La liturgie de la Parole de ce dimanche est centrée
sur le pardon, souvent si difficile, parfois presque impossible… Le
pardon de
Dieu constitue un sacrement dans l’ordre de la foi, le sacrement de
réconciliation. Cet été, dans une paroisse du Vercors où je concélébrai
comme
diacre avec le prêtre, une personne est venue me voir en fin de messe
pour me
demander le sacrement de réconciliation. Je l’ai orientée vers le
prêtre, lui
expliquant qu’un diacre n’est pas habilité à donner ce sacrement. La
personne
m’a alors répondu : qu’est-ce qu’un diacre ? L’anniversaire de
mes 10
ans d’ordination me donne ainsi l’occasion de vous dire d’abord quelques
mots sur
le ministère de diacre.
Le diacre a reçu l’unique sacrement de l’ordre qui
comprend trois degrés : le diaconat, le presbytérat (prêtre) et
l’épiscopat (évêque). Répandu aux premiers siècles comme l’atteste St
Paul
(« l’épiscope et ses diacres »), il disparaît en Occident
comme degré
permanent à partir du 5ème siècle, pour rester le premier
degré de
l’ordination des futurs prêtres. 15 siècles plus tard, en 1964, le
concile
Vatican II le rétablit comme degré permanent, avec la possibilité
d’ordonner
des hommes célibataires ou mariés. Dans l’Antiquité, le diacre était
chargé du
soin des pauvres, chrétiens ou non. Le diacre a toujours été et demeure
très
lié à son évêque, duquel il reçoit une mission souvent à l’échelle du
diocèse.
L’Église précise que le diacre est ordonné pour être
signe du Christ serviteur, alors que prêtres et évêques sont ordonnés
pour être
signe du Christ qui rassemble les communautés et préside aux sacrements,
notamment l’eucharistie. Mais il convient de rappeler que c’est parmi
les
diacres signes du Christ serviteur que certains sont appelés ensuite
comme
prêtres, puis parmi les prêtres, appelés comme évêques, pour présider
les
communautés selon un esprit de service qui doit demeurer conforme au
premier
degré de l’ordination : diacre. Le sacrement de l’ordre, c’est
toujours
quelques-uns appelés au service de tous : le socle commun des
ministères
ordonnés est bien le diaconat.
Le peuple chrétien est un peuple à la fois
sacerdotal (au service de la rencontre de Dieu et de l’humanité) et
diaconal
(au service de cette humanité), peuple rassemblé par le Christ. Tout
comme il
existe un sacerdoce commun des baptisés distinct et complémentaire du
sacerdoce
ministériel des prêtres, il existe une diaconie commune à tous les
baptisés,
complémentaire de la diaconie ministérielle des diacres, qui n’ont pas,
de fait
et loin s’en faut, le monopole du service, mais qui témoignent que tout
chrétien est appelé à servir ses frères et le monde. Pour notre
paroisse, c’est
l’appel reçu par Serge, Bernard, Christian et moi-même comme diacres.
Si le diacre n’est pas indispensable pour célébrer
la messe, le Missel romain prend soin de distinguer la messe avec diacre
de la
messe sans diacre, ce qui n’est pas un détail. S’il est présent, le
diacre
proclame l’évangile, sommet de la liturgie de la Parole, puis il fait
silence à
l’autel pendant la liturgie de l’eucharistie, alors même qu’il élève le
calice contenant
le sang du Christ. Il invite à partager entre tous la paix qui vient du
Christ,
et renvoie l’assemblée dans cette paix. L’eucharistie que nous célébrons
est
tendue vers la fin des temps : « Heureux les invités au
repas des
noces de l’Agneau ». Avec le prêtre et l’évêque, on célèbre
déjà ce
qui nous est promis au terme de l’histoire depuis la Pâque du Christ.
C’est pourquoi leur ministère est indispensable et
source d’espérance, alors que celui du diacre a quelque chose du
présent :
la Parole de Dieu parle-t-elle encore au monde ? La paix de Dieu
va-t-elle
être accueillie ? L’Église peut vivre sans diacre permanent, ce qui
rend
humble.
