Frères
et sœurs
bien-aimés, la prière est le thème qui traverse les textes de ce jour.
Et en
préparant cette homélie, j'ai été impressionné par une phrase du
cardinal
Etchegaray.
Cette
phrase à
elle seule peut résumer toute la liturgie de ce dimanche : « prier
les bras
en croix le Dieu qui n'aime pas les bras croisés ».
Prier
les bras en
croix.
C'est l'attitude de Moise sur la colline pendant que Josué et le peuple
livraient bataille aux Amalécites.
Prier
le Dieu qui
n'aime pas les bras croisés. C'est l'attitude
de la veuve de
l'évangile.
Revenons
tout
d'abord sur la belle figure de Moïse élevant les bras afin que le peuple
hébreux
gagne la bataille dans la première lecture ! Qu'est-ce que cela veut
dire ? Que
c'est le Seigneur qui donne la victoire, mais qu'il ne la donne pas sans
la
participation de Moise. Non pas qu'il ne le peut pas, mais il ne le veut
pas. Le
peuple ne le peut pas être libéré et ne peut pas vaincre sans la
participation
d'au moins un de ses membres. Sans qu'au moins un membre de ce peuple
ait
entendu et répondu à cet appel à la liberté.
Prier
Dieu ne nous
dispense pourtant pas de prendre nos responsabilités. Les bras levés de
Moise
symbolisent ce que dit le proverbe africain : « Soulève ta
charge
jusqu’aux genoux, on t’aidera à la placer sur ta tête ». Et
dans le
même élan Saint Augustin disait : « Dieu qui nous a créés sans nous,
ne nous
sauvera pas malgré nous ».
Dans
l’évangile, l'enseignement
de Jésus nous encourage à la prière de demande. Que demande la veuve
?
La veuve demande justice. Et que promet Jésus ? Jésus promet
qu'à notre
demande, la justice de Dieu sera donnée. Mais comment donc la
justice de
Dieu viendrait-elle répondre à notre prière ? Et quelle prière mérite
d'être
exaucée ?
Il
convient
d'abord que notre prière se fasse juste, c'est-à-dire ajustée à la
volonté de
Dieu et à sa propre justice, souvent bien différente de la justice des
hommes
et de leurs vues. Ensuite,
notre prière
nous engage. Le Seigneur, je l'ai dit, veut libérer le peuple avec la
participation du peuple. Le peuple gagne le combat à la prière de Moise,
mais
non pas sans combattre. Ou, pour dire les choses autrement, la prière de
Moïse
est efficace lorsque ses bras sont levés. Et il ne peut tenir seul les
bras levés
! Ses bras ne sont-ils
pas soutenus
par des membres du peuple ? Cela veut dire qu'une prière sans
soutien n'est
pas efficace. Cela veut dire qu'une prière de justice qui ne serait pas
soutenue par des œuvres de justice n'est pas juste. Cela veut dire que
c'est
ensemble à la fois que nous prions, et que nous pratiquons la justice.
Et ainsi
nous permettons à la justice de Dieu de venir répondre à notre prière. Il
est
aussi question de prière persévérante. C'est l'objet même de la
parabole : Jésus dit une parabole pour montrer à ses disciples qu'il
faut prier
sans se décourager.
Dans
la Bible, les
faibles n'ont souvent pas d'autre recours que Dieu. La pauvre veuve a
trouvé un
moyen à sa portée pour lutter. Pourtant, les veuves, du temps de Jésus,
étaient
les plus faibles parmi les faibles, car les femmes n'avaient pas de
capacité
civile et juridique. Une femme devait, en toute affaire publique, se
faire
représenter par un homme. Pour
une
veuve, si elle n'avait pas par chance un fils adulte, les choses
devenaient
très compliquées. Les juges devaient se saisir de leur dossier et les
représenter eux-mêmes. Mais si un juge n'avait pas envie de faire son
devoir,
qui allait le contraindre ? Quel homme allait l'obliger à faire son
devoir ?
Théoriquement,
notre
veuve devrait abandonner. Mais elle se cramponne à son droit, et pour
arriver à faire fléchir ce juge cynique, elle choisit l'arme des faibles
avec
un fort caractère : la persévérance, la répétition, le harcèlement,
le
scandale public. Jusqu'à ce que l'autre craque.
Pour
vous convaincre
de la ténacité de la veuve, faites un tour au supermarché avec un enfant
au
rayon des bonbons et vous verrez. Mais la prière consisterait-elle à
harceler Dieu, jusqu'à ce qu'il cède à nos réclamations, ou nos
désirs, voire
nos caprices ?
En
fait, la prière
paraît faible et même ridicule dans notre monde et devant ses problèmes.
La
prière aussi ne dispose pas d'armes puissantes ou de moyens de
coer-cition.
Elle n'a que sa persévérance, sa confiance et son sens de la justice. La
veuve
arrive à la fin à ce que le juge fasse son devoir, ce pourquoi on l'a
nommé
juge. La veuve l'a rappelé à l'honneur de son état et à sa vraie
vocation. La
prière aussi s'efforce de ne pas jouer simplement le rapport de forces,
mais
d'aller dans le sens de la justice et de la paix. Le croyant qui prie ne
peut
jamais le faire pour ses seuls intérêts, il doit voir le monde avec les
yeux de
Dieu et penser à tous.
Mais
combien il
est difficile d'être persévérant dans la prière. Combien on se laisse
vite
décourager ! Combien on est tenté de céder aux arguments du genre : « On
n'a
pas le choix. » Combien on est tenté de baisser les bras.
Le
dernier
enseignement qu'on peut en tirer est que la prière est un partage avec
Dieu ;
un partage du souci et de la peine que nous avons, mais aussi un partage
du
souci et de la peine que Dieu a pour le monde. La prière est un
engagement de
toute la personne et de toute une vie.
La
prière est
confiance en Dieu et accueil de la confiance que Dieu met en nous. La
prière
nous change, et c'est pour cela qu'elle change quelque chose dans le
monde.
Mais
pour
que cela soit possible, il nous faut « prier les bras en croix le
Dieu
qui n'aime pas les bras croisés ».
Que cette eucharistie nous
stimule à la persévérance
dans la prière. Ainsi, nos demandes trouveront grâce devant le Christ
qui règne
pour les siècles sans fin.
Amen !
Père
Jean-Victoire
Katchia KABLAN (Vicaire, paroisse
Notre Dame d’Afrique
de Biétry, Côte d’Ivoire)