JEUDI SAINT
Jeudi Saint.
Quelle chance nous avons, nous chrétiens, de connaître ce Dieu qui se
manifeste aux hommes à travers l’Histoire ! Quelle chance pour
l’humanité que cette révélation progressive, d’abord par les
Patriarches comme Abraham, puis Moïse, puis par les prophètes et enfin
par Jésus.
Les trois récits que nous venons d’entendre sont des textes fondateurs
de notre foi. L’institution de la Pâque dans la première lecture ;
puis l’institution de l’Eucharistie, que nous rapporte St Paul dans sa
première lettre aux Corinthiens ; et le lavement des pieds, que St
Jean est le seul à nous raconter. Ces trois récits sont comme trois
passages obligés, trois étapes déterminantes de la Révélation de Dieu
aux hommes.
Notre foi est fondée sur ce Dieu unique. C’est ainsi qu’il se révèle en
premier lieu à Abraham. Plus tard, par Moïse, il se révélera libérateur
de son peuple. C’est pour bien marquer le souvenir de cette libération
que Dieu demande à Moïse et Aaron de célébrer la Pâque, comme nous
l’avons entendu dans la première lecture. Dieu unique, Dieu libérateur.
Ensuite, avec l’eucharistie, Dieu se révèle sauveur, par le sacrifice
de Jésus qui donne sa vie, son corps, son sang, pour nous sauver. C’est
ce que nous a rappelé la deuxième lecture. Et enfin, Dieu se révèle
amour, charité, dans le geste de Jésus, geste du Serviteur, qui se met
au service de chacun. Lui, le Maître et Seigneur, se fait le plus
humble d’entre tous. Par amour.
On voit ici combien la révélation de Dieu est progressive. Elle se fait
pas à pas, à la mesure de ce que l’homme est capable d’en saisir :
d’abord Dieu unique et personnel d’Abraham, Dieu de l’intime. Puis le
cercle s’élargit, Dieu devient libérateur de son peuple, montrant ainsi
sa Puissance face aux dieux païens, même si la libération alors ne
concerne qu’un tout petit peuple limité à Israël ; puis, avec
Jésus, Dieu se révèle sauveur de l’humanité toute entière. On pourrait
croire atteint ici le sommet, le tout de la Toute-Puissance divine.
Mais gardons-nous bien de tout triomphalisme ! Car ensuite, et
ensuite seulement, et « en fin », Dieu se révèle humble,
vulnérable, serviteur. Pour que cette humilité de Dieu, cette pauvreté,
cette vulnérabilité soit comprise par nous autres, pauvres humains, il
fallait d’abord que soyons certains de sa puissance. Car cette humilité
de Dieu, ce n’est pas un bémol qui nous serait proposé et qui viendrait
atténuer, ou relativiser sa Toute-Puissance. C’est au contraire la
suite et la fin de la Révélation, puisque cette humilité de Dieu, c’est
le degré le plus haut de son amour. Ce que fait Jésus en lavant les
pieds de ses amis, c’est le signe que la Toute-Puissance de l’amour
s’accomplit pleinement dans le service. Et nulle part ailleurs.
Nous qui sommes venus à cette célébration ce soir, nous qui sommes
peut-être des habitués, des fidèles de l’eucharistie chaque
dimanche ; les statistiques, que les médias affectionnent
particulièrement, et nous servent abondamment, nous classent dans la
catégorie « catholiques pratiquants ». Comme si la pratique
de la foi se résumait à la présence régulière à la messe du
dimanche ! C’est déjà beaucoup, c’est déjà beau, et c’est
incontournable. Mais convenons que c’est un peu court ! Ce n’est
qu’un minimum ! Certes, en agissant ainsi, nous sommes fidèles au
commandement de Jésus qui nous a dit : « faites ceci en mémoire de
moi ». En cela, oui, nous sommes fidèles. Et cette fidélité nous
enrichit, nous nourrit de la vie même de Dieu, car c’est bel et bien le
corps du Christ livré pour nous, qui se donne en nourriture, que nous
mangeons, rassemblés, en Eglise. Mais, de même que Jésus nous a dit :
« faites ceci en mémoire de moi », de même il nous a dit
après avoir lavé les pieds de chacun de ses disciples :
« C'est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez,
vous aussi, comme j'ai fait pour vous. » Être pratiquant, c’est
donc aussi suivre cette demande de Jésus, et se mettre avec humilité au
service de nos frères. Etre pratiquant, c’est pratiquer l’eucharistie
ET pratiquer la charité. Un chrétien est quelqu’un qui marche sur ses
deux jambes, en s’appuyant autant sur l’une que sur l’autre pour
avancer. S’il privilégie l’une et délaisse l’autre, il croit peut-être
avancer, mais il tourne en rond !
Oui, frères et sœurs, quelle chance nous avons, nous chrétiens, de
connaître ce Dieu qui se manifeste aux hommes ! Quelle chance de
pouvoir réentendre, ce soir comme chaque année le Jeudi Saint, ce
rappel de notre équilibre spirituel ! Trop souvent, nos penchants,
nos affinités, nos habitudes, nous déportent d’un côté ou de l’autre.
Trop souvent, des méfiances existent, des discordes peuvent même se
faire jour au sein même de notre Eglise, entre ses divers mouvements,
entre ses divers services, à cause de cette difficulté que nous avons à
garder l’équilibre entre ces deux commandements de Jésus :
« faites ceci en mémoire de moi », que nous entendons à
chaque messe, et « c'est un exemple que je vous ai donné afin que
vous fassiez, vous aussi, comme j'ai fait pour vous. » Cette
dernière phrase, qui se rapporte au lavement des pieds, nous
l’entendons sans doute moins souvent. Elle n’est pourtant pas
anecdotique. Alors, frères et sœurs, juste après cette messe, lorsque
nous resterons pour adorer le corps du Christ présent dans le
Saint-Sacrement, n’oublions pas que le corps du Christ, c’est aussi
l’Eglise, c’est à dire la communauté des chrétiens rassemblés. Parce
qu’elle communie au corps et au sang du Christ, l’Eglise est corps du
Christ. Mais plus largement, c’est chaque être humain qui, par
vocation, est appelé à s’agréger à ce corps du Christ. Oui, vraiment,
quelle chance pour l’humanité tout entière de découvrir qu’elle est
appelée à entrer pleinement dans la vie de Dieu ! Et c’est notre
mission de baptisé de lui permettre de le découvrir. Notre foi
chrétienne nous aide à reconnaître en chaque être humain le Christ en
personne. Si donc chaque être humain, quel qu’il soit, est un membre du
corps du Christ, n’a-t-il pas droit, de notre part, peut-être pas à de
l’adoration, mais au minimum à être reconnu comme tel, et donc
respecté ? aimé ? servi ?
Alors, Pour être de vrais pratiquants, pour rester vraiment fidèles à
notre foi en Christ, n’oublions pas d’imiter ce geste du lavement des
pieds. N’oublions pas, en sortant de l’adoration du Corps du Christ
dans l’eucharistie, de l’adorer aussi dans le pauvre qui nous attend
dehors, chaque jour de nos vies.
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent.
Gétigné, le 21 avril 2011
Sommaire année A
Accueil