Mais aussitôt il faut ajouter que, lorsqu’elle en
ordonne, elle se donne la possibilité de signifier beaucoup plus
clairement
l’appel du Christ à servir ses frères et sœurs dans la foi et en
humanité. Et vous
avez tous reçus cette mission du Christ. Repartir vers l’autre, se
réconcilier,
pardonner nous ramène à la liturgie de la Parole de ce jour.
Combien de fois dois-je pardonner à celui qui m’a
offensé ? Cette question suppose qu’il y a déjà eu un premier
pardon… ce
qui est déjà quelque chose… Nos relations personnelles, familiales,
professionnelles, ecclésiales sont touchées par des questions de
rancune, de jalousie,
d’envie, d’infidélité, de violence… L’acte de pardonner est central. On
ne peut pas effacer une offense.
On ne peut pas « passer l’éponge » et effacer l’acte comme
s’il
n’avait jamais existé. Il y a toujours une cicatrice après une blessure.
Le
pardon n’est pas « ignorer un passé », mais « faire un
don
par-dessus l’offense », pour retrouver une confiance, reconstruire
une
relation, entrer dans un avenir plus apaisé.
Existe-t-il un lien entre le pardon que j’accorde à
celui qui m’a offensé, et le pardon que Dieu peut m’accorder pour mes
propres offenses ?
Ce que Ben Sirac le Sage rappelle, c’est que tu es pécheur toi aussi, et
tu as
besoin d’être pardonné par le Seigneur car avec le mal que tu as commis,
quelque chose de la relation d’amour entre le Seigneur et toi a été
abîmé, comme
si le pardon du Seigneur passait par le pardon que nous accordons à nos
semblables. C’est bien ce que la parabole de l’évangile dit de la bouche
même
de Jésus, et que la prière du Notre Père formule : « Pardonne-nous
nos
offenses, comme nous pardonnons aussi… ».
N’y voyons pas un donnant-donnant, car la
miséricorde de Dieu échappe à toute logique comptable à vue humaine. Il
faut
plutôt y déceler une cohérence. Le pardon de Dieu est toujours offert,
toujours
possible, mais il n’est pas possible de vivre l’accueil de ce pardon
divin si
moi-même je refuse de pardonner. Si je compare la miséricorde de Dieu à
un
torrent qui vient me remplir du don de Dieu, et si je mets dans ce
torrent une
bouteille vide fermée qui ne laisse pas entrer l’eau à l’intérieur, je
me ferme
à ce grand courant de miséricorde. La bouteille qui se remplit, c’est
moi qui
pardonne. Le torrent qui m’entraîne, c’est le Seigneur qui me pardonne.
Oui mais la patience humaine a ses limites. La
patience divine, nous dit Jésus, n’a pas de limite, et telle devrait
être notre
patience. Comme c’est difficile, n’est-ce pas ? Car dans le pardon,
il
faut qu’il y ait une rencontre, un chemin fait par celui qui pardonne et
par
celui qui est pardonné. Il y a bien des situations humaines, dans notre
propre
histoire, et même dans notre Eglise, où cette visée reste pour l’instant
inaccessible.
C’est pourtant ce à quoi Dieu nous invite, tel un cap dans notre
existence. Et
cela n’exclut nullement la justice humaine. Toute notre vie est
nécessaire pour
tendre vers cette relation apaisée avec nos proches et avec Dieu,
« pour
appartenir au Seigneur dans notre vie comme dans notre mort »,
comme
l’écrit Paul aux Romains. Accueillons vraiment dans l’Eucharistie le
Seigneur
qui nous a déjà pardonné et qui nous appelle à le suivre sur ce chemin
du
pardon.
Christophe DONNET, Diacre permanent
17 Septembre 2023
Paroisse St-Étienne – St-Benoît
Rentrée paroissiale et anniversaire des 10 ans
d’ordination diaconale