Cette semaine, en roulant sur les routes de Vendée, de
Maine
et Loire ou encore de Mayenne lors de mes déplacements professionnels, je
regardais dans les champs les moissonneuses batteuses en plein travail. Je
les
regardais avec une pointe de nostalgie me souvenant de mes jeunes années,
dont
une partie passée en exploitation agricole, puis au lycée agricole près de
Valence, dans la Drôme. Je dois avouer aussi qu’il m’est arrivé de pester
lorsque l’une de ces moissonneuses, devant moi sur la route, me faisait
rouler
à 20 à l’heure ! Mais finalement, cela m’a rendu service car cela m’a
donné le
temps de méditer sur l’Evangile de ce dimanche. Il y est question de
moisson,
décrite par Jésus comme abondante mais malheureusement avec des ouvriers
trop
peu nombreux. Il y est aussi question de Paix, que Jésus invite ses
disciples à
aller porter de maison en maison, la proposant à ses habitants. Et j’ai,
bien
sûr, pensé à ce que nous vivons en ces temps tragiques de l’épouvantable
agression russe sur le peuple ukrainien qui a perdu dans les
bombardements,
aveugles ou non, qui massacrent tant de civils innocents, la saveur de la
Paix.
Et nous savons bien aussi que cette guerre cruelle, sauvage, et inhumaine,
impacte bien au-delà de l’Ukraine en mettant en tension la production de
céréales, dans un pays qui nourrit tant de populations dans le monde grâce
à
ses exportations de blé et d’autre.
Alors oui, en voyant tourner les moissonneuses dans nos
campagnes paisibles, en pensant à ces images d’immeubles d’habitations,
d’hôpitaux, d’écoles, de centres commerciaux déchiquetés par les bombes
russes
en Ukraine, je me suis dit que nous ne connaissions pas notre chance de
vivre
dans un pays en paix.
Et cette réflexion m’a fait percevoir à quel point
cette
paix est au cœur de ce que Jésus nous demande de faire vivre, de porter,
de
transmettre, à nous, chrétiens qui voulons vivre en témoins acteurs de son
message.
La Paix, est un état très paradoxal dans les
aspirations
humaines. A la fois chacune et chacun la recherche, pour soi-même - ne
dit-on
pas : « j’aimerais avoir la paix », ou bien « fiche moi la paix » - et
pour
notre communauté, on dira par exemple « j’habite dans un quartier paisible
», «
on a la chance de vivre dans un pays en paix ». Et à la fois, on le voit
bien
dans l’histoire et encore aujourd’hui, et parfois pour nous-mêmes, nous
sommes
trop souvent saisis de la tentation de l’affrontement, de la division, du
conflit, qui nous fait nous éloigner de cette paix. Tout au long de la
Bible,
le peuple élu n’a guère vécu en paix ! Nombreux sont les récits de
guerres, de
pillages, d’annexions de territoires, de déportations, de destructions de
villes. La 1ère lecture, du Livre d’Isaïe, nous le rappelle, qui rapporte
les
paroles de Dieu, par la bouche du prophète, adressées à la ville de
Jérusalem
qui subit régulièrement, et encore de nos jours, les outrages de la guerre
: «
Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et, comme un torrent
qui
déborde, la gloire des nations ». Croire en Dieu, se dire chrétien,
catholique,
protestant, orthodoxe ou autre, c’est, obligatoirement, choisir la paix
plutôt
que la guerre, le pardon et la miséricorde, plutôt que le conflit et
l’affrontement. Et Saint Paul nous le rappelle dans sa lettre aux galates
que
nous avons entendu en 2nde lecture « Pour tous ceux qui marchent selon
cette
règle de vie et pour l’Israël de Dieu, paix et miséricorde ». La Paix
n’est pas
la soumission à l’autre, elle est recherche de communion avec chacun. Elle
est
une attitude centrale au cœur de notre Foi chrétienne. Elle se sème, elle
s’entretient, elle se cultive.
Elle se cultive, et donc il faut la moissonner si on
veut en
recueillir les grains. Et pour cela, il n’y a jamais assez de bras !
Jésus, à
son époque, semble déjà rencontrer les soucis de main d’œuvre dont
souffrent
aujourd’hui nombre de structures, à commencer par les établissements de
santé.
« La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux ». Et
pourtant,
le besoin est là ! L’Evangile nous dit qu’il « envoie encore 72 disciples,
en
avant de lui. ». 72 est un nombre symbolique. Il nous rappelle les 72
langues
confondues à la Tour de Babel, et encore les 72 descendants issus de Noé,
énumérées au chapitre 10 du livre de la Genèse. L’évangéliste fait ici
allusion
à la somme totale des peuples et nations, issus de Noé, répartis sur la
terre.
Manière de signifier que Jésus confie à ses disciples, nous confie, le
soin de
faire parvenir l’Évangile à toutes les nations du monde. Il symbolise
l'universalité de l'envoi vers toutes les nations, pour porter le message
de
Paix qui est au cœur de l’Evangile. Mais la tâche est immense, et la
ressource
humaine toujours limitée. Alors Jésus nous invite à « prier le maître de
la
moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson ». Et nous pouvons, encore
aujourd’hui, prier avec ardeur, avec ferveur, pour que se lèvent, parmi le
peuple des baptisés, au sein de nos communautés paroissiales, des artisans
de
paix, des bâtisseurs d’Amour.
Et nous pouvons aussi décider d’agir comme nous y
appelle le
Christ. Sa feuille de route est claire : Ne pas marcher seul (il est dit
qu’il
les envoya 2 par 2), aller au-devant de lui (et ne pas se réfugier
derrière la
facilité de penser que Jésus, seul, peut tout faire à notre place), oser
nous
lancer dans la mission, tels que nous sommes, avec nos manques, nos
fragilités
(« Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales »), accepter de nous
confronter à
la difficulté, voire à l’hostilité (« comme des agneaux au milieu des
loups »),
ne pas perdre de temps en chemin pour ne pas nous détourner de l’essentiel
(«
ne saluez personne en chemin »), et, toujours, porter la paix comme
témoignage
et l’offrir à celles et ceux que la mission nous fait rencontrer.
Alors, en ce début d’été, signe de repos pour les uns, de solitude pour les autres, période d’accalmie dans notre pays en paix, et de souffrances insupportables pour les peuples qui subissent la guerre, sachons répondre à l’appel du Christ de nous mettre en chemin pour porter la paix à celles et ceux que nous rencontrons, que nous côtoyons. Cela peut être sur nos lieux de vacances, dans nos quartiers, dans nos communautés paroissiales, dans nos familles, « en toute ville et localité où Jésus lui-même allait se rendre ». Et chaque fois que nous contribuons à ce que la Paix fasse reculer la violence de l’affrontement, du conflit, ou de la haine, chaque fois que nous tendons la main plutôt que montrer le poing, nous pouvons avoir la certitude de vivre la promesse que nous fait le Christ à la fin de ce texte d’Evangile : « Le règne de Dieu s’est approché de vous ». Puisse ce règne nous garder dans la paix, et nous faire moissonneurs de cette paix, la paix de Jésus-Christ, la paix de son Esprit.
Olivier RABILLOUD, diacre permanent
St Vincent de Paul,
3 juillet 2022