Dans l’évangile que nous lisons aujourd’hui, Matthieu nous parle
de l’Eglise. Ce petit
passage est
inséré au cœur du plus petit chapitre de son Evangile, le seul chapitre
qui
nous donne des indications concernant le « collectif » que forment
tous
ceux qui sont disciples du Christ. Que nous dit ce chapitre 18, dont
notre
passage est le cœur ? Il parle d’abord de l’accueil des petits, ensuite
de
l’acceptation des autres, puis de la prière de la communauté et enfin du
pardon
continuel. Concernant le « collectif », Jésus ne donne aucune
indication sur des structures à mettre en place ; il n’a laissé
aucune instruction
sur une éventuelle hiérarchie ou même une amorce d’organisation
d’Eglise. Seul
compte, pour lui, un certain esprit
de
fraternité, basé sur le fait que nous avons tous un Père commun : Dieu ; voilà l’origine de ce qui nous
lie, qui nous rend dépendants les uns des autres.
Donc,
simplement quelques rares consignes,
d’autant plus importantes qu’elles sont rares. Essayons d’entrer dans le
propos
de Jésus : il avait dit à Pierre – nous l’avons entendu il y a 2
semaines
– « Tout ce que tu lieras sur la
terre
sera lié dans le ciel ; tout ce que tu délieras sur la terre sera
délié dans le
ciel ». Voilà qu’aujourd’hui, il reprend les mêmes propos en
s’adressant
cette fois à l’ensemble des disciples – tout
ce
que VOUS lierez, tout ce que VOUS délierez – ce qui revient à dire
que
Dieu lui-même ratifiera les décisions et les choix que nous serons
amenés à
faire collectivement.
Alors,
il nous
dit : pour arriver à vivre en frères, il y a des conditions nécessaires
et
l'une de ces conditions, c'est ce qu'on appelait autrefois la "correction
fraternelle" :
« Si ton frère a commis un
péché
contre toi, va lui faire des reproches seul à seul (...) S’il ne
t’écoute pas,
prends en plus avec toi une ou deux personnes (…) S’il refuse de les
écouter,
dis-le à l’assemblée de l’Église. ». C'est là que, pour nous,
le propos
de Jésus devient difficile ; en effet, si mon frère fait quelque
chose qui
me semble mal, ma tentation première n’est-elle pas de considérer que
cela le
regarde, qu’il a sa conscience pour lui, à lui de se débrouiller avec
elle ?
De là à aller le trouver ! Ce qu'on fait de mal ou de bien, c'est
d'abord une
affaire de relation personnelle avec Dieu ; il a sa conscience,
j’ai la
mienne, ma relation à Dieu ne regarde que moi : je suis responsable de
MA vie,
pas de celle des autres... Jésus n'a-t-il pas dit : " Ne jugez pas ! " et aussi : " Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton voisin, alors
que tu ne vois pas la poutre qui est dans ton œil " ou encore
lorsqu’il
s’adresse aux pharisiens qui lui présentaient la femme adultère : « Eh
bien, que celui qui est sans péché lui
jette la première pierre » ? Alors, de quel droit
pourrais-je me
permettre de lui faire des remarques ?
Or
justement,
nous le savons bien : faire
la
morale à quelqu’un suppose beaucoup d’amour ; cela suppose
que je suis
même prêt à me faire haïr pour qu’il ait une chance de rectifier sa
route et
que j’accepte à mon tour qu’il me critique pour mes actes. N’est-ce pas
ce que nous
vivons nous les parents avec nos enfants, ce que vivent les éducateurs
en lien
avec celles et ceux qui leur sont confiés, les employeurs avec leur
personnel, les
prédicateurs vis-à-vis de la communauté… ? Alors, pourquoi ces
consignes
difficiles à mettre en pratique ?
Et
bien
F&S, pour nous épargner les écueils d’une conception individualiste
de la
vie - que nous rencontrons hélas fréquemment dans notre monde
d’aujourd’hui -
Jésus lui substitue une conception communautaire, une conception ecclésiale : nous sommes aussi responsables des
autres. La première lecture nous rappelle que Dieu l’avait déjà
dit au
prophète Ézéchiel, qu’il avait instauré « guetteur
pour
la maison d’Israël ». Pas de doute : aux yeux de Dieu, chacun
de nous est responsable de ses
frères et de ses sœurs !
