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2° dimanche de Carême

        Dans notre vie, il existe des moments décisifs, qui orientent notre présent et notre avenir, des moments qui paraissent parfois difficiles à comprendre lorsqu’ils surviennent, mais dont le sens s’éclaire progressivement à partir de ce qu’ils auront révélé. Abraham dans la première lecture, Pierre, Jacques et Jean dans l’évangile, vivent une théophanie, une manifestation de Dieu : un moment décisif qui fait sens. Et pour Dieu qui s’engage avec le Christ, c’est aussi un moment décisif.
        Dans le livre de la Genèse, Dieu fait sortir Abraham pour qu’il aille certes dans un autre pays, mais fondamentalement pour qu’il advienne, comme le dit le texte original en hébreu : lèr lera : va vers toi-même ! Et Abraham eut foi, confiance dans cet appel, qui n’est autre qu’une invitation à vivre du neuf, à engendrer dans la foi une communauté humaine qui dépasse toute possibilité et désir humains. Mais pour nous aujourd’hui qui méditons sur ce texte ancien, le tableau se voile quelque peu, avec l’image du sacrifice des animaux pendant l’étrange sommeil d’Abraham. A cette époque, rendre grâce à une divinité passait par un sacrifice d’animaux. Mais le Seigneur introduit ici une nouveauté. Auparavant, lors d’un rite d’alliance, pendant lequel un contrat était scellé, les contractants passaient entre les chairs sanglantes, pour appeler sur eux le sort faits à ces victimes s’ils transgressaient un jour leur engagement. Avec le symbole du feu, c’est Dieu lui-même qui passe, et il passe seul, car son Alliance est un pacte irrévocable. Dieu s’engage pour toujours, quelles que soient les dérives de l’homme, que celui-ci s’écarte ou non du pacte d’alliance. C’est ce même Dieu, ce même engagement envers l’humain, qui nous rejoint aujourd’hui : même si nous « dérivons », Dieu est toujours engagé, présent, avec une bonté infinie pour chacune, chacun d’entre nous. Ne sommes-nous pas déjà touchés par une telle attention à notre égard ?

        Mais Dieu n’a pas limité son engagement à une torche enflammée qui passe entre des animaux sacrifiés. Cet engagement de Dieu s’est finalement « humanisée » en Jésus-Christ, engendré par Dieu comme l’un de nous, parmi nous, avec nous, pour nous. Oui, comme le chante le psaume, nous pouvons alors voir les bontés du Seigneur sur la terre des vivants, portés par la force de l’espérance, la force de l’engagement qu’il a mis en nous. Avant même la résurrection, qui ne sera jamais vue en direct, survient cette étonnante scène de la transfiguration du Seigneur. L’homme Jésus, entouré de trois disciples, revêt un instant les attributs d’un corps glorieux, irradié par l’énergie divine, par l’amour du Père. Il reste homme, mais sa divinité se manifeste à nos sens.
        La transfiguration, moment de rencontre entre ciel et terre, entre notre monde et l’autre monde. Moïse représente la loi, Élie représente les prophètes : la première Alliance se transmet à l’Alliance définitive en Christ, qui reste seul au terme de la vision, et qui porte la nouvelle Alliance à son achèvement. Don d’une Parole pour Abraham, don d’une personne, le Christ, pour ses disciples, c’est-à-dire pour nous. Il n’est plus question pour Dieu de passer entre des carcasses d’animaux pour rappeler le sort de ceux qui oublieraient l’alliance, il est question, pour Dieu fait homme, d’aller jusqu’au don ultime de lui-même, pour signifier qu’il n’est que don, et nous invite à être don. Se donner à l’autre, à ses semblables, ce n’est surtout pas s’oublier ni s’épuiser. Soyons très attentifs à cela. Se donner à l’autre, à ses semblables, c’est « être avec », en frère et sœur de la même famille humaine, dans la maison commune qu’est notre terre.
      
        Avec la transfiguration, nous savons qu’avant la résurrection, il y a la passion. Avant la vie définitive, il y a la mort. Avant l’amour, il y a le rejet. Avec la transfiguration, nous ne sommes pas dans le registre du pouvoir divin qui écrase, mais de la lumière qui éclaire le vécu. Nous rejoignons alors les paroles de Saint Jean : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père. Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Un jour nous lui serons semblables ». Saint Paul, dans la 2ème lecture, ne dit pas autre chose, quand il dit que notre citoyenneté est dans les cieux. Oui, mais cette beauté divine vers laquelle nous sommes orientée, semble bien cachée. Nous sommes plus familiers du Calvaire que du Thabor. L’actualité du monde, l’actualité de l’Église parlent davantage de croix que de transfiguration. Comment ces croix peuvent-elles aboutir à une transfiguration dans nos vies ? Question difficile… Je cite ici quelques mots du Père Teilhard de Chardin, jésuite du 20ème siècle, dans son ouvrage « Le Milieu Divin ». Quelques mots exprimés en langage contemporain, et nous en avons parfois besoin…

        « Demandons-nous comment nos morts apparentes, c'est-à-dire les déchets de nos existences, peuvent être intégrées dans l’établissement, autour de nous, du Règne de Dieu. (…) Il est bien des cas où notre sagesse est complètement déconcertée : disparitions prématurées, accidents, affaiblissements de l’être. Sous de pareils coups, l’Homme ne se relève dans aucune direction appréciable... Comment se peut-il que ces « morts » deviennent pour nous un bien ? En fait, Dieu transfigure nos souffrances en les orientant vers notre achèvement. Entre ses mains, les forces qui nous diminuent deviennent l’instrument qui taille, sculpte, polit en nous, la pierre destinée à tenir un lieu précis dans la Jérusalem céleste ». Et ne sommes-nous pas déjà transfigurés par l’Eucharistie ?


Christophe DONNET, Diacre permanent
17 mars 2019
Paroisse Saint-Benoît – Diocèse de Saint-Étienne



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