Frères & sœurs,
Nous pourrions être tentés, à la lecture de ce passage d’évangile, de le rapporter à notre expérience personnelle. Qui d’entre-nous, en effet, n’a jamais prié avec insistance pour obtenir de Dieu quelque chose qui lui tenait à cœur sans avoir été exaucé ? Alors, emportés par le découragement, nous avons cessé de prier, persuadés que Dieu n’en fait qu’à sa tête et qu’il n’écoute pas les prières que nous formulons. Pire encore, si nous en avons tiré une loi générale : Dieu n’intervient jamais pour changer le cours des choses, donc, la prière de demande ne sert à rien !... Or ce n’est évidemment pas de cela dont il s’agit dans l’évangile que nous venons de lire…
Pour en comprendre le sens, il faut, comme toujours, remettre la Parole dans son contexte. Il s’agit, pour Jésus, de répondre à une question que lui ont posée les pharisiens (en amont de l’extrait de ce jour) : « Quand donc vient le Règne de Dieu ? » La date de la venue du « Règne de Dieu » était en effet la grande question pour le judaïsme du temps de Jésus. (Les rabbins s’attachaient à chercher des signes qui permettraient de fixer cette date.) Sous cette appellation « Règne de Dieu », on mettait toutes les espérances d’un peuple qui, tout au long de son histoire, avait connu quantité de malheurs. Cette espérance était essentiellement politico-religieuse : on attendait, on espérait, avec la libération de l’occupation étrangère, une ère de prospérité et de bonheur. Jésus lui-même a centré toute sa prédication sur cette annonce de la venue du « Règne de Dieu », mais dans un sens différent : il ne s’agit plus, pour lui, d’une libération politique, mais d’une libération plus essentielle : une libération de tout homme et de tout l’homme, esclave de l’esprit du mal. C’est en ce sens qu’à la question des pharisiens, Jésus répond : « Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. On ne dira pas : ‘le voici’ ou ‘le voilà’. En effet, le Règne de Dieu est parmi vous. »
Comme nous aujourd’hui, les premières générations, qui se rappelaient ces mots de Jésus (" le Règne de Dieu est parmi vous ") s’étonnaient de voir que, depuis son départ, rien n’avait changé. Les choses suivaient leur cours, les injustices se multipliaient, la violence allait grandissante et, en plus, ils étaient victimes des premières persécutions. Ils avaient beau prier « délivre-nous du mal », Dieu restait sourd et donc ils risquaient de se décourager, de se dire : « A quoi bon prier ! » C’est pourquoi Luc leur rappelle avec quelle insistance Jésus recommande de « toujours prier sans se décourager. » Mais, dans sa réponse, Jésus ne parle pas de n’importe quelle prière de demande : il ne s’agit pas d’une petite et banale demande personnelle ; d’après le contexte, il s’agit d’une des demandes que Jésus leur a recommandé de faire lorsqu’ils s’adressent à « notre Père » : il faut lui redire : « Que ton Règne vienne. »
D’où la petite parabole du mauvais juge et de la pauvre veuve. Si ce juge mauvais, qui ne respecte pas Dieu et qui se moque des hommes est capable de régler l’affaire de la pauvre veuve simplement parce qu’elle lui casse les pieds, à plus forte raison Dieu, qui est notre Père, va nous faire justice, sans délai, sans tarder. Vous demandez à Dieu que son Règne vienne ? Et bien, il est là, « parmi vous », mais nous, nous avons à l’accueillir. Et la prière, inlassable, répétée sans cesse, n’a qu’un seul but : nous ouvrir, chacun de nous personnellement, et ouvrir notre humanité à cet accueil du « Règne de Dieu » et des valeurs qui le constituent.