L'Évangile
de
ce jour nous rappelle vigoureusement que le christianisme est une religion
de
la communauté. On ne peut
pas
être chrétien tout seul ; on ne peut pas réussir sa vie tout
seul ; on
ne peut pas fortifier notre propre personnalité sans une relation aux
autres.
Notre accès à Dieu et par conséquent notre vérité, notre joie de vivre,
tout,
absolument tout, se joue dans la manière dont nous nous relions aux
autres.
Dans ce chapitre de l'Évangile consacré à l'Église, Jésus nous rappelle
que
l'homme ne peut exister réellement que par ses liens. "Dieu
créa l'homme à son image" lisons-nous
au commencement de la Bible ; image de Dieu, je le suis
particulièrement
par le fait que je suis un être
en
relation.
Il
y a donc Église quand
« deux ou trois sont réunis
en mon nom » ;
même pas : il suffit que « deux
d'entre
vous s'entendent ». Quand des hommes "s'entendent",
"se réunissent" au nom du Christ, alors ils sont en communication, en
communion. Et c'est parce que notre
vocation d'homme est d'être ensemble que nous ne pouvons nous
désintéresser de
ce que fait notre frère.
"
Quand deux ou trois sont réunis en
mon nom,
je suis là au milieu d'eux." Pour Jésus, c'est essentiel : il faut
dépasser nos tentations individualistes et parvenir à une mentalité communautaire. Nous, disciples du Christ, ne devons
former qu'un seul corps, une seule famille (Jésus parle de " frères
"). Nous sommes donc, de par notre vocation de baptisés, solidaires
les uns des autres. Notre
relation à Dieu n’existe pas authentiquement dans un seul à seul avec
lui ; notre foi se vit
toujours à
l’intérieur de notre relation aux autres. Ce n’est pas une
contrainte, bien
au contraire, c’est une libération ; si nous recherchons ce type de
relation, nous serons allégés de toutes nos complications, de nos
doutes, de
notre solitude. Il s’agit d’apprendre
à
vivre en communion ; Jésus met comme condition à sa présence
parmi
nous le fait que nous nous réunissions et que nous nous
entendions,
et alors nous pourrons
« demander à
Dieu quoi que ce soit et nous l’obtiendrons ! » nous
dit-il. Et
bien F&S, pourquoi ne pas passer de la « correction
fraternelle »
à la « compassion fraternelle » en confiant au Seigneur celles
et
ceux qui ne se sentent pas dignes de partager notre communauté ?
Voilà
donc ce
que doit être l'Église ;
pas
d'abord l'Église universelle, mais déjà l'Église implantée ici,
qui doit
réaliser cette entente. Celui qui dit : " Moi, j'ai ma religion pour moi
" a peut-être une attitude religieuse, mais ce n'est pas la religion
chrétienne. En Église, notre destin personnel dépend du collectif que
nous
formons, et réciproquement. Plus j'essaie d'être chrétien
généreux,
ouvert, capable de " lier et de
délier ", c'est-à-dire de créer
des
liens affectifs, des liens de
solidarité entre hommes libres et libérés, plus la communauté
grandit et
s'en trouve embellie. Et réciproquement : plus la communauté est
vivante,
fraternelle,… plus les individus qui la composent vont trouver ici leur
bonheur, leur possibilité de s'épanouir, de réussir leur vie... et bien
sûr, pas
seulement à l’occasion d’une réunion rituelle, lors de la messe du
dimanche ou
d’une célébration quelconque, mais dans leur vie tout entière.
Oui
F&S, c'est
tout l'enjeu des propos de Jésus aujourd’hui : la recherche d’une
vie communautaire, ecclésiale, pleinement
fraternelle, car nous sommes
d’un
seul tenant, solidaires. Le
Christ
est le milieu, le centre de la communauté, lieu de convergence et de
communion ;
Dieu est AVEC nous et Il n’est avec moi que si je fais partie du NOUS.
Amen !
Patrick JAVANAUD, diacre permanent
10 septembre 2023