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30° dimanche ordinaire.


En relisant la lecture de ce jour, je me disais qu’un tel texte, si on le publiait aujourd’hui, pourrait être approuvé par tous, croyants ou non : « Tu ne maltraiteras point l’immigré qui réside chez toi ; vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin. Si tu prêtes de l’argent à un pauvre parmi tes frères, tu ne lui imposeras pas d’intérêts. Si tu prends en gage le manteau de ton prochain, tu le lui rendras avant le coucher du soleil. » Qui pourrait être contre la bonne intention de ces préceptes ? Ces quelques lignes sont extraites du très long code de l’Alliance que l’on trouve dans le Livre de l’Exode, code qui constitue le fondement, la somme des éléments incontournables pour une vie en communauté, où la loi protège le plus pauvre, le plus faible, le plus démuni. Code pour une société qui cherche à se construire autour des valeurs de justice et de paix. C’était le cas de ce tout petit peuple d’Israël, il y a plus de 30 siècles. Une fois sorti de l’esclavage d’Egypte, il lui faut apprendre à gérer sa liberté, son autonomie. Il lui faut donc se donner des codes, des règles de vie. Une charte de vie, comme on dirait aujourd’hui. Et c’est en mettant en place cet ensemble de codes de bonne conduite, entre humains, qu’il découvre peu à peu, ce peuple naissant, que Dieu a toute sa place dans les relations entre les hommes, les femmes qui constituent ce peuple. Il découvre que le Dieu d’Abraham, Dieu de ses ancêtres, ce Dieu qui l’a fait sortir du pays où il était immigré, exploité, est un Dieu personnel. Un Dieu unique, contrairement aux peuples voisins qui adoraient des multitudes de divinités, mais surtout un Dieu personnel, qui aime personnellement chacun de ses enfants, et plus particulièrement ceux qui ne sont pas aimés, qui ne trouvent pas autour d’eux cette sollicitude des hommes. Les immigrés, les pauvres, les petits. Car Dieu s’est révélé à ce peuple d’une façon très particulière : il s’est révélé à son peuple en le libérant. Il a écouté la plainte des humiliés, des opprimés sur la terre d’Egypte, et les a libérés. Ce n’est pas le Dieu des plus forts, mais le Dieu des plus faibles. C’est pourquoi le code de l’Alliance insiste sur le comportement à tenir vis-à-vis de ces plus faibles, que sont la veuve et l’orphelin, l’une comme l’autre entièrement dépendant de la bienveillance des autres, n’ayant aucun moyen de subsistance. Comme l’est aussi l’immigré, comme l’est encore celui qui en est réduit à emprunter parce qu’il est dans le besoin. Celui qui veut suivre ce code de l’Alliance, cette loi de Dieu, ne peut pas se contenter d’être un adorateur simplement en pensée ou en parole.
Quand il se tourne vers Dieu, il ne doit pas pour autant se détourner de ses frères les hommes. Dieu n’est pas en concurrence avec les hommes. Il ne nous demande pas de choisir entre aimer Dieu et aimer les hommes. Il nous dit au contraire – c’est la réponse de Jésus dans l’Evangile d’aujourd’hui – que ces 2 commandements sont semblables. Pas « de même valeur » ni « de même importance » mais plutôt « de même nature ». « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit » se concrétise, se réalise par « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Les deux ne font qu’un. Ils sont indissociables, et chacun d’eux est dépendant de l’autre. Chacun d’eux est dans l’autre. Et de ces deux commandements dépend tout le reste ! St Augustin traduisait cette idée par cette phrase célèbre, pas toujours bien comprise d’ailleurs : « Aime et fais ce que tu voudras ». Ça ne veut pas dire « Tout ce que tu fais est juste, légitime, du moment que tu es sincère et que tu aimes » comme on l’entend trop souvent aujourd’hui.  Mais plutôt « Aime d’abord, et alors seulement, tout ce que tu feras, parce que tu aimes, tout ce que tu feras au nom de cet amour, sera nécessairement bon. » Autrement dit encore : « L’amour te poussera à ne faire que de bonnes actions. »
