Ces
textes que nous venons d’entendre, nous les relisons chaque année à la
Toussaint. Nous les connaissons donc bien. Et comme tout ce que nous
connaissons trop bien, nous les entendons peut-être sans y prêter une
réelle attention, presque machinalement, comme on récite chaque jour
une prière apprise dans notre enfance ; sans y trouver de réelle
nouveauté. Prenons donc un peu de temps pour redécouvrir ce qu’ils
peuvent encore nous dire aujourd’hui.
Faisons tout d’abord un rapide parallèle entre ces textes.
Dans
le livre de l’Apocalypse, qui signifie « révélation », St
Jean nous raconte sa vision d’une foule immense, innombrable, qui
chante dans la joie les louanges du Seigneur. Une foule immense qui,
après « la grande épreuve », vit en présence de Dieu. Que
veut nous dire St Jean ? Ce vers quoi nous allons, tous, c’est
cette vie en Dieu. Notre destination finale, c’est d’être éternellement
en présence de Dieu. Cette foule a été purifiée dans le sang de
l’Agneau, c’est-à-dire qu’elle est sauvée par Jésus qui a donné sa vie
pour nous.
Nous avons ensuite chanté le psaume 23, qui dit la même
chose dans un autre mode, sur un autre registre. Le psaume parle ainsi
de cette vie en Dieu: « Qui peut gravir la montagne du Seigneur,
et se tenir dans le lieu saint ? » la « grande
épreuve » évoquée dans l’apocalypse, c’est, ici, de « gravir
la montagne du Seigneur ». Et le psaume répond aussitôt à sa
propre question : « Qui peut gravir la montagne du Seigneur,
et se tenir dans le lieu saint ? l’homme au cœur pur, aux
mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles ». Il s’agit
encore de cette foule purifiée par le sang de l’Agneau, cette foule
sauvée par le Christ pour peu qu’elle mette sa foi en lui, et en lui
seul.
St Jean à nouveau, dans la deuxième lecture d’aujourd’hui,
résume tout cela par ces 2 phrases : « Lorsque le Fils de
Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons
tel qu’il est. Et tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se
rend pur comme lui-même est pur. »
Voilà donc très rapidement
un éclairage sur la concordance de ces 3 textes, qui présentent tous
une même réalité, une même espérance, mais de manières différentes, car
ils ont été écrits à des époques très éloignées, dans des contextes
très différents, pour des lecteurs eux aussi très différents.
Mais
il nous reste un texte, celui de l’Evangile, que l’on appelle
« les Béatitudes ». Quel lien avec les 3 précédents ? et
que nous disent-ils, ensemble, ces 4 textes ? Attardons-nous un peu plus longuement sur cet évangile.
Lui
aussi, nous le connaissons bien, trop bien sans doute, encore une fois.
D’abord, la béatitude, ce n’est pas « l’attitude béate »,
c’est simplement la traduction d’un mot latin qui signifie
« bonheur ». Les béatitudes sont donc un appel au bonheur. Ce
qui est remarquable dans cette série de situations de bonheur évoquées
par Jésus, c’est qu’elles vont à l’encontre de ce que l’on pense
habituellement : Il nous dit « heureux les doux », alors
que notre société nous incite au contraire à nous endurcir pour dominer
les autres. Ce sont pourtant les doux qui obtiendront la terre
promise ! « heureux les pauvres de cœur », c’est-à-dire
les humbles, ceux qui ne se considèrent pas comme des gens importants.
Ils ne possèdent pas de richesses dans ce monde, pourtant Jésus nous
dit que le Royaume des Cieux est à eux ! Heureux ceux qui ont faim
et soif de justice, ceux qui pleurent, ceux que l’on persécute ;
heureux les miséricordieux – ceux qui savent pardonner. Autant de
marques de faiblesse, et pourtant Jésus nous dit qu’elles sont des
chemins vers le bonheur !
Pour autant, il ne faudrait pas faire
dire à Jésus ce qu’il ne dit pas. Il ne dit pas « ce n’est pas
grave si vous êtes dans une situation de souffrance, vous serez heureux
plus tard, après votre mort. » Belle consolation ! À la
réflexion, ce discours sur la consolation après la mort, ça pourrait
bien nous arranger. En se disant que tout ira mieux après, ça nous
évite de lutter pour que ça aille mieux maintenant. On est ainsi bercé,
endormi par un certain fatalisme somme toute bien confortable. Mais
quand Jésus évoque le Royaume des Cieux, il ne parle pas seulement de
notre vie après la mort ! le Royaume des Cieux, il nous
appartient, à nous, de le faire advenir dès cette vie. Notre mission de
baptisé, ce n’est pas de dire aux hommes « courage, toi qui
souffres, tiens le coup pendant ta vie, tu obtiendras ta récompense au
ciel » ! un tel discours serait indigne d’un chrétien. C’est
tout le contraire, et un de nos cantiques bien connus nous le
rappelle : « Allez dire à tous les hommes : le Royaume
est parmi vous » Ce cantique ne s’adresse pas à des morts, mais à
des vivants ! De même quand nous disons dans le Notre Père
« que ton règne vienne », nous ajoutons « que ta volonté
soit faite sur la terre comme au ciel ». Sur la terre, c’est ici,
et maintenant. Cette demande du Notre Père, c’est ce même Jésus qui
nous l’a enseignée. Elle n’est pas une demande passive « pourvu
que ton règne vienne ! » Elle s’adresse à Dieu, mais c’est
nous qu’elle interpelle. Elle nous met en marche, afin que nous soyons
acteurs de cette venue du Royaume. Et c’est d’ailleurs cette
traduction, « en marche » qu’a choisie André Chouraqui pour
rendre compte de cette dynamique portée par le terme
« heureux » qui revient à chacune des béatitudes :
« Tu es en marche vers le Royaume, en marche vers le bonheur, toi
qui es pauvre de cœur » Oui, les béatitudes, un appel à nous mettre en
marche vers le bonheur, non pas à l’attendre les bras croisés.
« Heureux les doux », ce n’est pas « vous serez heureux
plus tard », mais plutôt « efforcez-vous d’être
doux », car c’est par votre douceur que le règne de Dieu
adviendra. « Heureux les miséricordieux » car c’est en
étant compatissant à la souffrance des hommes, et c’est en pardonnant à
vos frères que vous leur montrerez la vraie nature du Royaume de Dieu.
« Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, heureux les
artisans de paix » car c’est en luttant pour faire advenir la
justice et la paix que l’on bâtit le Royaume de Dieu. « Heureux
les cœurs purs, ils verront Dieu » car c’est avec un cœur pur,
libéré de ses idoles de toutes sortes que l’on peut « gravir la
montagne du Seigneur, et se tenir dans le lieu saint », et voir
Dieu, comme dans cette scène de l’Apocalypse. C’est en nous efforçant
de devenir cet « homme au cœur pur, aux mains innocentes »
dont nous parlait le psaume 23, que nous parviendrons, au terme de la
grande épreuve, en présence de Dieu, rejoignant ainsi tous les saints
qui nous ont précédés, qui sont nos modèles de vie et que nous fêtons
aujourd’hui.
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent.
1er novembre 2008
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