5° dimanche de carême.
Il y a plusieurs années, deux
familles (j’en connais une) se sont rencontrées dans un service
hospitalier. Chacun de leur enfant était atteint d’une maladie grave.
Un jour, l’un des deux enfants sortit de l’hôpital et guérit, tandis
que l’autre enfant succomba à sa maladie. Seigneur, pourquoi mon enfant
a-t-il été sauvé ? Seigneur, pourquoi mon enfant est-il mort ? Si tu
avais été là, il ne serait pas mort … Les reproches de Marthe et de
Marie à Jésus sont les nôtres, autour de nous et dans nos familles.
Oui, avec le psalmiste, des profondeurs je crie vers toi Seigneur !
Ecoute mon appel ! Car face à la mort, j’attends et j’espère, plus
qu’un veilleur ne guette l’aurore.
Restons concentré au cœur de cet
Evangile que l’on a peut-être trop entendu : nous connaissons bien la
fin avec Lazare qui sort du tombeau, heureux dénouement digne d’un
film. Mais nous ne sommes pas en train d’assister à la cérémonie des
Césars pour remettre le prix du meilleur scénario ou du meilleur
premier rôle. Nous sommes les auditeurs et les destinataires de la
Parole que Dieu nous adresse, par l’intermédiaire d’un témoin oculaire,
l’apôtre Jean. Et comme souvent, dans les récits johanniques, la
situation présentée cherche à nous faire découvrir par nous-même
quelque chose de plus profond dans l’ordre de la foi, pour que notre
intimité avec Dieu progresse.
Dans l’Evangile de Jean, le
retour à la vie de Lazare est le 7ème et dernier signe accompli par
Jésus, avant sa propre mort et sa résurrection des morts. Le premier
signe fut lors des noces de Cana. Bien que son heure n’était pas encore
venue, il changea l’eau en vin. A Béthanie, il change la mort en vie,
en ramenant à la vie, au sein de sa famille et de ses amis, un mort de
quatre jours, enfermé dans son tombeau, ligoté dans son linceul et dans
ses bandelettes. Chez Jean, les signes sont toujours présentés pour
croire. Et croire, c’est avoir la Vie. Pas seulement la vie éternelle,
mais la Vie qui nous fonde en tant qu’homme ou femme, ici et
maintenant, une Vie sacrée et qui a du sens, à laquelle Dieu accorde un
prix inestimable.
Il nous alors faut ouvrir
l’oreille intérieure pour entendre cette parole, car les bruits du
monde, avec ses événements sensationnels et ses bateleurs de foire,
recouvre le silence où parle cette Parole que nous n’entendons parfois
plus. Ce signe de Jésus se présente en quatre tableaux successifs, et
pour chacun d’eux, Jésus parle. Avec ses disciples, avec Marthe et
Marie, à son Père et enfin à Lazare.
Premier tableau, avec les
disciples. L’attitude de Jésus, pendant trois jours, nous étonne, nous
rend mal à l’aise. Les disciples aussi sont mal à l’aise : ils ont du
mal à comprendre ce qui pousse Jésus à attendre pendant que Lazare est
malade, puis ce qui décide Jésus à se rendre à Béthanie au moment où il
leur annonce que Lazare est mort, et malgré les risques qu’il encourt
pour sa propre vie. Donc… Jésus attend avant de venir à la tombe de
Béthanie. En cela, Jésus ne nous fait pas la promesse que nous
échapperons à la mort. Notre vie biologique s’arrêtera un jour. Jésus
n’a pas empêché la mort de Lazare, ni sa propre mort sur la croix.
L’essentiel à retenir, dans ce premier tableau, c’est que, dès qu’il y
a mort, le Christ se met en marche, avec ses disciples, donc avec nous,
pour que le néant de la mort puisse devenir Vie.
Le deuxième tableau, le dialogue
avec Marthe, est d’une toute autre intensité. Avec elle, nous
commençons par reprocher à Dieu : « Seigneur, si tu avais été là ! ».
Oui, mais contrairement aux disciples, Marthe, malgré la peine et la
souffrance, prononce une Parole d’espérance, conforme à la prophétie
d’Ezékiel : la foi en la résurrection au dernier jour. Alors, à partir
de cette confession de foi, Jésus invite Marthe à accomplir un pas
supplémentaire décisif, à entrer dans le mystère par excellence. Jésus
l’appelle à aller encore plus loin : oui, Seigneur, je crois que toi,
tu es la résurrection et la vie. C’est notre profession de foi
chrétienne. Et Jésus ajoute : « Tout homme qui vit et qui croit en moi
ne mourra pas ». Croire et vivre : deux verbes que Jésus rend non
séparables, car la foi est au service de la vie, de la vraie vie, celle
qui nous fonde dans l’amour, celle que l’on a reçue et que l’on ne
s’est pas donnée. « Crois-tu cela ? » nous dit Jésus. Librement, nous
pouvons répondre : « oui, Seigneur ». Même si, peut-être, cet acte de
foi colossal ne va pas toujours de soi dans notre vie, en fonction des
événements que nous affrontons. Mais le Seigneur nous attend toujours
pour venir à sa rencontre, comme il fait appeler Marie après son
dialogue avec Marthe.
Le troisième tableau est celui de
l’intimité. Jésus pleure. Jésus frémit. Jésus éprouve et partage la
peine et la souffrance. Jésus ne dit plus rien. Comme parfois, devant
un lit d’hôpital, ou dans une morgue, le silence est la seule réponse
possible au réel. L’humanité de Dieu, si on pouvait en douter,
s’exprime dans ce troisième tableau dans sa totalité. La prière, le
dialogue avec le Père est le seul dialogue alors possible, car le Père
exauce la prière du Fils. Jésus demande alors d’enlever la pierre.
Quand nous apportons de la chaleur humaine à quelqu’un plongé dans
l’obscurité de la souffrance, dans une mort à lui-même, nous enlevons
la pierre et nous nous en remettons au Seigneur. Car sans lui, nous ne
pouvons rien faire.
Le quatrième et dernier tableau
est un cri : « Lazare, viens dehors ! ». Jésus cria d’une voix forte
deux fois : au moment de sa propre mort sur la croix, et pour que
Lazare vienne dehors. C’est bien la traduction du manuscrit grec : «
deuro exo », « dehors viens ». Sors de l’ombre de la mort, sors du
néant, quitte ce suaire qui t’enserre, quitte ces bandelettes qui
empêchent de te mouvoir, viens revivre et respirer un air nouveau,
viens à la lumière qui donne sens et consistance à ta vie. Lazare est
ici la figure du peuple en marche qui cherche à se libérer, qui cherche
un sens définitif à son existence. En cela, le retour à la vie de
Lazare n’est pas une fiction. C’est un événement, à la fois historique
et contemporain qui se vit dans la foi, aujourd’hui.
D’une certaine manière, notre profession de foi va redire : je crois
que tu es la résurrection et la vie. Notre prière universelle va dire :
si nous enlevons la pierre, tu peux faire advenir la vie là où la mort
est présente. Notre table eucharistique va attester que celui qui nous
appelle de l’ombre à la lumière vient à nous, définitivement, dans le
pain et le vin, pour vivre avec nous au milieu du monde en quête
d’espérance et d’éternité.
Christophe DONNET
Diacre, Aumônier du mouvement VOIR ENSEMBLE
Paroisse St Benoît - Diocèse de St-Etienne
5 et 6 avril 2014
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