32° dimanche ordinaire.
La
Sagesse ! Que peut-on désirer de plus que la Sagesse ? Quoi d’autre que
la Sagesse peut nous apporter le bonheur, la sérénité, la paix du cœur
? Bon, c’est vrai, la sagesse n’est plus vraiment à la mode de nos
jours. On voit davantage, dans nos journaux, d’éloges de la folie que
de la sagesse ; on vante plus les comportements excessifs que les
attitudes modérées ; et celui qui est sage peut souvent être considéré
comme une personne du passé. D’ailleurs, ne dit-on pas que la sagesse
serait l’apanage des anciens, comme pour les consoler de n’avoir plus
la vitalité, l’énergie, la témérité, qui permettent l’initiative et le
progrès ? Le sage ne serait-il donc qu’un vieil homme qui observe,
assis à sa fenêtre, les agitations du monde ?
Le livre de la Sagesse, d’où nous vient le passage de la première
lecture, est un texte écrit quelques années seulement avant la
naissance de Jésus. L’auteur de ce livre nous présente un éloge de la
sagesse, cette sagesse qui est Dieu lui-même. Les manières de la
décrire sont celles que l’on utilise habituellement pour parler de Dieu
vis-à-vis de l’humanité : « [la Sagesse] se laisse aisément contempler
par ceux qui l'aiment, elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. Elle devance leurs désirs en se montrant à eux la première. » Comme Dieu devance notre amour, lui qui nous a aimés le premier.
Si la sagesse est Dieu, alors elle peut nous sembler inaccessible,
impossible à atteindre. Et c’est vrai, sans l’aide de Dieu, ce ne sont
pas nos propres forces ou notre propre volonté qui nous permettront de
posséder la sagesse. Et pourtant, elle est souvent toute proche,
présente dans le simple bon sens. Comme dans cette parabole des cinq
jeunes filles insensées et des cinq jeunes filles prévoyantes, qu’une
autre traduction appelle « sages ». Leur sagesse n’est pas le fruit
d’une intelligence extraordinaire, mais relève simplement du bon sens :
on n’imagine pas de partir dans la nuit avec sa lampe de poche sans
s’assurer que la pile tiendra jusqu’au bout, et on pense à apporter
avec soi une pile de rechange ! C’est la même chose souvent dans
notre quotidien. Le bon sens nous dicterait toujours des comportements
de sagesse, mais nous avons parfois tellement la tête dans le guidon
que nous ne prenons pas ce petit temps de réflexion qui nous
permettrait d’entendre cette voix de la sagesse. Les façons de faire du
monde, les modes de pensée du plus grand nombre, peuvent nous
apparaître comme des chemins plus faciles, qu’il suffit de suivre,
comme tout le monde, pour atteindre nos objectifs sans déranger notre
confort, sans avoir besoin de réfléchir, sans même y penser. C’est
ainsi que s’installe ce que l’on peut appeler la « pensée unique »,
celle qu’il faut adopter pour être considéré comme normal, celle qui
nous fait le plus ressembler à notre voisin, celle qui nous mène sans
le moindre effort sur un chemin hyper sécurisé, comme le mouton au
milieu du troupeau, qui n’a pas besoin de se poser de question pour
avancer. Il suffit de suivre les autres, et de toute façon, c’est
bien difficile d’imaginer faire autrement, coincés que nous sommes au
milieu du troupeau. Alors on se complaît dans le « politiquement
correct », que l’on appelle « sagesse » pour se rassurer. On avance
sans bousculer, sans faire de vagues, on calque sa marche sur
l’ensemble du troupeau bêlant, en se nourrissant de l’herbe qui est
juste là, à nos pieds, sans effort, il suffit de se baisser. Et on
finit par se résigner : pourquoi faire l’effort de chercher une autre
nourriture que celle qui se trouve sous notre nez ? même si elle n’est
pas de bonne qualité, abîmée, piétinée par les autres moutons qui nous
précèdent. On se contente de la médiocrité. C’est ainsi que l’on
remplace, peu à peu, la sagesse par la folie, la clairvoyance par
l’aveuglement, le courage par la paresse. Comme ces jeunes filles
insensées de la parabole, qui ne vont simplement pas faire l’effort de
prendre l’huile nécessaire au fonctionnement de leurs lampes. On se
résigne, on refuse la lutte, on se contente de suivre ce que les médias
nous donnent en pâture quotidiennement. En nous montrant des attitudes,
des comportements, des idéologies qui devraient nous choquer, nous
alerter, nous faire réagir, on peut être tenté de se dire « si tout le
monde fait comme ça, c’est sans doute que c’est bien ». Saint Augustin,
au quatrième siècle déjà, mettait en garde ses contemporains en leur
disant : « A force de tout voir, on finit par tout admettre ; à force
de tout admettre, on finit par tout approuver. » Et de fil en aiguille,
on finit par perdre de vue la frontière entre le bien et le mal, entre
ce qui est sage et ce qui est folie. Et au lieu de faire des lois dans
le but de baliser notre route, on fait des lois pour autoriser les
excès. Au lieu de faire des lois pour protéger le faible contre
l’arrogance des plus forts, on fait des lois pour permettre aux forts
de disposer des faibles : les riches ont moins de devoirs envers les
pauvres, et la vie humaine n’est plus sacrée, n’est plus protégée, aux
moments où elle est pourtant la plus vulnérable, à son tout début et à
sa fin. Dans ces conditions, la sagesse qui dénonce la folie n’apparaît
plus que comme une contrainte, et le sage comme un empêcheur de tourner
en rond. On le considère non-plus comme un phare qui éclaire le chemin
devant nous, mais comme la voix un peu désuète d’un passé, d’une
tradition dont il faut absolument s’affranchir pour se croire un homme
libre. On a même pris un soin tout particulier, par exemple, à renier
les racines chrétiennes de l’Europe, comme s’il s’agissait d’un
héritage encombrant ; comme si la pensée chrétienne, sagesse fortifiée
par les siècles, était un obstacle à la construction européenne, alors
qu’elle en est l’origine.
Oui, nous ne pouvons que le constater, la sagesse a mauvaise presse. On
lui préfère une espèce de tolérance molle qui accepte tout, même
l’intolérable, au nom d’une liberté débridée et vidée de son sens. Et
le sort de ces cinq jeunes filles insensées de la parabole ? « C’est
leur choix » dirait-on simplement aujourd’hui.
Alors, dans ce contexte, comment accueillir cet éloge de la Sagesse que
nous proposent les lectures d’aujourd’hui ? Qu’il est difficile, en
effet, aujourd’hui comme hier, de faire le choix de la sagesse ! Comme
nous le conseille la première lecture, il nous faut commencer par la
chercher. Pas la peine, pour cela, d’être doué de facultés
exceptionnelles, car « elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent
» ; puis, laissons-nous réconforter par ces mots « Ne plus penser qu'à
elle prouve un parfait jugement, et celui qui veille en son honneur
sera bientôt délivré du souci. » Alors, avec elle, pour elle, nous
pourrons tenir ferme dans le monde, en nous rappelant cette phrase de
St Paul dans sa lettre aux Corinthiens : « ce qui serait folie de Dieu
est plus sage que la sagesse des hommes, et ce qui serait faiblesse de
Dieu est plus fort que la force des hommes ». Oui, frères et sœurs,
désirons la Sagesse, car la désirer, c’est désirer Dieu. Faisons nôtre
cette prière au chapitre 9 de ce même livre de la Sagesse : « Seigneur,
donne-moi la sagesse, assise près de toi ! »
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent
5-6 novembre 2011, Gétigné et Clisson.
Sommaire année A
Accueil