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Ascension


Nous voici donc rassemblés, au milieu de la semaine, comme un dimanche, pour cette messe de l’Ascension. Nous avons entendu plusieurs textes nous parler, avec des mots différents, de Jésus qui « monte » au ciel, qui est « enlevé au ciel ». Voilà des affirmations qui nous posent plus de questions qu’elles ne nous donnent de réponses. Mais qu’est-ce que c’est que ce ciel ? Vers quel ciel Jésus est-il donc « monté » après sa mort et sa résurrection ? Est-ce là où vont aussi ceux qui meurent ? Où sont-ils ? Et moi, est-ce que j’irai aussi ? Ces questions qui sont les nôtres, qui sont celles de tout homme, quelles que soient ses croyances, personne ne peut y apporter une réponse définitive.
Essayons tout de même d’y voir un peu plus clair, et à défaut de pouvoir comprendre comment tout ça a bien pu se passer, tentons au moins de discerner un sens à cet événement. Car nous ne nous sommes pas déplacés aujourd’hui simplement pour commémorer un événement du passé, mais pour y chercher un sens pour notre vie d’aujourd’hui.
Ce que les récits des apôtres manifestent, c’est que Jésus, après sa résurrection, est retourné auprès du Père. Puisque nous disons « notre Père qui es aux cieux », il était naturel de choisir le terme d’ascension pour décrire ce mouvement : de la terre où nous vivons, vers le ciel où Dieu réside. Mais il faut bien sûr entendre ces mots comme des manières bien pauvres d’exprimer ce qui est impossible à décrire. Le ciel où Dieu réside n’est pas le ciel où passent les nuages et les oiseaux. Ce n’est pas un lieu géographique ni même cosmique. Est-ce d’ailleurs un lieu ? Dieu n’est pas soumis, comme nous, à l’espace et au temps. On peut donc imaginer le fait de rejoindre Dieu plutôt comme un état, c’est-à-dire comme une manière particulière d’être auprès de Lui. Manière d’être évidemment indescriptible, puisque, justement, nous sommes astreints à l’espace et au temps, et il nous est par conséquent impossible d’imaginer un état dans lequel le temps n’a plus cours et l’espace n’est plus limité.
Peut-être, cependant, pourrait-on mieux se représenter ce qu’est le ciel dans lequel Jésus est monté, en se mettant par imagination dans la peau d’un enfant à naître, enfant dans le ventre de sa mère. Peut-être pourrons-nous mieux comprendre notre futur en revisitant notre passé. Fermons donc les yeux quelques instants et replongeons-nous par la pensée dans notre toute, toute petite enfance...

Ma vie dans le ventre de ma mère n’est que relation. Relation privilégiée avec elle, bien sûr. C’est d’elle que me vient la nourriture, tout ce qui me fait exister, évoluer, grandir. Nourriture que je n’ai même pas besoin d’aller chercher puisqu’elle m’est apportée directement par le cordon ombilical. Je suis en relation on ne peut plus intime avec ma mère. Je ne me pose même pas la question de savoir si je l’aime ou si elle m’aime : Si l’amour est la conséquence du manque, du désir de la relation, je ne manque ici de rien puisque je suis en elle. Je vis l’amour le plus parfait, l’amour sublimé, qui devance l’idée même de désir.
J’ai bien une bouche pour parler, mais toute parole, tout cri est inutile : le lien avec ma mère est tellement intime... Relation privilégiée avec ma mère, oui, mais pas relation exclusive. Par mes sens qui se mettent progressivement en place, je peux percevoir la présence d’autres personnes, je peux percevoir des sons, des mouvements... Autre chose existe. Je vis pratiquement en absence de pesanteur. Je flotte dans le liquide amniotique comme un cosmonaute dans sa capsule spatiale. Je ne ressens ni le chaud ni le froid, puisque la température de mon environnement est la même que celle de mon corps, autour de 37 degrés.
J’ai des poumons qui sont formés, mais ils ne me sont encore d’aucune utilité, puisque je n’ai pas besoin de respirer. Je n’ai même aucune idée de ce que c’est que l’air...
Je suis incapable d’imaginer ce qui m’attend. Pourtant, c’est inéluctable, dans quelques semaines, dans quelques jours, dans quelques heures, j’aurai quitté cette vie. Comment pourrais-je deviner que la première chose que je ferai sera de respirer, de faire entrer dans mes poumons cet air inconnu, de ressentir ce mouvement étrange de ma poitrine qui se gonfle, et qui, en se relâchant, fera sortir de ma bouche un premier cri ? Comment pourrais-je savoir qu’une fois au-dehors, je ressentirai le froid ? Comment pourrais-je imaginer d’être soudain envahi par cette sensation nouvelle qu’est la faim, moi qui suis rassasié en permanence ? Et ce corps aujourd’hui si léger, qui deviendra si lourd dès mon entrée dans ce monde de pesanteur ? Et cette lumière si vive qui m’éblouit ! Mes yeux étaient habitués à la pénombre... Mais surtout, cette rupture brutale. La relation maternelle, relation totale, est rompue, elle a en tout cas changé de nature. Je ne la reconnais pas. Je ne la comprends pas. D’un seul coup, tout est radicalement nouveau pour moi. Quelle angoisse ! ...

Mais très vite, je ressens autour de moi une présence bienveillante. Celle des personnes dont je reconnais les voix ; des mains qui me portent, qui me caressent, qui me rassurent. Blotti tout contre ma mère, j’apprends avec elle une nouvelle forme de relation. Je ne la ressens plus du tout de la même manière, mais c’est bien elle, je le sais. Je la vois à présent face à face. J’apprends la distance et la proximité. J’apprends à distinguer de nouvelles formes, de nouveaux sons, de nouvelles odeurs... Et je reprends peu à peu confiance. Je suis toujours vivant. Le monde autour de moi est tout autre, mais c’est bien moi qui vis dans ce nouvel univers. La peur fait place à l’espérance. Ce que je ressens à présent, n’est-ce pas encore de l’amour ? Une autre forme d’amour ? Cette vie nouvelle, qui commence sous une forme toute autre, complètement inconnue et inconnaissable, n’est peut-être pas si terrible que je pouvais le craindre...

Ouvrons les yeux à présent...

Qu’on l’appelle « les cieux », « l’au-delà », « le Royaume de Dieu », ou « la vie éternelle », ce ciel où Jésus s’en est allé, comme en éclaireur ; cet espace absolument autre qui échappe à notre perception, nous attend. Jésus nous l’a promis, ses disciples en sont témoins : là où il est, nous irons nous aussi. Nous irons le rejoindre pour vivre de la vie même de Dieu. Mais rien ne presse !
En attendant, ne restons pas là à regarder vers le ciel comme ses disciples. Jésus nous attend dans notre quotidien. Il est présent, de cette manière toute autre, dans chacun de nos frères. Sachons l’y reconnaître, ainsi nos yeux habitués à la pénombre pourront se préparer à le contempler face à face, dans la pleine lumière.

Amen !

 
Daniel BICHET, diacre permanent
Gétigné et Clisson, 17 mai 2012


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