Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ
Dt 8, 2-3. 14b-16a
Ps 147 (147b
Co 10, 16-17
Jn 6, 51-58
Il faut le reconnaître, la parole de Jésus a dû plus
d’une fois interloquer ceux qui l’entendaient. Et disons-le
tranquillement, elle peut nous surprendre bien souvent, encore
aujourd’hui. Surtout si on se risque à en faire une lecture, ou une
audition, au 1er degré. L’Evangile de ce jour en est un exemple tout à
fait frappant. « Celui qui mange ma chair et bois mon sang aura la vie
éternelle ». Les auditeurs de Jésus, aux envi-rons de l’an 30, près de
Tibériade, ont dû en avoir les cheveux qui se sont dressés sur la tête.
Et, au cours des siècles, bien de ceux qui résistaient à
l’évangélisation des mis-sionnaires, les ont facilement accusés de
vouloir leur faire croire en un dieu chantre de l’anthropophagie.
Avouons-le, à première vue, les paroles de Jésus rapportées dans
l’évangile selon St Jean ont de quoi nous interpeler.
Et bien ça tombe bien, c’est justement le propos de Jésus. Amener ses
contempo-rains à réaliser que quelque chose est en train de se passer,
que la venue sur terre de Jésus, le Fils de Dieu, marque un temps
charnière, un événement majeur, le passage d’une croyance millénaire à
une Espérance nouvelle. Et, bien au-delà des auditeurs de son époque,
la Parole du Christ que nous rapportent les Evangiles a pour vocation
de nous aider à prendre conscience de qui est, au fond, le message
fondamental de notre Foi. Et nous en avons aujourd’hui une belle
occasion, en ce dimanche célébré comme fête du Saint Sacrement du Corps
et du Sang du Christ.
Alors, si vous le voulez bien, afin de ne pas rester sur notre faim,
interrogeons-nous sur ce que signifie cette invitation quelque peu
déroutante de Jésus « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la
vie éternelle ».
Sans doute pensons nous, en 1er lieu, à ce à quoi nous sommes invités
chaque di-manche en venant communier, au cœur de la célébration
liturgique, au Corps et, selon le cas, au Sang du Christ. Nous y
pensons même tout particulièrement en ce mois de juin où nous
retrouvons la joie de ce repas, après en avoir été tenu éloigné durant
de longues semaines en ce temps de confinement dont nous sortons petit
à petit. Pour bien des chrétiens, cela a été une diète bien difficile à
vivre, certes moins longue que les 40 ans au désert dont nous parle la
1ère lecture, mais cela s’est parfois traduit par une certaine
impatience, plus ou moins opportunément exprimée, à retrouver le
che-min de la messe et de la communion. Cela nous aura permis
d’expérimenter ce que vivent celles et ceux qui, parfois en France mais
surtout dans bien des endroits du monde, pour diverses raisons, n’ont
pas la chance de pouvoir se rendre facilement en un lieu où la
communion est donnée. Cela peut aussi nous permettre de nous
réinter-roger sur le sens profond de cette « communion liturgique
». Les enfants qui auraient dû faire leur 1ère communion en mai
et en juin, et qui, si tout se passe bien, vivront cela le dimanche 11
octobre, réfléchissent à cela lors de leur parcours de préparation.
Qu’est-ce que « communier », au sens de « consommer l’hostie ». Mettre
dans sa bouche une drôle de petite pastille au vague goût de carton ?
Faire un geste routinier pour suivre le mouvement ? Reproduire un geste
qui fait mémoire d’un instant de la vie du Christ qu’on a appris au
catéchisme ? Quel est le sens de ce geste dont certains s’abstiennent
et que l’on ne peut pas faire avant un certain âge ? Sans doute on
l’apprend au cours des années qui suivent la 1ère communion, mais ce
moment est sur-tout celui où l’on renouvelle l’alliance personnelle que
l’on a avec Dieu. Un moment clé où l’on laisse entrer le Christ en soi,
et « manger la chair du Christ, boire son sang », c’est goûter sa
parole, savourer son enseignement, se régaler de son Amour pour nous,
se nourrir de son exemple pour, peu à peu, essayer de lui ressembler.
En tout cela, communier au Corps et au sang du Christ nous rassasie,
nous désaltère, nous fortifie.
Mais communier au corps et au sang du Christ, comme nous le rappelle
Saint Paul dans la 2ème lecture, c’est aussi faire mémoire que « la
multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à
un seul pain ». C’est renouveler le sacre-ment de la fraternité à
laquelle nous a invité Jésus en nous recommandant de nous aimer les uns
les autres. Durant cette longue période de confinement et encore
main-tenant, nous avons peut-être aussi appris à communier en nous
rapprochant les uns des autres, en nous rendant attentifs les uns aux
autres. Le chemin que nous ne pou-vions plus emprunter pour nous rendre
le samedi soir où le dimanche dans nos églises pour y recevoir le saint
sacrement de la communion, nous avons pu le parcou-rir pour, en Eglise,
partager la parole, unir nos prières, mettre en acte la fraternité et
la solidarité. Nous avons pu, à défaut de prendre le Corps du Christ,
prendre à bras le corps le message qu’il nous adresse, chaque jour, et
qui est le projet de Dieu pour notre humanité : Être en communion les
uns avec les autres. Manger de ce pain-là, c’est laisser lever la pate
des relations fraternelles, c’est pétrir d’amitié et d’attention notre
relation aux autres, c’est rompre la croûte de l’isolement et partager
la bonne chair d’une union qui ne lève pas sans le levain des
différences qui se rejoignent. Alors que partout dans le monde et
notamment en France, se lève en ce moment des voix pour rejeter le
racisme et les violences qu’il engendre, en tant que chrétiens, nous ne
pouvons nous empêcher de penser aux paroles de St Paul : « la multitude
que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul
pain ».
Communier au Corps et au Sang du Christ, être en communion avec nos
frères et sœurs en humanité ne sont pas 2 attitudes qui s’opposent. Il
n’est pas question de choisir l’un plutôt que l’autre. Tout comme nous
avons besoin d’eau et de pain pour que notre corps vive, nous avons
besoin de ce pain et de ce vin que le Christ nous a donné par le
sacrifice de sa vie. Le pain et le vin qui fait entrer en nous la
promesse de vie éternelle, le pain et le vin qui fait de nous, au cœur
du monde et de nos frères, les signes et les témoins de cette promesse
pour tous.
Amen.
Olivier RABILLOUD
St Vincent de Paul – 14 Juin 2020