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« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » ; « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». C’est ce qu’on appelle le commandement de l’amour.

Mais l’amour peut-il se commander ? Cette façon de présenter l’amour comme un commandement peut paraître surprenante, peut-être même gênante pour certains. C’est en tout cas inaudible pour des fiancés qui se préparent au mariage. Parmi les nombreux textes qui leurs sont proposés pour la célébration de leur mariage, il y a un passage du chapitre 15 de St Jean, dans lequel Jésus dit à ses disciples « vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande » (verset 14). Quand on pose la question aux fiancés : choisiriez-vous ce texte pour votre mariage ? beaucoup répondent spontanément non ! Dans leur expérience personnelle, l’amour ne peut pas se commander. Les fiancés ne conçoivent pas de s’aimer sous la contrainte d’un commandement. Pour eux, aimer, c’est naturel : on aime ou on n’aime pas. Alors, un commandement de l’amour… ?!

Pourtant, ils savent bien, par expérience, qu’aimer n’est pas toujours facile. Certains jours, l’être aimé nous agace, ou même peut nous faire du mal. Il peut même arriver dans un couple d’échanger des paroles blessantes, parfois violentes, intentionnellement ou pas. Que devient l’amour dans ces moments précis ? Est-il encore de l’amour ? 

Eh bien justement, l’expérience, une fois encore, apprend à ceux qui s’aiment que lorsque ces moments arrivent, c’est justement l’amour qui va rendre capable de panser les blessures, de surmonter les sentiments de tristesse, de souffrance ou de peur qui s’invitent au cœur de la relation. Et la puissance de l’amour va permettre de parvenir jusqu’au pardon, pardon demandé, pardon accordé.

Mais ça ne se fait pas tout seul, il faut souvent se forcer ! Ça n’a rien de naturel, en fait ! Quand une personne a blessé l’être aimé, il y a comme une petite voix qui lui rappelle « tu aimeras ! », la promesse qu’elle avait faite au début de leur union. « Tu aimeras ! ». Promesse qui pousse à agir de manière à restaurer l’amour. De même chez la personne blessée, malgré la souffrance subie, il y a encore cette petite voix qui souffle « tu aimeras ! » et qui lui indique un chemin vers la réconciliation. Le commandement de l’amour, le voilà. Il existe bel et bien, mais il ne vient pas forcément d’un précepte, d’un dogme, d’un article de loi, qui serait comme extérieur à nous-mêmes. Ce commandement est intimement lié à l’amour. Il en fait partie, pourrait-on dire. L’amour n’est pas qu’un sentiment « fleur bleue », l’amour est exigeant. 

Car en effet, de quel amour parle-t-on ? Notre langue française, pourtant si riche par ailleurs, ne fait pas de nuances dans les degrés de l’amour. Curieusement, on aime son conjoint comme on aime la confiture. C’est aussi le cas de la plupart des autres langues européennes. Mais le grec ancien, celui que parlaient les peuples autour de la Méditerranée à l’époque de Jésus, le grec  des Évangiles, distingue 3 nuances d’aimer : Eros, Philia et Agapè.

Le grec utilisera éros pour dire « j’aime », quand « j’éprouve du désir pour… » ; je l’aime pour ce qu’il m’apporte, pour le bien qu’il me fait. C’est le degré inférieur de l’amour.

Philia sera utilisé pour exprimer « je me sens bien avec… » ; j’aime sa compagnie, j’aime la relation qui nous unit.

Et le troisième terme, le degré supérieur de l’amour, Agapè : « je l’aime pour lui-même », j’aime ce qu’il est, et je désire son bien avant mon propre intérêt. 

Avec Eros, on a les notions de plaisir, de passion, mais aussi de séduction, de jalousie ; Philia se rapporte à l’amitié, la famille, la relation,  le partage, l’engagement… Quant à Agapè, il est associé aux concepts de respect de l’autre, de service, de don de soi, de sacrifice même, mais aussi de joie.

On voit alors que, si Eros et Philia peuvent en effet faire référence à quelque chose que l’on ressent, que l’on éprouve, quelque chose qui nous vient, comme un sentiment, l’amour Agapè nécessite davantage comme une sorte d’effort, un appel à la volonté. « Tu aimeras » mobilise notre adhésion, notre volonté, plus que nos sentiments ; notre raison plus que notre coeur. C’est évidemment de cet amour Agapè dont nous parle Jésus, quand il cite les commandements de l’Écriture : « Tu aimeras ».

Mais « Tu aimeras »… qui ? « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Jésus rapproche ces deux commandements pour n’en faire qu’un seul précepte fondamental : « De ces deux commandements dépend toute la loi, ainsi que les Prophètes » La Loi et les Prophètes, c’est-à-dire la totalité de l’Écriture. Toute la Bible ! Tous les préceptes qui régissent notre relation à Dieu, notre relation avec les autres, dépendent de ces deux commandements. 

En fait Jésus nous redit qu’aimer Dieu ne peut se faire sans aimer son prochain comme soi-même. Les deux sont nécessaires, les deux se rejoignent. Mais ils ne se rejoignent qu’à condition de mettre toujours Dieu au centre ; c’est très important ! 

Pour illustrer cela, j’aime évoquer cette expérience que nous faisions, lors des rencontres de préparation  au baptême, avec les parents. A la fin de la rencontre qui réunissait souvent une vingtaine de personnes, pour le temps de prière, nous placions sur une petite table au milieu de la salle une icône, une bougie allumée, une Bible… pour matérialiser la présence de Dieu parmi nous. Nous nous mettions tous debout, puis, au cours de la prière, je demandais à chacun d’avancer d’un pas, puis deux, puis trois…vers l’icône et la bougie. Et nous constations alors que, plus chacun s’approchait de Dieu, plus il se rapprochait des autres, au point de les toucher, pour ne former qu’un seul corps. 

Cette sorte de parabole vivante nous permet de vérifier qu’en effet, si on place Dieu au centre, et seulement à cette condition, se rapprocher de lui nous rapproche des autres, dans un même mouvement. On constate aussi que l’inverse n’est pas obligatoirement vrai : on peut se rapprocher des autres sans se rapprocher de Dieu, ou même en s’éloignant de Dieu. « Tu aimeras le seigneur ton Dieu » est ainsi, comme Jésus nous le dit, « le grand, le premier commandement. » Et « tu aimeras ton prochain comme toi-même » lui est semblable, mais reste le second. 

Quoiqu’il en soit, frères et soeurs, que nous soyons davantage portés à nous tourner vers les autres ou à nous tourner vers Dieu, n’oublions pas de toujours placer Dieu au centre. Ainsi, nous pourrons répondre à ce premier, ce grand commandement de l’amour, et au second qui lui est semblable. Poussés par l’Esprit Saint, nous entrerons avec Jésus dans ce grand mouvement d’amour qui renforce notre unité et qui fait de nous un seul corps, tous frères et soeurs, tournés d’un même coeur et en marche vers Dieu, notre Père à tous.


Amen !


Daniel BICHET, diacre permanent.

Maisdon sur Sèvre, Boussay et Clisson, le 29 octobre 2023



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