Durant ces deux journées magnifiques de
la visite du Pape, nous avons été gratifiés de messages nous rappelant
combien
le Seigneur est miséricordieux. C’est une image de cette miséricorde que
nous
propose l’évangile de ce jour à travers cette parabole des ouvriers de
la 11ème
heure.
Celle-ci a d’ailleurs largement dépassé
son contexte biblique pour devenir une expression populaire et nombre de
ceux
qui l’utilisent aujourd’hui ne connaissent sans doute pas son origine et
surtout son contexte.
Il faut, en effet, en faire une lecture spirituelle,
c’est-à-dire avec l’esprit de Jésus qui la propose car si nous la lisons
simplement humainement on va se retrouver
avec un patron, le vigneron, qui risque de mettre son affaire en péril
économiquement et des ouvriers
qui vont crier à l’injustice
en face d’un responsable qui dirige d’une manière arbitraire.
Or ce n’est pas du tout cela, car nous sommes face à une
parabole, l’une de ces petites
créations
littéraires que Jésus aime utiliser pour bien faire comprendre son
message. Ici
le personnage central est un maître qui recherche des ouvriers pour sa
vigne.
La vigne est un thème fort dans la Bible et Jésus aime bien l’utiliser.
Tout commence comme dans une histoire réelle. Très tôt le
matin les ouvriers, les “journaliers, “se tiennent sur la place du
village dans
l’attente d’une éventuelle embauche. De celle-ci dépend le salaire qui
permettra de se nourrir et de nourrir sa famille car on vit au jour le
jour.
Ce qui différencie cependant d’une histoire réelle, c’est
que d’entrée Jésus nous a prévenu,“ le Royaume des Cieux est comparable“
au
maitre d’un domaine qui va aller rechercher des ouvriers pour les
envoyer
à sa vigne.
Nous le comprenons très vite. Avec les premiers embauchés,
ceux qui vont durement œuvrer du matin 6 heures au soir 6 heures, il y a
“un
contrat verbal“, le salaire est d’une pièce d’argent.
Mais ce maître se met à revenir sur la place vers 9 heures,
à midi, puis à 3 heures de l’après-midi et il embauche les présents en
leur
promettant de leur donner “ce qui est juste“ comme rémunération.
Cette
attitude peut déjà interroger mais elle devient complètement étrange
lorsqu’il
revient vers 5 heures et interroge ceux qui sont là, “pourquoi êtes-vous
restés
toute la journée sans rien faire ?“ “parce que personne ne nous a
embauchés “Ils sont chômeurs “. Et le maître contre toute logique
économique les envoie à sa vigne. Ils ne feront sûrement pas grand-chose
mais
le maître leur rend un statut de travailleur et pour eux
cette reconnaissance
est très importante.
Ainsi le maître apparemment préoccupé d’abord par les soins
à sa vigne va devenir au fil de la journée de plus en plus préoccupé par
les
hommes qu’il rencontre. Ce n’est plus la dimension économique qui va
prévaloir
mais sa volonté de ne laisser personne au bord du chemin.
Le Père Varillon donnait volontiers le nom de “parabole des
chômeurs“ à ce récit d’Evangile et il vrai que toute la parabole tourne
autour
de ceux qui n’avaient pas encore trouvé de travail lors du dernier
passage du
maitre sur la place.
Nous aurons noté qu’à chaque fois le maitre reprend
l’expression “allez à ma vigne“. Dans l’Ancien Testament, la vigne est
le
symbole du “peuple de Dieu“ Ainsi en Isaïe au chapitre 5 nous trouvons
le chant
de la vigne où il est écrit : “la vigne du Seigneur c’est la maison
d’Israël“.
On peut trouver curieux
voire illogique que le maitre, lors de la remise du salaire,
fasse
d’abord avancer les derniers arrivés et encore plus curieux qu’il leur
donne
une pièce d’argent comme ce qui était convenu avec les premiers arrivés
à la
vigne. Il veut manifestement montrer aux ouvriers de la première heure
ce
qu’il fait pour les
derniers.
