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29° dimanche du Temps Ordinaire

Lc 18,1-8

Frères et sœurs bien-aimés, la prière est le thème qui traverse les textes de ce jour. Et en préparant cette homélie, j'ai été impressionné par une phrase du cardinal Etchegaray.

Cette phrase à elle seule peut résumer toute la liturgie de ce dimanche : « prier les bras en croix le Dieu qui n'aime pas les bras croisés ».

Prier les bras en croix. C'est l'attitude de Moise sur la colline pendant que Josué et le peuple livraient bataille aux Amalécites.

Prier le Dieu qui n'aime pas les bras croisés. C'est l'attitude de la veuve de l'évangile.

Revenons tout d'abord sur la belle figure de Moïse élevant les bras afin que le peuple hébreux gagne la bataille dans la première lecture ! Qu'est-ce que cela veut dire ? Que c'est le Seigneur qui donne la victoire, mais qu'il ne la donne pas sans la participation de Moise. Non pas qu'il ne le peut pas, mais il ne le veut pas. Le peuple ne le peut pas être libéré et ne peut pas vaincre sans la participation d'au moins un de ses membres. Sans qu'au moins un membre de ce peuple ait entendu et répondu à cet appel à la liberté.

Prier Dieu ne nous dispense pourtant pas de prendre nos responsabilités. Les bras levés de Moise symbolisent ce que dit le proverbe africain : « Soulève ta charge jusqu’aux genoux, on t’aidera à la placer sur ta tête ». Et dans le même élan Saint Augustin disait : « Dieu qui nous a créés sans nous, ne nous sauvera pas malgré nous ».

Dans l’évangile, l'enseignement de Jésus nous encourage à la prière de demande. Que demande la veuve ? La veuve demande justice. Et que promet Jésus ? Jésus promet qu'à notre demande, la justice de Dieu sera donnée. Mais comment donc la justice de Dieu viendrait-elle répondre à notre prière ? Et quelle prière mérite d'être exaucée ?

Il convient d'abord que notre prière se fasse juste, c'est-à-dire ajustée à la volonté de Dieu et à sa propre justice, souvent bien différente de la justice des hommes et de leurs vues.  Ensuite, notre prière nous engage. Le Seigneur, je l'ai dit, veut libérer le peuple avec la participation du peuple. Le peuple gagne le combat à la prière de Moise, mais non pas sans combattre. Ou, pour dire les choses autrement, la prière de Moïse est efficace lorsque ses bras sont levés. Et il ne peut tenir seul les bras levés !  Ses bras ne sont-ils pas soutenus par des membres du peuple ? Cela veut dire qu'une prière sans soutien n'est pas efficace. Cela veut dire qu'une prière de justice qui ne serait pas soutenue par des œuvres de justice n'est pas juste. Cela veut dire que c'est ensemble à la fois que nous prions, et que nous pratiquons la justice. Et ainsi nous permettons à la justice de Dieu de venir répondre à notre prière. Il est aussi question de prière persévérante. C'est l'objet même de la parabole : Jésus dit une parabole pour montrer à ses disciples qu'il faut prier sans se décourager.

Dans la Bible, les faibles n'ont souvent pas d'autre recours que Dieu. La pauvre veuve a trouvé un moyen à sa portée pour lutter. Pourtant, les veuves, du temps de Jésus, étaient les plus faibles parmi les faibles, car les femmes n'avaient pas de capacité civile et juridique. Une femme devait, en toute affaire publique, se faire représenter par un homme.  Pour une veuve, si elle n'avait pas par chance un fils adulte, les choses devenaient très compliquées. Les juges devaient se saisir de leur dossier et les représenter eux-mêmes. Mais si un juge n'avait pas envie de faire son devoir, qui allait le contraindre ? Quel homme allait l'obliger à faire son devoir ?

Théoriquement, notre veuve devrait abandonner. Mais elle se cramponne à son droit, et pour arriver à faire fléchir ce juge cynique, elle choisit l'arme des faibles avec un fort caractère : la persévérance, la répétition, le harcèlement, le scandale public. Jusqu'à ce que l'autre craque.

Pour vous convaincre de la ténacité de la veuve, faites un tour au supermarché avec un enfant au rayon des bonbons et vous verrez. Mais la prière consisterait-elle à harceler Dieu, jusqu'à ce qu'il cède à nos réclamations, ou nos désirs, voire nos caprices ?

En fait, la prière paraît faible et même ridicule dans notre monde et devant ses problèmes. La prière aussi ne dispose pas d'armes puissantes ou de moyens de coer-cition. Elle n'a que sa persévérance, sa confiance et son sens de la justice. La veuve arrive à la fin à ce que le juge fasse son devoir, ce pourquoi on l'a nommé juge. La veuve l'a rappelé à l'honneur de son état et à sa vraie vocation. La prière aussi s'efforce de ne pas jouer simplement le rapport de forces, mais d'aller dans le sens de la justice et de la paix. Le croyant qui prie ne peut jamais le faire pour ses seuls intérêts, il doit voir le monde avec les yeux de Dieu et penser à tous.

Mais combien il est difficile d'être persévérant dans la prière. Combien on se laisse vite décourager ! Combien on est tenté de céder aux arguments du genre : « On n'a pas le choix. » Combien on est tenté de baisser les bras.

Le dernier enseignement qu'on peut en tirer est que la prière est un partage avec Dieu ; un partage du souci et de la peine que nous avons, mais aussi un partage du souci et de la peine que Dieu a pour le monde. La prière est un engagement de toute la personne et de toute une vie.

La prière est confiance en Dieu et accueil de la confiance que Dieu met en nous. La prière nous change, et c'est pour cela qu'elle change quelque chose dans le monde.

Mais pour que cela soit possible, il nous faut « prier les bras en croix le Dieu qui n'aime pas les bras croisés ».

Que cette eucharistie nous stimule à la persévérance dans la prière. Ainsi, nos demandes trouveront grâce devant le Christ qui règne pour les siècles sans fin.

Amen !


Père Jean-Victoire Katchia KABLAN (Vicaire, paroisse Notre Dame d’Afrique de Biétry, Côte d’Ivoire)                            

Octobre 2019

                 


 

 

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