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Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ

Ex 24, 3-8
Ps 115 (116), 12-13 ; 15-18
He 9,11-15
Mc 14, 12-16 ; 22-26

          Mettons-nous un instant à la place d’une personne, totalement ignorante de notre foi, qui aurait poussé ce matin la porte de l’église et qui aurait écouté, comme nous, les textes de la Bible que nous venons de lire. Qu’avons-nous entendu ? Il est question dans ces textes de sacrifice, d’immolation, d’aspersion de sang, de purification par le sang... le mot sang, par exemple, est revenu onze fois. Qu’est-ce que c’est que cette religion qui parle un tel langage ? Mais en même temps, dans ces quatre lectures : livre de l’Exode, psaume 115, lettre aux Hébreux, Evangile de Marc, il a aussi été question de salut, de libération, d’action de grâce, d’alliance... Comment comprendre ces apparentes contradictions dans les mots ? Que veulent nous dire ces textes bibliques, à nous, aujourd’hui ?
Commençons tout d’abord par lever un contre-sens : Dans toute la Bible, lorsqu’il est question de sang, il ne s’agit pas d’une allusion à la mort comme ce serait le cas aujourd’hui. Il s’agit au contraire d’une façon de parler de la vie. Pour les Anciens, le sang est ce qui caractérise le vivant, par rapport au non-vivant, à l’inerte, au matériel. Le sang ne circule que dans des êtres vivants. Cette ambiguïté étant écartée, on peut déjà regarder les textes d’aujourd’hui sous un autre angle, avec un a priori différent. Considéré de ce point de vue, l’expression « verser son sang » ne signifie plus « mourir », ou « être tué », mais devient « donner sa vie », ce qui est considérablement différent !

          Le rite qui nous est décrit dans la première lecture est très anciens, puisqu’il était en vigueur déjà du temps de Moïse ; il date donc d’au moins 3000 ans. C’était un rite d’alliance entre deux personnes, ou entre deux clans, deux groupes humains ; un genre d’association, de contrat, où chacun faisait des concessions en vue de s’allier à l’autre partie. Et ce contrat était scellé par le sacrifice sanglant d’un animal. Moïse ne fait qu’appliquer les usages en vigueur pour signifier une autre alliance, mais la grande nouveauté, c’est que cette alliance est conclue entre Dieu et ce tout petit peuple qui ne s’appelle pas encore Israël. Et Jésus lui-même, dans l’évangile que nous venons d’entendre, perpétue un rituel instauré depuis Moïse, au cours du repas pascal. Mais Jésus, lui aussi, apporte une nouveauté inouïe, puisqu’il remplace le sacrifice de l’agneau par le don de sa propre vie. Le sacrifice pascal, c’est désormais le sacrifice de Jésus lui-même.
Attardons-nous un instant aussi sur ce mot « sacrifice » qui peut peut-être heurter nos sensibilités. Je ne vous l’apprends pas, le mot « sacrifice » est devenu désuet ; il a pris une connotation assez négative, dans une société qui évolue vers un individualisme où la recherche du bien-être personnel est devenu incontournable, et donc où  l’idée même de sacrifice peut paraître incongrue. En réalité, le sacrifice, c’est ce qui rend sacré, c’est-à-dire ce qui sépare des choses ordinaires, du profane, pour en faire une offrande à Dieu. C’est ce que fait Jésus en se plaçant lui-même en victime du sacrifice pascal : il donne sa vie et la tourne vers Dieu. Littéralement, il sacrifie sa vie à Dieu. Le « sacrement » est le signe qui rend visible à nos yeux cette réalité invisible qu’est le sacrifice de Jésus. C’est le sens de ce que nous fêtons aujourd’hui : « le Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ ». Sacrifier sa vie à Dieu, c’est aussi ce que vivent les personnes que l’on dit « consacrées » : ils font de leur vie entière une offrande à Dieu. Mais pas par je ne sais quelle obligation, ni par plaisir, ni par masochisme : par amour, et pour le salut de l’humanité entière, comme Jésus lui-même. En définitive, pour chacun de nous.

           Si ce mot sacrifice est souvent mal accepté, mal compris, c’est qu’il implique une démarche coûteuse : le sacrifice de soi. Nous vivons dans une société où le bien-être est tellement glorifié que tout ce qui peut y faire obstacle semble devoir être écarté : c’est pourquoi la souffrance est perçue comme indigne, car elle s’oppose au bien-être. La souffrance est pourtant bel et bien une caractéristique de notre existence humaine, nous ne le savons que trop ! Mais dans ce contexte, elle représente une gêne, voire pour certains une honte, une indignité. Dans cette logique, le sacrifice qui s’impose alors n’est pas le sacrifice de soi, mais le sacrifice des autres, de ceux qui nous montrent une souffrance que nous jugeons insupportable. Si nous n’y prenons pas garde, nous nous dirigeons vers un monde où les plus forts, ceux qui sont bien-portants, décrèteront que les malades ou les personnes en fin de vie dans des conditions difficiles, sont indignes de vivre. Et on brandit déjà comme un droit le fait de désirer « mourir dans la dignité », ce qui revient à prétendre que celui qui souffre est indigne de vivre ! Comme on trouve à présent normal de sacrifier la vie d’un enfant qui naîtrait avec un handicap plutôt que de chercher des solutions pour accueillir dignement sa vie qui est un don de Dieu, on s’achemine doucement mais sûrement vers cet autre sacrifice, celui à l’autre bout de notre existence, qui consiste à permettre de supprimer une vie finissante lorsqu’elle nous semble indigne, simplement parce qu’elle dérange notre conception du bien-être. Aucun chrétien ne peut accepter cela. Aucun chrétien ne peut tolérer que le sacrifice de l’autre soit préféré au sacrifice de soi. Aimer, c’est préférer l’autre à soi. Ceux qui aiment vraiment le savent.

          En agissant ainsi, l’homme se prend pour Dieu, en se voulant maître de la vie et de la mort. Puisqu’il est capable de supprimer la vie, il se croit aussi capable d’en être le créateur. L’homme veut remplacer Dieu. Quelle prétention ! C'est exactement ce qui constitue le péché originel, la racine du mal qui est au coeur de l'homme.
Mais entre ses deux extrémités que sont la naissance et la mort, n’avons-nous pas aussi à considérer les sacrifices que nous faisons, parfois à bon compte, de la vie des autres ? Avec quelle indifférence regardons-nous le presque milliard d’êtres humains qui meurent de faim ou qui souffrent du manque d’eau potable ? Plus proche de nous, comment sacrifions-nous, au profit du nôtre, le bonheur de certaines personnes, en les ignorant simplement parce que leur misère, leur handicap ou leur maladie nous met mal à l’aise ? Toute vie humaine, parce qu’elle est don de Dieu, à l’image de Dieu, est d’égale dignité, de son début à sa fin naturelle, sans oublier toute sa durée entre ses deux extrémités.

          Toi qui as poussé ce matin la porte de cette église, tu comprends peut-être mieux, à présent, de quel sacrifice nous parlons. Le seul sacrifice qui soit digne, c’est le sacrifice par amour, c’est le sacrifice de soi pour les autres. Le sacrifice suprême, c'est celui que nous revivons à chaque messe : c'est le sacrifice du Christ Jésus qui, par amour, donne sa vie, son corps et son sang, en sacrement pour toi, pour moi, pour chacun de nous.

Amen !


Daniel BICHET, diacre permanent.
Boussay et Clisson, le 10 juin 2012


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