Année A

Sommaire année A
Accueil



23° dimanche du Temps Ordinaire.

Dans l’évangile que nous lisons aujourd’hui, Matthieu nous parle de l’Eglise. Ce petit passage est inséré au cœur du plus petit chapitre de son Evangile, le seul chapitre qui nous donne des indications concernant le « collectif » que forment tous ceux qui sont disciples du Christ. Que nous dit ce chapitre 18, dont notre passage est le cœur ? Il parle d’abord de l’accueil des petits, ensuite de l’acceptation des autres, puis de la prière de la communauté et enfin du pardon continuel. Concernant le « collectif », Jésus ne donne aucune indication sur des structures à mettre en place ; il n’a laissé aucune instruction sur une éventuelle hiérarchie ou même une amorce d’organisation d’Eglise. Seul compte, pour lui, un certain esprit de fraternité, basé sur le fait que nous avons tous un Père commun : Dieu ; voilà l’origine de ce qui nous lie, qui nous rend dépendants les uns des autres.

Donc, simplement quelques rares consignes, d’autant plus importantes qu’elles sont rares. Essayons d’entrer dans le propos de Jésus : il avait dit à Pierre – nous l’avons entendu il y a 2 semaines – « Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel ; tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel ». Voilà qu’aujourd’hui, il reprend les mêmes propos en s’adressant cette fois à l’ensemble des disciples – tout ce que VOUS lierez, tout ce que VOUS délierez – ce qui revient à dire que Dieu lui-même ratifiera les décisions et les choix que nous serons amenés à faire collectivement.

Alors, il nous dit : pour arriver à vivre en frères, il y a des conditions nécessaires et l'une de ces conditions, c'est ce qu'on appelait autrefois la "correction fraternelle" : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul (...) S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes (…) S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Église. ». C'est là que, pour nous, le propos de Jésus devient difficile ; en effet, si mon frère fait quelque chose qui me semble mal, ma tentation première n’est-elle pas de considérer que cela le regarde, qu’il a sa conscience pour lui, à lui de se débrouiller avec elle ? De là à aller le trouver ! Ce qu'on fait de mal ou de bien, c'est d'abord une affaire de relation personnelle avec Dieu ; il a sa conscience, j’ai la mienne, ma relation à Dieu ne regarde que moi : je suis responsable de MA vie, pas de celle des autres... Jésus n'a-t-il pas dit : " Ne jugez pas ! " et aussi : " Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton voisin, alors que tu ne vois pas la poutre qui est dans ton œil " ou encore lorsqu’il s’adresse aux pharisiens qui lui présentaient la femme adultère : « Eh bien, que celui qui est sans péché lui jette la première pierre » ? Alors, de quel droit pourrais-je me permettre de lui faire des remarques ?  

Or justement, nous le savons bien : faire la morale à quelqu’un suppose beaucoup d’amour ; cela suppose que je suis même prêt à me faire haïr pour qu’il ait une chance de rectifier sa route et que j’accepte à mon tour qu’il me critique pour mes actes. N’est-ce pas ce que nous vivons nous les parents avec nos enfants, ce que vivent les éducateurs en lien avec celles et ceux qui leur sont confiés, les employeurs avec leur personnel, les prédicateurs vis-à-vis de la communauté… ? Alors, pourquoi ces consignes difficiles à mettre en pratique ?

Et bien F&S, pour nous épargner les écueils d’une conception individualiste de la vie - que nous rencontrons hélas fréquemment dans notre monde d’aujourd’hui - Jésus lui substitue une conception communautaire, une conception ecclésiale : nous sommes aussi responsables des autres. La première lecture nous rappelle que Dieu l’avait déjà dit au prophète Ézéchiel, qu’il avait instauré « guetteur pour la maison d’Israël ». Pas de doute : aux yeux de Dieu, chacun de nous est responsable de ses frères et de ses sœurs !

L'Évangile de ce jour nous rappelle vigoureusement que le christianisme est une religion de la communauté. On ne peut pas être chrétien tout seul ; on ne peut pas réussir sa vie tout seul ; on ne peut pas fortifier notre propre personnalité sans une relation aux autres. Notre accès à Dieu et par conséquent notre vérité, notre joie de vivre, tout, absolument tout, se joue dans la manière dont nous nous relions aux autres. Dans ce chapitre de l'Évangile consacré à l'Église, Jésus nous rappelle que l'homme ne peut exister réellement que par ses liens. "Dieu créa l'homme à son image" lisons-nous au commencement de la Bible ; image de Dieu, je le suis particulièrement par le fait que je suis un être en relation.

Il y a donc Église quand « deux ou trois sont réunis en mon nom » ; même pas : il suffit que « deux d'entre vous s'entendent ». Quand des hommes "s'entendent", "se réunissent" au nom du Christ, alors ils sont en communication, en communion. Et c'est parce que notre vocation d'homme est d'être ensemble que nous ne pouvons nous désintéresser de ce que fait notre frère.

" Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux." Pour Jésus, c'est essentiel : il faut dépasser nos tentations individualistes et parvenir à une mentalité communautaire. Nous, disciples du Christ, ne devons former qu'un seul corps, une seule famille (Jésus parle de " frères "). Nous sommes donc, de par notre vocation de baptisés, solidaires les uns des autres. Notre relation à Dieu n’existe pas authentiquement dans un seul à seul avec lui ; notre foi se vit toujours à l’intérieur de notre relation aux autres. Ce n’est pas une contrainte, bien au contraire, c’est une libération ; si nous recherchons ce type de relation, nous serons allégés de toutes nos complications, de nos doutes, de notre solitude. Il s’agit d’apprendre à vivre en communion ; Jésus met comme condition à sa présence parmi nous le fait que nous nous réunissions et que nous nous entendions, et alors nous pourrons « demander à Dieu quoi que ce soit et nous l’obtiendrons ! » nous dit-il. Et bien F&S, pourquoi ne pas passer de la « correction fraternelle » à la « compassion fraternelle » en confiant au Seigneur celles et ceux qui ne se sentent pas dignes de partager notre communauté ?

Voilà donc ce que doit être l'Église ; pas d'abord l'Église universelle, mais déjà l'Église implantée ici, qui doit réaliser cette entente. Celui qui dit : " Moi, j'ai ma religion pour moi " a peut-être une attitude religieuse, mais ce n'est pas la religion chrétienne. En Église, notre destin personnel dépend du collectif que nous formons, et réciproquement. Plus j'essaie d'être chrétien généreux, ouvert, capable de " lier et de délier ", c'est-à-dire de créer des liens affectifs, des liens de solidarité entre hommes libres et libérés, plus la communauté grandit et s'en trouve embellie. Et réciproquement : plus la communauté est vivante, fraternelle,… plus les individus qui la composent vont trouver ici leur bonheur, leur possibilité de s'épanouir, de réussir leur vie... et bien sûr, pas seulement à l’occasion d’une réunion rituelle, lors de la messe du dimanche ou d’une célébration quelconque, mais dans leur vie tout entière.

Oui F&S, c'est tout l'enjeu des propos de Jésus aujourd’hui : la recherche d’une vie communautaire, ecclésiale, pleinement fraternelle, car nous sommes d’un seul tenant, solidaires. Le Christ est le milieu, le centre de la communauté, lieu de convergence et de communion ; Dieu est AVEC nous et Il n’est avec moi que si je fais partie du NOUS.

Amen !


Patrick JAVANAUD, diacre permanent

10 septembre 2023




Sommaire année A
Accueil