Mais les premiers lorsqu’ils vont constater que le maitre
donne à ceux-ci ce qui était convenu avec eux dès le matin, il est
humain de
penser qu’ils vont s’attendre à être mieux rémunérés. Mais il n’en est
rien,
ceux-ci aussi reçoivent la pièce d’argent convenue le matin. Alors ils
vont se
mettre à récriminer, à murmurer, à bougonner selon les traductions, en
résumé,
ils ne trouvent pas cela juste. Mais ce que le maitre voulait leur
montrer
c’était le geste qu’il faisait et les inviter à partager sa joie d’avoir
été
généreux avec les derniers arrivés. Car Dieu est bon et d’une bonté qui
surpasse
tout y compris le fait nous ne le méritions pas.
Dieu veut nous faire passer d’une logique de chronomètre, de
balance bien réglée, de comptable de tout, pour nous faire entrer dans
une
logique d’amour, de miséricorde et de pardon. L’amour ne se compte pas,
l’amour
ne s’achète pas, il est donné et notre Seigneur en est un grand
distributeur
pour les cœurs qui lui sont ouverts.
Pourtant la jalousie s’est insinuée dans les cœurs des
ouvriers premiers embauchés et ils en veulent à leur employeur, c’est le
“murmure de la jalousie“ qui s’oppose
à
la joie de Dieu qui est la joie d’aimer et de donner. C’est la
proposition
qu’il nous fait d’entrer dans cette joie, car la grandeur de l’être
humain
est sa capacité à aimer en se souvenant qu’il a été créé à l’image
de Dieu.
L’attitude négative nous fait penser à celle des scribes et
des pharisiens qui récriminaient contre Jésus parce qu’il accueillait
les
publicains, les pécheurs et les prostituées.
C’est l’attitude constante de Jésus, les “derniers“
deviendront “premiers dans le Royaume“ comme dans l’Eglise primitive les
païens
qui se convertissaient étaient mis au même rang que les Juifs d’origine.
Mais
le plus bel exemple que Jésus nous a donné est celui du bon larron que
Jésus
accueillera dans son paradis, lui qui se convertit avant qu’ils ne
meurent sur
la croix.
Ainsi, Jésus à travers cette parabole nous trace un
merveilleux portrait de son Père :
“- Un
Dieu
qui aime tous les hommes, en particulier les plus délaissés et qui veut
les
introduire dans sa vigne, dans son bonheur…
-
Un Dieu qui répand ses bienfaits à
profusion, qui “invite“ et “appelle“ à toute heure, à tout âge, dans
toute
situation… même dramatique.
- Un
Dieu
dont la bonté n’est pas limitée par nos mérites et qui donne plus que
nous
n’avons “gagné par nos propres efforts…“
- Un
Dieu
qui écarte quiconque prétendrait avoir des privilèges ou des droits, en
empêchant les autres d’en profiter…“
Cette parabole est donc une invitation à nous réjouir de la
miséricorde de Dieu.“ La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse
pour
toutes ses œuvres“ nous dit le psaume que nous avons entendu. Et le
prophète Isaïe
nous rappelait dans la première lecture, que “ notre Dieu est riche en
pardon“
Entendons aussi
ce
que disait le saint pape
Jean-Paul II
dans son encyclique sur ce sujet : “la miséricorde est une
puissance
particulière de l’amour qui est plus fort que le péché et l’infidélité…“
Demandons donc à la Vierge Marie de nous aider à être
toujours davantage des témoins de la miséricorde divine afin d’adoucir
autant
que faire ce peut, la brutalité de trop de rapports humains dans notre
monde
d’aujourd’hui.
Georges Renoux, diacre permanent
Basilique du Sacré Cœur de Marseille
Le 24 septembre 2023
cf.
-
François Varillon- “Vivre le Christianisme“-Centurion - 1992
-Noël
Quesson –“Parole de Dieu“-Droguet et
Ardant - 1991