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Le plus petit... En lisant les
textes d’aujourd’hui, il m’est apparu qu’une place particulière y est
faite aux plus petits. Dès le début de la première lecture, le prophète
Michée interpelle le tout petit village de Bethléem : “Toi, Bethléem
Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c'est de toi que je ferai
sortir celui qui doit gouverner Israël.” Et dans ce passage d’évangile,
avant cette salutation d’Elisabeth à Marie sa cousine, le premier
mouvement est celui de Jean-Baptiste, fœtus de six mois, qui tressaille
de joie à l’approche de Jésus, embryon d’une ou deux semaines à peine.
Voilà comment Dieu aime se
manifester auprès des hommes : en passant par les plus petits.
Bethléem, à l’époque du prophète Michée, est une petite bourgade,
semblable à bien d’autres, et très modeste vis-à-vis de l’orgueilleuse
Jérusalem, la capitale prestigieuse, où siègent les rois et où est
vénérée l’Arche d’Alliance. C’est pourtant de Bethléem, et non pas de
Jérusalem, que sortira le roi David, qui, avant d’être le grand roi
d’Israël, était lui aussi un plus petit, le plus petit de tous les fils
de Jessé.
Jean-Baptiste, dans le sein d’Elisabeth, ce tout petit, si fragile, si
invisible, sera plus tard un grand prophète. Jésus dira même de lui
« En vérité, je vous le dis, parmi ceux qui sont nés d'une femme,
il ne s'en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste. » (Mt 11,11)
Jésus lui-même, dans ce passage d’évangile, encore si petit, tout juste
conçu dans le sein de sa mère, et que Jean-Baptiste peut déjà
reconnaître, deviendra le plus grand personnage de l’Histoire des
hommes.
Tout cela, par l’action de l’Esprit Saint. Car, en réalité, le
personnage central de cet épisode, c’est bien l’Esprit Saint. C’est
l’Esprit Saint qui a permis à Marie de concevoir son enfant. C’est
poussée par l’Esprit Saint que Marie se rend chez sa cousine pour
l’assister pendant sa grossesse. C’est encore l’Esprit Saint qui fait
tressaillir Jean-Baptiste dans le sein de sa mère. C’est l’Esprit Saint
enfin qui vient envahir Elisabeth et qui, par sa bouche, « d’une voix
forte » nous dit St Luc, annonce la Bonne Nouvelle de Dieu : L’enfant
que porte Marie, c’est le Seigneur, c’est Dieu lui-même !
On le voit, c’est par les plus
petits que l’Esprit Saint peut le mieux agir pour nous révéler Dieu. Le
regard de Dieu pour les plus petits est un regard toujours
bienveillant, un regard qui fait confiance, qui aide à grandir. En se
révélant à travers les plus petits, Dieu nous aide à changer notre
regard, en bousculant nos priorités, en reconsidérant la hiérarchie de
nos valeurs.
Et notre monde, lui, quel regard
porte-t-il sur les plus petits ? Est-il encore capable de voir à
travers eux la révélation de Dieu ? En ces temps proches de Noël, où
l’enfant de la crèche a pratiquement disparu des cartes postales, au
profit d’un vieux monsieur tout en rouge et à la grande barbe blanche,
quelle place laisse-t-on aux faibles et aux petits ? Quand les médias
diffusent en continu des messages publicitaires incitant à consommer de
plus en plus, quelle place est laissée aux pauvres, à ceux qui n’ont
pas les moyens de suivre ce rythme effrénée du gaspillage des biens ?
Parmi cette débauche de lumières, de décorations exubérantes et
luxueuses qui envahissent nos rues et nos magasins, quelle place est
laissée aux plus humbles, aux plus discrets ?
Peu de place, ou pas de place, en
tout cas pas de juste place pour les plus petits. Dès l’école, où les
programmes sont écrits pour que tous, vaille que vaille, suivent le
même parcours unique et obligatoire, le plus longtemps possible.
Désormais nos enfants ne sont plus « accompagnés dans leur croissance
», mais « évalués sur leurs compétences ». Ceux pour qui le parcours
est trop difficile ? Rien pour eux. Pas de place. Pas de structure
adaptée aux plus petits, aux délaissés de l’enseignement. Il faut
compter sur de rares initiatives privées pour accueillir ces élèves en
grande difficulté, ou ceux qui ne répondent pas aux normes établies.
Dans nos entreprises, c’est souvent le rendement qui gouverne. Ceux qui
ne tiennent pas le rythme finissent par être éjectés à un moment ou à
un autre. Les plus petits, les plus vulnérables, là encore, se
retrouvent au bord du chemin. Même nos lois parfois négligent les plus
faibles et renforcent le pouvoir des forts. Or, quelle est la raison
d’être d’une loi ? Une loi existe quand les plus forts prennent
conscience que les plus petits ont besoin d’être aidés et soutenus par
les plus forts. La loi n’existe que pour protéger les plus petits de la
puissance des plus forts. Pourtant, il y a déjà bien longtemps que
notre société a relégué le tout-petit au rang d’insignifiant, et même
de négligeable. Depuis la loi qui a dépénalisé l’avortement, on nous
fait croire qu’il est devenu un droit, le droit de certains adultes de
disposer de la vie ou non de ces êtres humains les plus vulnérables qui
soient, sans défense, sans voix. Aujourd’hui encore, certaines
corporations font voter des lois pour préserver leurs propres intérêts,
sans se soucier des conséquences pour les plus vulnérables. Des groupes
de pression se mobilisent et saturent les média pour faire accepter
l’idée que l’enfant devienne un objet, auquel tout le monde aurait
droit, au nom de je ne sais quelle supposée égalité ; quel que soit le
moyen pour obtenir cet enfant, même s’il faut le fabriquer dans des
éprouvettes, ou dans le ventre d’une mère inconnue, moyennant un
vulgaire contrat de location valable neuf mois. De proche en proche,
insidieusement, la société post-moderne commence à évacuer les plus
petits, le plus faibles, les plus vulnérables. Comme elle a évacué
Dieu. La place du tout petit est réduite à presque rien, parce que la
place de Dieu est réduite à rien du tout.
Nous qui croyons en un Dieu qui
aime les plus petits, ne restons pas les bras croisés ! Comme Marie,
poussée par l’Esprit, s’est rendue en toute hâte chez sa cousine pour
l’aider dans sa grossesse, hâtons-nous, nous aussi, de nous porter au
secours des plus petits, qui sont si chers au cœur de Dieu. Par la
prière si nous n’avons que ce moyen, par l’action si nous nous en
sentons la force, ce ne sont pas les chantiers qui manquent ; par la
mobilisation comme nos évêques nous y invitent en ce moment. Faisons
entendre la voix des plus petits, des pauvres, des oubliés, des sans
voix. Portons-les dans nos prières, afin que nos décisions, dans tous
les domaines, prennent en compte leurs besoins, leur fragilité, leur
existence si précieuse.
Ce tout-petit dont nous nous
apprêtons à fêter la venue, cet enfant Jésus si pauvre et si fragile,
ce Dieu qui se fait homme par la venue d’un nouveau-né, nous invite par
sa naissance dans des conditions si précaires à prendre soin des plus
petits. Que la joie de Noël nous habite tout au long de l’année, et
nous aide à ouvrir les yeux sur les plus petits de nos frères.
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent.
Clisson et Boussay, 22-23 décembre 2012
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