints, puisque le bonheur nous est promis. N’ayons pas peur de vivre ces béatitudes, ces attitudes du bonheur, puisqu’elles sont le vrai chemin de la joie qui nous fait approcher le bonheur.

Amen !

Daniel BICHET, diacre permanent
1er novembre 2015
Boussay, Gorges, Clisson


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