Eh bien, pour qui pourrait penser qu’être
chrétien c’est facile, voilà dans cet Evangile l’exemple parfait de
toute la
difficulté qu’il y a à vraiment vouloir suivre, et appliquer,
l’enseignement
donné par Jésus. Nous avons, chacune et chacun de nous, entendu, sans
doute
depuis notre plus tendre enfance, que le chrétien doit être non violent,
qu’il
doit tout pardonner, ne pas répondre au mal par le mal, tendre la joue
gauche
si on lui gifle la droite, donner son manteau à qui veut prendre sa
tunique,
etc. Je crois que nous pouvons l’avouer franchement, il ne s’agit pas là
du
passage d’Evangile le plus facile à entendre, encore moins à mettre en
œuvre.
En méditant ce texte cette semaine, pour préparer mon homélie, j’avais
en tête ces échos de l’actualité qui nous donnent tant d’exemples de la
cruauté
de l’Homme, de la violence du Monde. Je pensais à cet homme, en Ukraine,
que
des êtres humains, qui se prétendent soldats, obligent à assister au
viol et au
massacre de sa femme, de ses filles, par un acte de cruauté sans nom. Je
me
demandais comment cet Homme pourrait trouver la force de tendre encore
la joue
gauche… J’entendais aussi,
ce que cette
famille fauchée sur la route par un accident provoqué par un être
inconséquent,
irresponsable, a déclaré alors que la maman, enceinte de 6 mois, a dû
accoucher
de son bébé mort lors de l’accident, et que son neveu de 6 ans, dans le
coma,
se battait contre la mort dans sa chambre d’hôpital. Leur avocat a
rapporté
que, je le cite « La famille est insensible aux excuses, les dommages
collatéraux sont sans fin ». Je me suis demandé qui, dans telle
situation,
pourrait avoir la force, inhumaine, d’accorder son pardon à celui qui
est
responsable d’un tel drame. Qui pourrait lui tendre encore plus que ce
qu’il a
déjà perdu par la faute du comportement d’un tel individu. J’avoue
chercher
encore la réponse à ces questions. Et, du coup, l’inquiétude me saisit.
Comment
pouvoir se dire chrétien, lorsque dans certaines situations, face à
certaines
personnes, certains comportements, nous pouvons avoir tant de mal, voire
nous
sentir incapable, de pardonner ?
Mais j’ai la chance, nous avons la chance, en tant que chrétiens,
d’avoir reçu, outre la grâce du baptême, un bien ô combien précieux pour
guider
nos existences, les textes de la Parole de Dieu, témoignages de la vie
et de
l’enseignement du Christ, révélations de la promesse que Dieu fait à son
Peuple.
Et dans la 1ère lecture d’aujourd’hui j’ai trouvé une 1ère réponse à mon
questionnement. Cette parole m’a interpelé, dans laquelle Dieu dit à
Moïse : «
Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur. Mais tu devras réprimander ton
compatriote, et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui ». En
écoutant attentivement
les paroles du Seigneur à Moïse, j’ai réalisé que ce que Dieu nous
demande
n’est pas de passer l’éponge aveuglément, de faire semblant de pouvoir
faire
comme si rien ne s’était passé, où que l’on pouvait pardonner et
repartir comme
avant ; non. Ce que Dieu nous demande, et c’est très difficile, c’est de
savoir
aller au-delà de notre colère, aussi juste et aussi forte soit elle, de
ne pas
tomber dans le piège de la haine « Tu ne haïras pas ton frère dans ton
cœur »
et dans celui de la vengeance « Tu ne te vengeras pas ». Nous le savons,
les
sentiments de haine, la soif de vengeance, engendrent et nourrissent la
violence. Cette violence qui donne au mal sa nourriture, qui l’alimente
et
l’entretient. Ce mal qui, finalement, nous ronge, et peut, en nous
donnant
envie de vouloir détruire l’autre, nous détruire nous-même. St Paul nous
le
rappelle dans la 2nde lecture « Si quelqu’un détruit le sanctuaire de
Dieu, cet
homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce
sanctuaire,
c’est vous ».
Jésus, qui décidément dans ce texte place la barre très haut, au moins
aussi haut que le Ciel, dit encore à ses disciples, donc à nous-mêmes :
« Aimez
vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être
vraiment les
fils de votre Père qui est aux cieux » Aimer nos ennemis. Là, on se dit
que
dans bien des circonstances, cela risque d’être au-dessus de nos pauvres
forces
humaines. Eh bien là aussi, l’Evangile peut nous donner un éclairage qui
nous
aide à discerner comment cela pourrait être possible. Rappelons-nous ce
passage, que dans un peu plus de 40 jours nous lirons lors de la Passion
du
Christ. Ce moment où Jésus, sur la Croix, alors qu’il vient d’être
humilié,
torturé et cloué sur le bois du supplice s’adresse à son Père dans cette
prière
« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Père,
pardonne-leur.
Il ne dit pas, tout Christ et parfait qu’il est « Je leur pardonne ».
Non, sans
doute, à ce moment-là, ayant pleinement endossé sa condition d’être
humain, il
n’en trouve pas la force. Mais il remet cela à son Père. Il confie à
Dieu, qui
n’est que miséricorde, le soin de pardonner à ceux pour qui il est sans
doute
impossible d’accorder soi-même son pardon. Voilà le signe de cet Amour
inconditionnel auquel nous invite le Christ. Ce que je ne peux faire
moi-même,
car au-dessus de mes forces, je le confie à mon Père du Ciel. Car j’ai
confiance en lui et, car au fond de moi, je ne veux pas renier la
promesse de
mon baptême, celle de rester un Enfant de Dieu.
Nous allons entrer mercredi dans ce temps du carême qui doit nous aider
à monter vers Pâques. Lors de ce temps de 40 jours, qui nous rappelle la
traversée du désert pour le Peuple élu, puis ce temps de la tentation
pour
Jésus au désert, nous sommes invités à préparer nos cœurs, et nos âmes,
à cette
commémoration de la Passion du Christ. Nous pouvons le faire de
différentes
manières et, l’Eglise, nous rappelle que le jeûne est une manière de
nous
préparer. Ce mercredi soir, notre paroisse nous propose un temps pour
vivre cela,
lors d’une soirée « pain – pomme », dont nous reparlerons. Mais il est
bien des
manières de jeûner, ce que Jésus nous rappelle lui-même dans son
Evangile.
Jeûner, c’est avant tout essayer de se décharger, de s’alléger, de ce
qui peut
être superflu, ou de ce qui pèse sur nos vies et les tire vers le bas.
Alors, en ce carême dans lequel nous allons entrer, puisse le Seigneur
nous aider à nous priver, autant que possible, de tout sentiment de
haine, de
ressentiment, de vengeance, envers nos prochains, qu’ils nous soient
proches,
éloignés et même si nous les considérons comme nos ennemis. Qu’il nous
donne la
force de demander à notre Père, pour toutes celles et ceux qui font le
Mal, qui
Nous font du mal, de leur accorder son Pardon, de les aider à retrouver
le bon
chemin. Qu’il mette en nos cœurs, et sur nos lèvres, cette prière
d’Amour et de
miséricorde : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Olivier RABILLOUD, diacre permanent
Pont-Saint-Martin, le 19 février 2023