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20° dimanche ordinaire.

Is 56, 1.6-7/Ps 66/Rm 11, 13-15.29-32/Mt15, 21-28


La semaine dernière, j’ai eu la grande chance, au cœur de mes vacances, de pouvoir me rendre à Lourdes pour y rejoindre le Festival de la St Laurent. Ce rassemblement organisé par le Secours catholique et le réseau Saint-Laurent, a réuni plus de 1 200 participants, dont la moitié, personnes en situation de précarité, invitées à vivre la fraternité, à la partager de manière festive, active et participative. Ce beau moment, dans la vie de notre Église de France, marquait aussi le 10ème anniversaire du grand rassemblement Diaconia 2013. Nous étions quelques-uns, du diocèse de Nantes, avec notamment un petit groupe de colocataires des Maisons Lazare. Ce fut une magnifique occasion, en particulier le 10 aout, jour de la fête de St Laurent, Saint patron des diacres, de rappeler ce que ce diacre des 1ers temps de l’Église avait répondu à l’empereur, qui le sommait, pour lui épargner la mort, de lui remettre les trésors de l’Église. Laurent avait alors rassemblé, sur la place Cosmédine de Rome, tout ce que la ville comptait de miséreux, d’étrangers, d’estropiés, les blessés de la vie et avait déclaré à l’empereur en lui montrant cette assemblée de pauvres : « Les richesses de l’Église, les voici, et elles ne cessent de croître ». Cette réponse lui valut d’être supplicié, avec son évêque et il devint un martyre de l’Église que nous célébrons le 10 août.

Ce moment fondateur, que nous avons commémoré à Lourdes la semaine dernière, n’est pas sans lien avec l’Évangile de ce dimanche et il fait écho à ce texte qui nous interpelle sur au moins 3 points d’une importance capitale, dans la vie de Jésus, et pour notre vie de chrétiens d’aujourd’hui. En effet, il montre la façon dont Jésus est interpelé par cette femme, une étrangère, une pauvre, la façon, dont, tout d’abord il lui répond avant d’opérer une spectaculaire volte-face, et la façon dont nous sommes invités à faire une place à table à celles et ceux qui se sentent exclus, qui n’ont pas voix au chapitre.

 

Ce qui me frappe, en 1er lieu, est la façon dont cette femme s’adresse à Jésus et le moment où elle le fait. En effet dans l’Évangile, cette rencontre se situe à un moment que l’on pourrait qualifier de critique. Jésus vient d’apprendre la mort brutale de son cousin, Jean Baptiste, décapité sur l’ordre du Roi Hérode. Il se retire alors à l’écart, en un endroit désert, sans doute pour lui permettre d’encaisser cet épisode violent et douloureux. Mais la foule le suit, le rejoint, et Jésus, saisi de compassion, se met à guérir leurs malades et, le soir venu, les voyant sans ressources, il réalise là un de ses miracles les plus spectaculaires. Il multiplie les pains permettant de nourrir environ 5000 personnes, et avec les morceaux, on remplit encore 12 corbeilles. Puis il se retire, encore plus loin, dans la région de Tyr et de Sidon, zone que l’on pourrait qualifier de périphérie de la Palestine juive. Sans doute éprouve-t-il de nouveau le besoin de se retirer dans le secret de la prière, de retrouver son Père. Jésus nous donne, à ce moment-là, l'impression d'être le modèle de l'homme complet : l'homme de charité et l'homme de prières. Et voilà qu’il est subitement dérangé, voire agressé par une femme, appelée cananéenne chez Matthieu, et syro-phénicienne chez Marc. Autrement dit, une étrangère, une exclue pour le peuple élu. Elle doit être particulièrement pénible car les disciples eux-mêmes demandent au Christ de la renvoyer. Cela me fait penser à toutes ces personnes pauvres, malmenées par la vie, qui, souvent, ont du mal à entrer en relation. A ce côté parfois agressif, souvent agaçant, avec lequel elles peuvent nous interpeler. Cette femme, étrangère, en situation de fragilité du fait de la maladie qui frappe sa fille, ne prend pas de gants pour interpeler le Christ, elle le dérange, elle le bouscule, le déstabilise. Mais au fond, qu’a-t-elle réellement à perdre…