On ne comprend rien à la nécessité de la prière si on ne se souvient pas qu’elle a pour but, non de changer Dieu, mais de changer celui qui prie, comme l’a enseigné Saint Augustin. Et à ce propos, j’ai plaisir à vous partager cette belle comparaison d’un Père de l’Eglise (dont j’ai oublié le nom) qui disait : « tu es dans une barque reliée au rivage par une longue corde. Tu tires sur la corde et tu as l’impression que le rivage se rapproche de toi ; en réalité, c’est toi qui te rapproches du rivage. Tu ne vas pas changer Dieu ni son dessein d’amour sur le monde en priant sans cesse, mais tu vas adhérer de plus en plus à ce dessein d’amour qu’il met en œuvre pour notre monde, et ainsi tu vas y apporter ta collaboration. »
« Que ton Règne vienne »… bien sûr, à voir ce qui se passe dans notre monde – et je ne vais pas ici énumérer ses turpitudes – on risque de désespérer et de se décourager. Par contre, une prière incessante nous permettra de considérer tout ce qui advient de bien, de grand, de beau et de vrai dans notre monde. « Ne nous laisse pas entrer en tentation »… certes, nous côtoyons tous des personnes qui ont peur de l’avenir et ne savent plus voir les progrès qui se font jour… mais non F&S, il ne s’agit pas, pour le chrétien, d’un optimisme béat ni d’un culte du progrès ; il s’agit d’observer avec confiance ce qui advient de bien : le Règne de Dieu, « règne de vérité, de justice, de paix et d’amour. »
C’est pourquoi Jésus nous exhorte à manifester notre confiance en Dieu – c'est cela, la foi – et à ne pas renoncer, même lorsque tout semble aller de travers. Qu'allons-nous répondre à Jésus qui se demande d'un air désabusé s'il trouvera encore la foi sur la terre lors de son retour à la fin des temps ? Si notre attitude est une attitude de démission devant les aléas de la vie, les misères et les souffrances de ce temps, si nous ne manifestons plus aucune confiance en l'avenir, la foi disparaitra, effectivement. Mais, ‘’Dieu merci’’, aujourd'hui comme hier, beaucoup d'hommes, de femmes et de jeunes continuent à marcher avec confiance et à contribuer à la construction d'un avenir plus beau, selon le dessein de Dieu, et à manifester ainsi la puissance de son amour pour l'humanité.
Alors frères et soeurs, comment ne pas reconnaître là, l’expression missionnaire de notre Eglise que nous célébrons comme chaque année en ce 29ème dimanche du temps ordinaire, le dernier jour de la Semaine missionnaire mondiale ? L’occasion de nous souvenir que la patronne des missions est une petite jeune fille qui n'a jamais quitté le carmel de Lisieux où elle a vécu et prié de 16 à 24 ans : Sainte Thérèse de l'enfant Jésus. Elle nous montre que la prière des enfants a une force inouïe pour transformer le monde. Le moment également de nous rappeler que, comme baptisés, nous avons tous reçu une triple mission : celle de prêtre, de prophète et de roi. Une mission qui nous invite à prier sans cesse ce Dieu qui nous aime, qui nous envoie pour témoigner du Christ - image de son amour - et pour servir nos frères et sœurs en humanité en partageant la Bonne nouvelle du Salut.
Ce qui importe en fin de compte, c’est d’être pour les autres, ces juges qui leur rendent justice et apaisent leurs douleurs. Ce faisant, nous travaillerons à l’avènement du « Règne de Dieu » et nous témoignerons de l’efficacité de la prière fervente. Car si Dieu agit dans la vie des hommes, c’est toujours par l’entremise d’autres hommes qu’il le fait. Soyons donc F&S, ces outils dont Dieu se servira pour rendre notre monde plus juste, et comme le disait un prêtre africain : « pour que cela soit possible, il nous faut ‘’prier les bras en croix le Dieu qui n'aime pas les bras croisés’’ ».
Pour
conclure, nous pressentons que la persévérance est nécessaire, comme
nous le montre aussi la première lecture. Nous retenons de ce récit la
persévérance de Moïse à tenir les bras levés pour que son peuple
continue à vivre : si Moïse baisse les bras, c’est fichu. Or, vous
l’avez remarqué : les deux compagnons l’aident à tenir les bras
levés. Alors, faisons nôtre cette attitude : si nous baissons les bras,
appuyons nous sur notre prière communautaire ; nous faisons alors
Eglise et nous recevons force et courage pour continuer. C’est le sens
de la prière universelle que nous allons porter ensemble après avoir
proclamé notre foi ; c’est le sens de la mission universelle de
l’Eglise, que nous célébrons en ce jour.
Dans quelques instants, Jésus se rendra présent ici, sur cet autel. Il
vient parce que nous le demandons dans la prière eucharistique prononcée
par le prêtre au nom de notre communauté ; il vient parce qu’il
trouve la foi. Le Christ vient à nous, afin de nous aider à construire
un peu chaque jour notre vie et notre agir pour un quotidien plus juste,
plus fraternel et plus priant.
Que
cette eucharistie nous donne les moyens d’y arriver.
Amen.
Patrick JAVANAUD, diacre permanent
Paroisse Saint Matthieu sur Loire (44)
19 octobre 2025