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4° dimanche de Carême
 

Depuis presque un mois , nous sommes en route vers Pâques et nous avons déjà parcouru plus de la moitié du chemin… Aujourd’hui, comme chaque dimanche de Carême, l’Eglise nous invite à marquer une pause et à approfondir le sens de notre démarche. Les textes de la Liturgie sont précisément choisis pour nous aider à faire le point et à éclairer notre route.

Dans la parabole que nous venons d’entendre, Jésus nous invite à purifier le regard, le jugement que nous portons encore souvent sur Dieu et sur nos frères les hommes.

Pour mieux comprendre cette parabole , il nous faut la resituer dans son contexte. Luc nous dit, en introduction : « Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : “Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et mange avec eux !” Cette parabole que nous appelons en France : « la parabole de l’enfant prodigue ou du fils prodigue » est appelée, dans beaucoup d’autres pays : «  la  parabole des deux frères. » En fait, c’est plutôt une parabole sur l’amour miséricordieux d’un Père pour ses deux fils.
La parabole s'étend longuement sur le fils cadet, le prodigue, l’image des publicains et des pécheurs. Rien de son comportement ne nous est caché. Son avidité à se saisir de l'héritage du Père, puis à le dilapider en exil, en terre étrangère, jusqu'à la chute, l'avilissement. L'épreuve ouvre son cœur sur ce qui avait été un mouvement d'égoïsme, d'ingratitude et d'inconscience. Et, dans la misère et le désarroi, il se ressaisit, il prend conscience de la faute commise et, par nécessité, il retourne vers son Père. Le Père, lorsqu’il l’aperçoit, court au devant de lui, se jette à son cou, le couvre de baisers et l’accueille dans la joie, sans un reproche, sans la moindre question humiliante. Bien au contraire, il lui fait apporter robe, anneau et sandales et il fait sacrifier le veau gras, en signe de communion retrouvée.
La parabole est beaucoup plus brève avec le fils aîné, qui est l’image des scribes et des  pharisiens. Pourtant, si on y réfléchit bien, son cas paraît infiniment plus grave que celui du cadet. Certes, il n'a jamais quitté son Père, il est resté à son service, lui a toujours obéi, mais avec une mentalité d'employé. Physiquement présent, il lui est devenu totalement étranger. Dans ses propos colériques, il ne témoigne d’aucun sentiment affectif envers son Père, mais seulement des rapports comptables : «  Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais désobéi à tes ordres, et tu ne m’as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. ». Et, perfide, il ajoute : «  Ton fils que voilà - c'est de son propre frère qu'il parle  ! – est arrivé après avoir dépensé ton bien avec des filles, et tu fais tuer le veau gras pour lui ». Ce fils aîné, par son attitude, s’éloigne encore plus de son père que le cadet. Il n'a que du ressentiment envers lui et de la haine pour son frère. L’histoire n’est peut-être pas terminée, et on peut espérer que l’amour miséricordieux de son père parviendra à le toucher et à le faire revenir à de meilleurs sentiments.
Sur notre route vers Pâques, cette parabole veut nous interroger en vérité sur notre propre attitude. Nous nous comportons parfois, sans même nous en rendre compte, comme le fils aîné. Par l’éducation que nous avons reçue, nous sommes spontanément dans une mentalité de justice, une justice qui récompense ou qui punit. Nous voulons que le bien soit récompensé et non pas le mal comme cela semble être le cas ici. Pourtant, Jésus nous invite à passer de cette mentalité de justice implacable à une mentalité de miséricorde. Il est normal de se réjouir du bien et de le rechercher mais Jésus  nous invite, à être, comme lui, pleinement solidaire de la tendresse, de la miséricorde du Père pour tous les hommes, pour les plus pauvres d’entre eux et pour ceux qui se savent pécheurs.
Je voudrais vous donner un exemple. J’ai un ami de longue date qui m’a partagé une grande souffrance. Il ne vit pas du tout dans notre région et donc personne d’entre vous ne le connaît. Il y a de nombreuses années, il a vécu le divorce et s’est remis en couple quelques années plus tard. Il est profondément croyant et veut garder à tout prix un lien avec l’Eglise qu’il aime profondément. Il anime d’ailleurs des émissions sur une radio chrétienne de sa région et est engagé dans plusieurs associations caritatives. Il va régulièrement à la messe le dimanche avec son épouse  - sans pouvoir communier - et un jour, comme la paroisse recherchait des animateurs pour les chants, il se propose pour assurer ce service car il en a les compétences. Il s’entend répondre que, même s’il en a réellement les compétences, on ne peut pas faire appel à lui car beaucoup de paroissiens connaissant sa situation familiale, risqueraient d’être choqués de voir un divorcé assurer ce service. Ils ont été blessés, lui et son épouse, par cette réaction culpabilisante mais ils continuent néanmoins à participer à la vie paroissiale. Je ne veux  ici accuser personne mais je me dis que nous tous, à tous les niveaux de l’Eglise, nous devrions nous remettre en cause et tout faire pour accueillir nos frères comme Jésus savait si bien le faire. Ne soyons pas des juges, incapables d’ouverture et de pardon. C’est un tel comportement qui risque de nous éloigner de Dieu.
Rappelons-nous ces paroles de Jésus : « Si tu présentes ton offrande à l’autel et que là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère, et alors tu viendras présenter ton offrande » (Mat. 5, 23-24). A plus forte raison devons-nous nous réconcilier avec notre frère lorsque, nous-mêmes, nous avons quelque chose contre lui.
Revenons à la parabole. Les paroles et les gestes du Père sont encourageants. A son fils cadet, il ne dit rien mais il lui manifeste son amour miséricordieux par des gestes de tendresse. Après il déclare à ceux qui l’entourent : «  Mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé ». Voici la joie de Dieu, la joie du berger qui retrouve la brebis perdue, la joie du ciel qui se réjouit pour un pécheur qui se repent.
Avec son fils aîné, le Père a aussi des paroles extraordinaires : «  Toi, mon fils, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ». Nous restons confondus de stupeur devant une telle confession. Aux yeux du Père, l'aîné, même s’il ne le manifeste pas, reste toujours aussi proche de lui, aussi baigné de son amour, aussi entouré de sa tendresse. Alors, pourquoi cette jalousie de l'aîné pour le cadet ? Ce que le Père a fait pour l'un ne retire rien à l'autre. Il fallait l'étroitesse d'esprit, la sécheresse de cœur de l'aîné pour ne pas le comprendre.
En ce temps de Carême, il nous appartient de nous laisser habités et aussi bousculés par cette parabole. Nous sommes appelés à nous convertir, c’est-à-dire à nous tourner résolument vers notre Père qui est un Dieu miséricordieux et à aimer nos frères sans les juger dans leurs rapports avec Dieu.
Paul, dans sa lettre aux Corinthiens, nous dit que Jésus nous a réconciliés avec Dieu et que notre mission, c’est de travailler à cette réconciliation. Dieu nous invite donc à nous laisser réconcilier avec lui et avec tous nos frères et il redit à chacun de nous ce soir (ce matin) : «  Tout ce qui est à moi est à toi »  ! Et, il nous le prouve encore, au cours de cette eucharistie que nous sommes en train de vivre, en nous donnant son Fils.

André ROUL
14 mars 2010

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