Sacré programme ! « Va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres ; puis viens, suis-moi ! » On comprend que l’homme à qui Jésus donne ce conseil soit désemparé, déçu et même triste ! La barre est beaucoup trop haute ! Sérieusement, qui peut suivre un tel programme ? Qui d’entre-nous, à la sortie de cette messe, va se précipiter sur leboncoin pour mettre en vente tous ses biens ? Qui d’entre-nous va tout quitter, femme, enfants, famille, amis, travail, confort, pour suivre Jésus ? … Perso nne ?…
Personne !
Pourtant, si ! Nous en connaissons tous, des gens qui ont fait cette démarche. Ne serait-ce que nos prêtres. Ils ont renoncé à beaucoup de choses pour suivre Jésus ! Renoncé à une vie de couple, à fonder une famille ; renoncé à une carrière professionnelle parfois prometteuse ; renoncé à un mode de vie confortable et facile. En avons-nous toujours conscience ?
Et que dire des moines et des moniales ! Eux aussi ont renoncé à tout pour une vie encore plus radicale, à la suite du Christ, au service du monde par la prière et l’accueil de tous, en s’enfermant pour le reste de leur vie dans la clôture d’un monastère.
Mais alors, faut-il vraiment entrer au couvent, ou se faire prêtre, pour avoir en héritage la vie éternelle ? Car c’est cela dont il s’agit. C’est la question que cet homme pose à Jésus : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? ».
Il ne faudrait pas oublier le début de la réponse de Jésus. Avant de lui dire « vends tout ce que tu as », il lui rappelle d’abord les commandements de la Loi de Dieu : Ne commets pas de meurtre, pas d’adultère, pas de vol ; ne fais pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. C’est déjà beaucoup, non ?
On ne peut évidemment pas changer l’Évangile, mais imaginons tout de même un instant que cet homme riche, au lieu de répondre au verset 20 du chapitre 10 : « Maitre, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse », ait répondu « Maître, ce que tu me demandes est difficile. Mais tu as raison : je vais faire de mon mieux, je vais faire des efforts pour mieux appliquer ces commandements. » Imaginons cela. Le verset 21 juste après, où on nous dit « Jésus posa son regard sur lui et il l’aima » aurait-il été différent ? N’aurait-ce pas déjà été une belle réponse de cet homme aux conseils de Jésus ? Jésus aime aussi ceux qui s’efforcent de suivre les commandements ; sans doute davantage encore si c’est pour eux quelque chose de difficile. Et pour certains, c’est même déjà décider de commencer à changer de vie. C’est prendre conscience qu’il faut vivre une conversion. Dieu ne peut pas ne pas aimer cette attitude.
Mais non, cet homme n’a sans doute pas eu l’humilité de reconnaître sa faiblesse, ses incertitudes, ses manquements probables à l’application stricte de la Loi. Sûr de lui-même, il répond qu’il observe toutes ces exigences depuis son enfance. On pourrait le trouver un peu présomptueux. On apprend par la suite que cet homme est riche : « il avait de grands biens ». C’est peut-être parce qu’il était riche, aisé, à l’abri du besoin, qu’il ne voyait pas ses manques. Malgré tout, à sa réponse, « Jésus posa son regard sur lui et il l’aima ». Le respect des exigence de la Loi est déjà quelque chose de beau, de bien, de grand aux yeux de Dieu. Et Jésus aime forcément ceux qui respectent sa Loi. Mais ce n’est qu’un premier pallier, un premier niveau. Jésus s’assure que cet homme a bien atteint ce niveau — en tout cas il lui fait confiance, il le croit sur parole — et c’est alors qu’il lui propose d’aller plus loin encore : « vends tout ce que tu as… ». C’est parce que Jésus aime cet homme qu’il désire lui proposer ce qui est bon pour lui. Comme nous proposons nous-mêmes à nos enfants, que nous aimons, ce qui, à nos yeux, est bon pour eux, même si c’est exigeant ; nous voulons leur proposer ce qu’il y a de meilleur, parce que nous les aimons. De même, Jésus, parce qu’il aime cet homme, l’appelle à passer à un niveau supérieur.
Appel à la radicalité. Exigence de l’amour : « Tu vis en bon chrétien, en bon citoyen parmi les tiens, tu es bienveillant vis-à-vis de tes parents, de tes proches et des autres, dans ton travail et tes occupations ? C’est très bien ! Continue ainsi ! Cependant, une seule chose te manque : Va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres. Puis viens, suis-moi ! ». Si l’homme avait répondu, comme nous l’imaginons précédemment : « je vais faire de mon mieux pour être plus fidèle à tes commandements », Jésus lui aurait-il proposé cet effort supplémentaire ? On le sait en effet, à celui qui a beaucoup, Dieu demande davantage ; mais de celui qui a peu, il exige peu. On retrouve ce principe dans de nombreux passages des évangiles, le plus connu étant sans doute la parabole des talents.
Et concernant les lectures d’aujourd’hui, cet épisode de l’évangile de Marc et ce passage du Livre de la Sagesse, que nous avons entendu dans la première lecture, s’éclairent mutuellement : « J’ai préféré [la Sagesse] aux trônes et aux sceptres ; à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse… » ; « tout l’or du monde n’est qu’un peu de sable… ».
Cet homme riche de l’Évangile, lui, a préféré sa richesse à la sagesse. Mais comment lui en vouloir ? Nous sommes mal placés pour le lui reprocher, nous qui vivons dans une société où on nous dit que la valeur la plus importante est le « pouvoir d’achat ». Dans ce contexte, il faut sans doute pas mal de volonté et de détermination pour préférer malgré tout la sagesse. Mais l’auteur du livre de la sagesse nous avait dit juste avant : « J’ai prié, et le discernement m’a été donné ; j’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. » Cette préférence pour la sagesse, ce dédain pour la richesse, n’est pas une vertu qui nous viendrait spontanément. C’est parce qu’il a prié, parce qu’il a manifesté son désir de sagesse qu’elle lui a été donnée.
C’est en fait ce que Jésus propose à l’homme riche. Se défaire de ses richesses qui l’entravent, pour mieux pouvoir le suivre ; suivre Jésus, c’est acquérir la Sagesse.
Alors, frères et soeurs, nous qui souhaitons, comme cet homme riche de l’évangile, avoir en héritage la vie éternelle, nous savons ce qu’il nous reste à faire : prions pour demander la Sagesse. C’est elle qui nous permettra d’abaisser la richesse à sa juste place. Nous pourrons alors librement nous désencombrer de nos biens matériels, et avancer joyeusement à la suite de Jésus.
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent
Gorges, Monnières et Clisson
13 octobre 2024