Année B
Sommaire année B
retour vers l'accueil
4° dimanche du Temps Ordinaire

Dt 18, 15-20 ; Ps 94 ; 1 Co 7, 32-35 ; Mc 1, 21-28

        « Tais-toi ! Sors de cet homme ! »
        On ne discute pas avec les esprits impurs. On ne négocie pas avec les esprits mauvais. Jésus est ferme, sans concession, et les gens qui l’entendent le reconnaissent eux-mêmes et l’admirent pour cette raison : « voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! » Dans cet épisode, Jésus ne dit rien d’autre que cette seule injonction : « Tais-toi ! Sors de cet homme ! » Mais ces brèves paroles ont beaucoup à nous dire, tant elles sont riches en enseignement. J’en retiendrai simplement trois.

        Tout d’abord, je le disais, on ne discute pas avec l’esprit du mal. Pas de négociation possible. Tout compromis obtenu après discussion avec le démon, les démons, ne serait que compromission. Jésus, qui est Parole de Dieu, a toute autorité pour le faire taire. Il dénonce ainsi le scandale qu’est le mal, par son existence même.
        Oui, le mal est un scandale. Nous ne devrions jamais accepter le mal comme une fatalité. Pourtant, avouons-le, par la force des choses, nous avons souvent tendance à nous habituer au mal, comme quelque chose qui fait partie du paysage. On parle même parfois d’un « mal nécessaire ». La principale raison est que nous sommes le plus souvent bien démunis face au mal. Nous nous savons impuissants à le combattre. Et nous essayons de vivre avec, malgré tout, parce qu’il faut bien continuer à vivre !

        Deuxième enseignement : de cette « cohabitation » avec le mal, Jésus ne nous tient pas rigueur. Dans ce passage d’évangile, il ne reproche pas à cet homme, ni à quiconque de son entourage d’être envahi par l’esprit du mal. De même, il ne nous condamne pas si nous ne pouvons rien faire contre cet esprit du mal. Il sait que nous n’en sommes que les victimes. C’est ce que montre cet ordre : « sors de cet homme ! ». Ce n’est pas à l’homme qu’il s’adresse, mais à cet esprit mauvais. Jésus distingue l’esprit du mal de l’homme qui le porte, bien malgré lui. Contrairement à ce que nous aurions peut-être tendance à faire, c’est-à-dire à condamner l’homme parce qu’il est habité par le mal, et à enfermer la personne dans son malheur, Jésus, lui, va au contraire l’en libérer : « sors de cet homme ! ». Le traitement est douloureux, puisque l’homme en question est pris de convulsions et pousse un grand cri. Mais l’évangéliste nous fait bien comprendre par son récit que, dans le mal comme dans sa délivrance, l’homme n’est que la victime. C’est l’esprit du mal qui est le sujet de tous les verbes employés : « l’esprit impur le fit entrer en convulsion, puis, poussant un grand cri, sortit de lui. »

        Mais qu’est-ce donc que cet esprit impur, cet esprit mauvais, cet esprit du mal ? Le dictionnaire « Vocabulaire de théologie biblique » donne cette définition du mot esprit : « Dans les langues classiques et bibliques […] esprit tend toujours à désigner dans un être l’élément essentiel et insaisissable, ce qui le fait vivre et ce qui émane de lui sans qu’il le veuille, ce qui est le plus lui-même et ce dont il ne peut se rendre maître. » L’esprit mauvais dont il est question dans ce récit correspond bien à cette approche. Quelque chose qui nous domine et nous échappe. C’est pourquoi Jésus distingue bien les deux êtres en présence : l’homme d’une part, et l’esprit qui habite en lui, d’autre part. Et s’il chasse cet esprit, c’est pour en libérer l’homme.

        N’en concluons pas pour autant que l’homme n’aurait pas sa part de responsabilité dans le mal. Il faut toujours bien distinguer le mal qu’il subit et le mal qu’il fait. Le mal est une réalité bien complexe et se présente sous bien des aspects. Ayons l’humilité de reconnaître notre pauvreté face au mal, sans condamner les personnes, mais aussi sans excuser, ni oublier de dénoncer comme telles les actions mauvaises que ces personnes peuvent commettre.

        Bon, c’est vrai, cette vision du mal dans l’homme n’est pas trop à la mode : parler d’esprit comme d’un être à part entière, qui ferait sa demeure dans un homme, ce n’est pas très « tendance ». Au 21ème siècle, plus grand monde ne croit aux esprits. Et encore moins à des esprits qui domineraient l’homme, dans notre monde qui voudrait promouvoir l’homme tout-puissant. Mais nous ne sommes pas obligés de suivre ce que croit le monde.

        Ce que croit le monde, c’est justement la clé de ce troisième enseignement :
        « Tais-toi ! » Jésus ordonne à l’esprit mauvais de se taire. Pourquoi ? Qu’avait-il dit, cet esprit mauvais ? « je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu ». Nous sommes au tout début de la mission. Jésus vient tout juste d’appeler ses disciples. Les hommes ne sont pas encore prêts à reconnaître en lui le Messie, le fils de Dieu. Mais les esprits mauvais, eux, savent bien qui il est. Ils viennent du même monde, ce monde invisible qui nous échappe, auquel notre rationalité refuse de croire. Jésus, lui, sait que ses contemporains ne sont pas encore prêts à le reconnaître comme fils de Dieu. Pour les juifs de son époque, un homme qui prétendrait être « le Saint de Dieu » ne pourrait être qu’un imposteur, et surtout un blasphémateur. Le blasphème était alors un crime puni de mort.

        Jésus, qui est bel et bien « le saint de Dieu » comme le déclare à grand cri cet esprit impur, ne veut pas imposer aussi brusquement une réalité aussi extraordinaire. Jésus va donc se révéler peu à peu, il se met à notre portée. Il accompagne notre intelligence qui a besoin de temps pour arriver à comprendre. Il permet à notre liberté de consentir petit à petit à sa réalité. Il va prendre ce temps, nous faire des signes, par petites touches, progressivement, pour que nous puissions assimiler cette incroyable réalité : il est bien celui qui devait venir, le fils de Dieu, Dieu lui-même qui se fait homme, ce Dieu si inaccessible qui se fait si proche.

        Cette démarche progressive, c’est celle de toute l’histoire du Salut. Et déjà Moïse, dans la première lecture, avait commencé à préparer le peuple, bien des siècles auparavant :« Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles ». Puis d’autres prophètes, par la suite, poursuivront cette préparation, en affinant de plus en plus qui serait ce messie, cet envoyé de Dieu. Mais beaucoup d’entre eux, ces prophètes, sont restés incompris, et certains même l’ont payé de leur vie.
       
        En chassant les démons, les esprits mauvais, avec une telle autorité, Jésus se révèle comme celui qui est plus fort que le mal. C’est en cela qu’il est notre Sauveur. S’il peut, par sa seule parole, délivrer cet homme habité, tourmenté par un esprit mauvais, demandons-lui de nous délivrer, nous aussi, de tout ce qui habite en nous et qui nous tourmente ; de tout ce qui nous empêche de vivre en paix avec nous-même, avec les autres, avec Dieu. Tout ce qui nous empêche d’entrer dans la joie. Oui, qu’il nous délivre du mal, pour laisser place dans nos coeurs à la paix de Dieu, à la joie de l’évangile.

Amen !


Daniel Bichet, diacre permanent
Goerges, Boussay, Clisson
1er février 2015





Sommaire année B
retour vers l'accueil