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4° dimanche de carême.
1S. 16, 1-13 ; Ps : 22 ; Ep. 5, 8-14 ; Jn. 9, 1-41
« Quelle histoire ! Quelle longue histoire nous raconte St Jean dans
l’évangile de ce jour ! Tout ça finalement pour nous dire que Jésus a
guéris un aveugle ! Jean aurait pu abréger son récit, ce n’est jamais
qu’un miracle de plus ! »
Tenir un tel discours, serait mal connaître St Jean, l’évangéliste. Ce
serait même la preuve de notre aveuglement. Et c’est justement le sujet
– notre aveuglement – de ce long récit de l’apôtre.
On le sait, les Évangiles ne sont pas de simples récits factuels
d’événement qui ont eu lieu dans l’histoire des hommes, il y a deux
mille ans, en Palestine. L’évangile n’est pas un reportage sur la vie
de Jésus. Les évangiles sont d’abord des récits écrits dans le but de
nous aider à croire, d’alimenter notre foi, en nous rapportant des
faits et des paroles de Jésus, le Fils de Dieu, venu parmi nous pour
nous apprendre qui est Dieu. Mais parmi les quatre évangélistes, Jean
est celui qui a su le mieux ajouter à ses récits des détails que l’on
pourrait croire insignifiants et qui, au contraire, sont des éléments
éminemment signifiants. Souvent symboliques, mais toujours signifiants.
Chaque événement raconté par Jean sert de prétexte à nous enseigner un
aspect de la foi, une facette de la personnalité de Jésus, donc une
certaine approche de l’identité de Dieu, si on peut dire.
L’événement de la guérison d’un aveugle permet à l’évangéliste de nous enseigner plusieurs éléments de la mission de Jésus.
Tout d’abord, ce qui apparaît en premier dans le déroulement du
récit, c’est que Jésus est l’envoyé de Dieu. C’est un des rares moments
où Jean traduit pour ses auditeurs, ses lecteurs, un mot hébreux. «
Siloé », le nom de la piscine, signifie « envoyé », précise Jean. Il
insiste sur le sens de ce mot pour suggérer qu’il est bien question ici
d’un envoyé de Dieu, pas d’un simple pécheur.
Un deuxième aspect révélé par ce récit, c’est que Jésus est la lumière
du monde. Il le dit d’ailleurs lui-même au début du texte : « Je suis
la lumière du monde ». Il est celui qui nous éclaire, qui illumine
notre route. Il est capable de nous ouvrir les yeux, comme il le fait
pour cet aveugle. Il nous ouvre les yeux sur les réalités divines, il
lève une partie du voile qui nous masque le visage de Dieu. Et sa
parole réalise ce qu’elle dit, puisqu’après avoir dit : « je suis la
lumière du monde », il rend la vue à un aveugle.
Pour les juifs auxquels Jésus s’adresse, une parole qui réalise ce
qu’elle dit, fait immanquablement penser au récit de la Genèse : « que
la lumière soit ; et la lumière fut ». Pour eux, Celui qui prononce une
parole qui fait ce qu’elle dit, c’est Dieu, et Dieu seul. Et c’est là
le troisième aspect de la révélation de ce récit : Jésus est plus qu’un
envoyé de Dieu : il est Dieu lui-même. Il dit, et ce qu’il dit se
réalise. Bien plus, Jean précise même de quelle façon il redonne la vue
à cet homme : il fait de la boue avec de la terre et de sa salive.
Comment ne pas penser à cet autre récit de la création, où Dieu modèle
l’homme avec de la glaise, puis lui donne vie en y ajoutant un peu de
lui-même, non pas sa salive, mais son souffle, son Esprit ?
Ce qui est étonnant, dans la suite du texte, c’est cette véritable
enquête policière que mènent les personnes de son entourage, ses
voisins, puis les pharisiens. Il serait intéressant d’y passer du temps
pour y dénicher tous les détails, toutes les allusions, tous les
symboles qui se cachent dans ces interrogatoires. Nous ne le ferons pas
ici, mais je vous invite à reprendre le texte et à vous y arrêter. Ce
qu’on peut en dire simplement, c’est que tous ces personnages qui
interviennent sont tous des aveugles, finalement. Ils ne voient pas
l’évidence, ou ils ne veulent pas la voir. On dit parfois qu’il est
difficile de croire si on ne voit pas, mais on se rend compte ici que
l’inverse n’est pas plus facile : croire, même si on voit. « Heureux
celui qui croit sans avoir vu », mais alors, que dire de celui qui voit
sans croire ce qu’il voit ?
Jean nous propose dans ce texte une inversion des rôles, un
retournement des valeurs : le personnage qui était aveugle au début du
récit, devient celui qui voit, qui comprend et qui croit, alors que
tous les autres restent dans l’ignorance parce qu’ils voient mais ne
croient pas. Ils sont à leur tour des aveugles.
C’est en cela que l’évangile rejoint la première lecture, où nous avons
entendu le récit de l’appel de David à devenir le roi d’Israël.
En effet, les divers personnages du récit de St Jean ne peuvent pas
imaginer qu’un aveugle, un exclu, soit guéri par Dieu, et soit
considéré comme un « préféré » de Dieu. Impensable ! Dieu ne peut pas
avoir de compassion pour un exclu, une personne fragile, un petit.
C’est ce qu’on retrouve dans la première lecture avec le choix de Dieu
qui se porte sur David, le plus petit, le plus modeste des fils de
Jessé, pour devenir le roi de son peuple : « Dieu ne regarde pas comme
les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde
le cœur. »
Ce récit que l’on appelle « l’aveugle-né » a été choisi par l’Eglise
pour être un des textes fondamentaux, une véritable catéchèse sur le
baptême. C’est pourquoi il est lu pendant le carême, démarche de
conversion par excellence, carême au cours duquel les catéchumènes
adultes sont invités à préparer plus en profondeur leur baptême qui
aura lieu lors de la nuit de Pâques, nuit de la Résurrection, nuit du
passage à une vie nouvelle. Cette allusion au baptême apparaît le plus
clairement dans cette démarche : Jésus « prépare » en quelque sorte
l’aveugle à retrouver la lumière, mais sa guérison ne sera effective
qu’après être passé par l’eau : « va te laver à la piscine de Siloé.
[…] L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint il voyait. »
C’est ce passage par l’eau qui fait de l’aveugle un homme nouveau,
purifié ; un homme qui ne voyait rien et qui devient clairvoyant. Comme
le catéchumène devient, par le baptême, un homme nouveau, habité par
l’Esprit Saint qui rend clairvoyant et qui permet d’accéder à la
Connaissance de Dieu.
Frères et sœurs, nous qui avons été baptisés il y a de nombreuses
années, revivons au cours de ce carême cette démarche de catéchumène ;
préparons-nous à retrouver la vue, en communion avec ces deux jeunes
femmes qui seront baptisées dans notre paroisse [dans cette
église-même] lors de la prochaine veillée pascale. Laissons-nous
éclairer par le Christ qui purifie notre regard et nous invite à laver
nos yeux, sans doute encore un peu aveuglés par notre péché, pour
qu’ils soient rendus capables de voir Dieu dans notre quotidien, et de
croire ce que nous voyons.
Daniel BICHET, diacre permanent
Clisson et St Lumine de Clisson,
26 mars 2017
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