Quand les pharisiens interrogent Jésus, même si l’Evangile nous dit que c’est, une fois de plus, pour le mettre à l’épreuve, c’est aussi que la question qu’ils posent est une vraie question. Une question qui fait débat, et même encore aujourd’hui. Ils connaissent, ces pharisiens, ces deux premiers commandements de la loi de Moïse. Ils connaissent même par cœur les 613 commandements qui se sont ajoutés à la loi, au fil des siècles. Pour chacune des actions de leur quotidien, ces pharisiens vont faire très attention, vont vérifier minutieusement, scrupuleusement, si ce qu’ils font – et parfois ce que font les autres ! – n’entre pas en contradiction avec l’un ou l’autre de ces 613 commandements. Ils sont tellement « attachés » à la Loi qu’il y sont littéralement « attachés ». Ils en sont les prisonniers, ils en sont devenus les esclaves. Et ils débattent entre eux, dans d’infinies palabres depuis des siècles, pour mettre une hiérarchie dans toutes ces interdictions, obligations et préceptes. Et Jésus, en quelque sorte, par sa réponse, les libère de cet esclavage. Comme, au temps de Moïse, Dieu a libéré son peuple de l’esclavage des Egyptiens, Dieu, par Jésus, veut encore libérer ce peuple de l’esclavage qu’il s’est construit. Sans faire de révolution, sans renier la Loi de Moïse, mais au contraire en la faisant mieux comprendre, en l’éclairant par sa sagesse. « Tout ce qu’il y a dans l’Ecriture, dans la Loi et les Prophètes, dépend de ces deux commandements. »
Avec les groupes de parents, lors des séances de préparation au baptême de leurs enfants, nous concluons la soirée par un temps de prière. Et le geste que nous faisons ensemble alors incarne bien le lien entre ces deux commandements d’amour, ces deux commandements qui fondent notre vie de chrétiens. Vous pourrez refaire ce geste chez vous, lors d’un temps de prière en famille, ou en communauté. C’est très simple  : On se dispose en demi-cercle, au centre duquel on a placé une icône, ou une flamme, matérialisant la présence de Dieu au milieu de nous. Dieu est donc au centre de notre assemblée, le centre de notre vie. Puis, ensemble, tout le monde fait quelques pas en avant pour se rapprocher du centre, et par le fait même, se rapproche des autres. Chacun, en se rapprochant de Dieu, se rapproche de ses frères, et en se rapprochant de ses frères se rapproche de Dieu. Les deux mouvements sont liés, ils sont mécaniquement dépendants l’un de l’autre. Ils ne sont pas en concurrence, ils sont en concordance. La vie de Sœur Emmanuelle a été tout entière la preuve que ces deux commandements ne font qu’un, elle qui était si proche des souffrants, et en même temps si proche de Dieu par sa prière.
Nous aussi, comme les pharisiens, il nous arrive parfois d’opposer ces deux commandements ; de les mettre en concurrence ; de porter un jugement sur les choix que d’autres peuvent faire. Lequel des deux commandements est le plus grand, le plus important ? Qui a raison ? celui qui investit de son temps dans une association caritative (tu aimeras ton prochain comme toi-même) ? ou dans des temps d’adoration (tu aimeras le seigneur ton Dieu de toute ton âme, de tout ton esprit) ? Alors, au lieu de nous disputer le bien fondé de nos engagements, méditons plutôt ce geste simple, qui n’est pas qu’une gentille chorégraphie, mais qui nous dit, non pas avec des mots, mais à travers nos attitudes, à travers nos corps, que si je me rapproche des autres, alors je me rapproche aussi de Dieu ; si je me rapproche de Dieu, alors je me rapproche aussi des autres.

Amen !




Daniel Bichet, diacre permanent.

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