 

Ce qui me frappe alors, c’est la réaction de Jésus. Voilà qu’il a une attitude, pour nous très déconcertante, il réagit presque violemment, alors que nous avions l’habitude de le voir doux et humble de cœur. Il répond qu’il est venu pour les fils d’Israël et qu’il n’est pas venu pour ce genre de personnes, qu’il compare à des chiens. Il a des propos presque diffamatoires, cela pourrait s’apparenter, en termes d’aujourd’hui, à l’expression d’une sorte de « préférence nationale ». C’est violent. Mais la femme le prend au mot et lui dit que, même les chiens, ont droit aux miettes qui tombent de la table de leur Maître. Cette répartie frappe Jésus. De manière très forte. Car alors, et c’est totalement inattendu, comme pris d’une soudaine révélation, il l’écoute, il accède à sa demande, et il guérit sa fille. On se dit, à juste titre, qu’elle a bien fait d’insister. Et on voit alors s’opérer, de manière spectaculaire, une véritable conversion de Jésus. D’ailleurs, dans la foulée, Jésus opère un 2nd miracle de multiplication des pains. Et, cette fois, après avoir rassemblés les morceaux qui restent, ce ne sont pas 12 paniers que l’on remplit, mais 7. Cette différence est fondamentale. 12, c’est le nombre qui caractérise le peuple élu, le peuple juif, celui des 12 tribus d’Israël. 7, c’est celui qui, dans l’écriture, évoque les notions de pleine réalisation, de complétude, de perfection. Saint Irénée parle « d’accomplissement ». On réalise que cet épisode de la rencontre, rugueuse, avec la cananéenne, figure de pauvre de son époque, a aidé à une conversion de Jésus qui, sans doute, à partir de ce moment-là, envisage sa mission de manière radicalement nouvelle. Non pas uniquement tournée vers les « élus », vers ceux de l’intérieur, le peuple juif, mais vers le monde entier, en particulier ses périphéries, en commençant par celles où sont rejetées toutes ces personnes qui restent derrière la porte, loin de la table. La religion à laquelle nous invite Jésus n’est pas celle du repli identitaire, de l’entre soi, mais celle de l’ouverture, du partage, de l’accueil de l’autre, en particulier de l’étranger, du tourmenté, du pénible. Et ça change tout.

En tant que diacre, lorsque tout à l’heure, après la communion, je ramasserai les petites miettes pour nettoyer la patène et le calice, je penserai à toutes ces cananéenne ou syro phéniciennes, toutes ces personnes qui ont du mal à trouver leur place dans la communauté chrétienne. De nombreuses personnes arrivent aux portes de l’Église en miettes, elles n’arrivent même pas à raccrocher tous les morceaux de leur existence, elles ont parfois du mal à relationner de manière normale parce que dans leur vie tout est cassé, tout est en miettes. Alors elles peuvent nous donner le sentiment de nous agresser, ou pire, se tenir éloignées de la table. Mais Jésus, dans son Évangile, nous a enseigné l’Eucharistie comme sacrement de l’ouverture et du partage. Il nous invite à agrandir la table, à mettre les rallonges, à vivre le vrai partage avec toutes les miettes de l’existence, y compris celles qui, parfois, tombent à terre. A partager avec toutes les cananéenne et syro-phénicienne qui seront, elles aussi, convoquées, un jour, à la table du Seigneur. Puissions-nous ne pas l’oublier, et, surtout, le mettre en pratique.


Olivier RABILLOUD, diacre permanent

Pont St Martin – Rezé St Vincent de Paul – 20 Aout 2023

 

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