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5° dimanche du Temps Ordinaire

Is 6, 1-2a.3-8 ; Ps 137 ; 1Co 15, 1-11 ; Lc 5, 1-11
 
 
        La Bible de Jérusalem intitule le passage de l'Evangile de Luc que nous venons d'entendre: « l'appel des quatre premiers disciples ». Et pourtant, j'ai eu beau chercher, on ne parle que de Simon, Jacques et Jean; le quatrième n'est pas nommé. Mais ce titre m'a incité à lire les textes de ce jour à la lumière de cette préoccupation qui est la nôtre aujourd'hui : La crise des vocations. Est-ce que nous ne sommes pas dans le même état d'esprit que Simon-Pierre et ses compagnons qui, ce matin-là, lavaient leurs filets après une nuit d'efforts infructueux. Pendant que la foule se pressait pour écouter Jésus et entendre la parole de Dieu, on les imagine faisant leur métier machinalement, habités par un fort sentiment d'échec, et un peu étranger à ce qui se passe à côté d'eux. Lorsqu'on a travaillé pour rien, la fatigue se fait sentir encore plus durement, et le découragement nous guette. Pourtant, Simon ne rechigne pas quand Jésus s'installe dans sa barque et lui demande de prendre un peu de distance pour lui permettre de mieux se faire entendre de la foule qui se presse sur le rivage. Faire çà ou autre chose... de toute façon, la journée est perdue !

        Par contre, lorsque Jésus, ce terrien qui n'y connait rien à la pêche lui demande d'avancer au large pour jeter les filets, il réagit; « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre; » sous-entendu, si çà n'a rien donné cette nuit, on a encore moins de chance maintenant; c'est peine perdue. Et pourtant, est-ce parce que ce terrien a guéri sa belle-mère quelques jours plus tôt que le patron-pêcheur se ravise et accepte de faire confiance ? « mais sur ton ordre, je vais jeter les filets. » Et c'est la pêche miraculeuse. Un petit acte de foi tout simple a déclenché la puissance de Dieu. Notons que Jésus n'aurait rien fait sans le savoir faire professionnel de Simon, et sans sa réponse libre. C'est souvent dans le quotidien que Dieu provoque la rencontre. Et le prodige qui en résulte, deux barques remplies de poissons en un seul coup de filet, fait mesurer aux pêcheurs la puissance de celui qui a pris place dans la barque: « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pècheur. » crie Simon-Pierre en tombant, saisi d'effroi, aux pieds de Jésus. Qui peut regarder l'oeuvre de Dieu sans en être ébloui ?

        L'effroi qui saisit Pierre et la conscience aigüe de son péché peuvent nous sembler relever de cette religion de la crainte dont l'affaire est définitivement classée. Mais force est de constater que cet effroi ne naît ni d'une menace ni d'un reproche, mais de l'expérience d'un don surabondant : la pêche infructueuse qui a donné au delà de toute mesure est, pour Simon-Pierre et ses compagnons, une véritable expérience spirituelle, au même titre que la vision qu'Isaïe nous relate dans la première lecture, au même titre que la rencontre que Paul a faite sur le chemin de Damas et à laquelle il fait allusion : « Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l'avorton que je suis. » Quelle que soit la forme de la rencontre, cette expérience de Dieu fait mesurer à celui qui la vit l'écart considérable qui existe entre le créateur et sa créature. En entendant les séraphins se crier l'un à l'autre: « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l'Univers ! » Isaïe se dit: « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures. » Devant la sainteté de Dieu, c'est le péché qui marque la condition humaine, qui apparaît à tous ceux qui vivent cette rencontre. Et Pierre, qui connaissait l'homme Jésus, vient de faire l'expérience que Jésus est aussi « le tout-Autre » c'est à dire vraiment Dieu. Au début du récit, il appelle Jésus « Maître », maintenant, il l'appelle « Seigneur ».

        Mais paradoxalement, malgré ce fossé vertigineux qui sépare la créature de son créateur, la rencontre n'écrase pas la créature. Au contraire, elle la guérit, la purifie, la relève : « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. » Et cette expérience est si forte qu'elle donne des ailes à celui qui la vit : « Moi, je serai ton messager : envoie-moi. » Je crois que toutes les vocations s'enracinent dans une expérience spirituelle de cette nature, une expérience qui fait date, une expérience qui permet de dépasser le sentiment de l'impuissance, de l'indignité, pour faire confiance à celui qui appelle. Ecoutons St Paul: « Je ne suis pas digne d'être appelé Apôtre, puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu. Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu. » Et la grâce de Dieu avec lui fait des merveilles dans l'univers des païens  où il va jeter le filet de l'Evangile avec l'intrépidité qu'on lui connait. Plus que des poissons, c'est la surabondance des dons de Dieu qui a rempli la barque de Pierre et celle de ses compagnons au point qu'ils ont pu entendre et prendre au sérieux la vocation de l'Eglise que Jésus leur confie ce matin là : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Quand il s'agit de poisson, le filet les arrache à leur milieu naturel pour leur ôter la vie. Mais quand il s'agit des hommes, c'est pour les sauver que le filet les arrache à la mer, pour leur donner un surcroît de vie.

        En s'installant dans la barque de Pierre ce matin là, Jésus n'a-t-il pas voulu nous dire qu'il avait besoin de l'Eglise pour proclamer sa Parole et pour sauver le monde ? Et pour ce faire, il ne recrute pas ses témoins parmi les surhommes, mais parmi la foule des gens ordinaires qui portent le poids de leurs limites, de leurs doutes, de leurs erreurs. « Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j'ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés... » nous dit Paul.  Le Christ est mort pour combler l'abîme qui nous séparait de la Sainteté de Dieu, et pour nous permettre cette rencontre extraordinaire qui nous ouvre des horizons insoupçonnés. Encore faut-il que, génération après génération, des témoins, des disciples missionnaires acceptent de se lever pour transmettre le relai. Dans notre vieille Europe, les vocations sacerdotales se font rares ; ça provoque chaque baptisé à prendre au sérieux sa vocation de prêtre, de prophète et de roi, et c'est une très bonne chose ; il n'y a pas lieu de désespérer.
Il est même encourageant de savoir qu'il y a plus de séminaristes aujourd'hui dans le monde qu'il n'y en a jamais eu. A nous de les encourager en soutenant financièrement leur formation. Soyons sans crainte : le Seigneur n'appelle pas des gens capables, mais il rend capable ceux qu'Il appelle ; c'est ça la grâce. Le Seigneur est avec nous, assis dans la barque; il nous suffit de croire en lui, de lui faire confiance et d'être disponible à sa Parole pour découvrir ce à quoi il nous appelle et que la pêche soit miraculeuse.


Jean-Jacques BOURGOIS
10 Février  2019
Le Clion, Les Moutiers et La Plaine


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