La semaine dernière, j’ai eu
la
grande chance, au cœur de mes vacances, de pouvoir me rendre à Lourdes
pour y
rejoindre le Festival de la St Laurent. Ce rassemblement organisé par le
Secours catholique et le réseau Saint-Laurent, a réuni plus de 1 200
participants, dont la moitié, personnes en situation de précarité,
invitées à
vivre la fraternité, à la partager de manière festive, active et
participative.
Ce beau moment, dans la vie de notre Église de France, marquait aussi le
10ème
anniversaire du grand rassemblement Diaconia 2013. Nous étions
quelques-uns, du
diocèse de Nantes, avec notamment un petit groupe de colocataires des
Maisons
Lazare. Ce fut une magnifique occasion, en particulier le 10 aout, jour de
la
fête de St Laurent, Saint patron des diacres, de rappeler ce que ce diacre
des
1ers temps de l’Église avait répondu à l’empereur, qui le sommait, pour
lui
épargner la mort, de lui remettre les trésors de l’Église. Laurent avait
alors
rassemblé, sur la place Cosmédine de Rome, tout ce que la ville comptait
de
miséreux, d’étrangers, d’estropiés, les blessés de la vie et avait déclaré
à
l’empereur en lui montrant cette assemblée de pauvres : « Les richesses de
l’Église,
les voici, et elles ne cessent de croître ». Cette réponse lui valut
d’être
supplicié, avec son évêque et il devint un martyre de l’Église que nous
célébrons le 10 août.
Ce moment fondateur, que
nous
avons commémoré à Lourdes la semaine dernière, n’est pas sans lien avec
l’Évangile
de ce dimanche et il fait écho à ce texte qui nous interpelle sur au moins
3
points d’une importance capitale, dans la vie de Jésus, et pour notre vie
de
chrétiens d’aujourd’hui. En effet, il montre la façon dont Jésus est
interpelé
par cette femme, une étrangère, une pauvre, la façon, dont, tout d’abord
il lui
répond avant d’opérer une spectaculaire volte-face, et la façon dont nous
sommes invités à faire une place à table à celles et ceux qui se sentent
exclus, qui n’ont pas voix au chapitre.
Ce qui me frappe, en 1er
lieu,
est la façon dont cette femme s’adresse à Jésus et le moment où elle le
fait.
En effet dans l’Évangile, cette rencontre se situe à un moment que l’on
pourrait qualifier de critique. Jésus vient d’apprendre la mort brutale de
son
cousin, Jean Baptiste, décapité sur l’ordre du Roi Hérode. Il se retire
alors à
l’écart, en un endroit désert, sans doute pour lui permettre d’encaisser
cet
épisode violent et douloureux. Mais la foule le suit, le rejoint, et
Jésus,
saisi de compassion, se met à guérir leurs malades et, le soir venu, les
voyant
sans ressources, il réalise là un de ses miracles les plus spectaculaires.
Il
multiplie les pains permettant de nourrir environ 5000 personnes, et avec
les
morceaux, on remplit encore 12 corbeilles. Puis il se retire, encore plus
loin,
dans la région de Tyr et de Sidon, zone que l’on pourrait qualifier de
périphérie de la Palestine juive. Sans doute éprouve-t-il de nouveau le
besoin
de se retirer dans le secret de la prière, de retrouver son Père. Jésus
nous
donne, à ce moment-là, l'impression d'être le modèle de l'homme complet :
l'homme de charité et l'homme de prières. Et voilà qu’il est subitement
dérangé, voire agressé par une femme, appelée cananéenne chez Matthieu, et
syro-phénicienne chez Marc. Autrement dit, une étrangère, une exclue pour
le
peuple élu. Elle doit être particulièrement pénible car les disciples
eux-mêmes
demandent au Christ de la renvoyer. Cela me fait penser à toutes ces
personnes
pauvres, malmenées par la vie, qui, souvent, ont du mal à entrer en
relation. A
ce côté parfois agressif, souvent agaçant, avec lequel elles peuvent nous
interpeler. Cette femme, étrangère, en situation de fragilité du fait de
la
maladie qui frappe sa fille, ne prend pas de gants pour interpeler le
Christ,
elle le dérange, elle le bouscule, le déstabilise. Mais au fond,
qu’a-t-elle
réellement à perdre…
Ce qui me frappe alors,
c’est la
réaction de Jésus. Voilà qu’il a une attitude, pour nous très
déconcertante, il
réagit presque violemment, alors que nous avions l’habitude de le voir
doux et
humble de cœur. Il répond qu’il est venu pour les fils d’Israël et qu’il
n’est
pas venu pour ce genre de personnes, qu’il compare à des chiens. Il a des
propos presque diffamatoires, cela pourrait s’apparenter, en termes
d’aujourd’hui, à l’expression d’une sorte de « préférence nationale ».
C’est
violent. Mais la femme le prend au mot et lui dit que, même les chiens,
ont
droit aux miettes qui tombent de la table de leur Maître. Cette répartie
frappe
Jésus. De manière très forte. Car alors, et c’est totalement inattendu,
comme
pris d’une soudaine révélation, il l’écoute, il accède à sa demande, et il
guérit sa fille. On se dit, à juste titre, qu’elle a bien fait d’insister.
Et
on voit alors s’opérer, de manière spectaculaire, une véritable conversion
de
Jésus. D’ailleurs, dans la foulée, Jésus opère un 2nd miracle de
multiplication
des pains. Et, cette fois, après avoir rassemblés les morceaux qui
restent, ce ne
sont pas 12 paniers que l’on remplit, mais 7. Cette différence est
fondamentale. 12, c’est le nombre qui caractérise le peuple élu, le peuple
juif, celui des 12 tribus d’Israël. 7, c’est celui qui, dans l’écriture,
évoque
les notions de pleine réalisation, de complétude, de perfection. Saint
Irénée
parle « d’accomplissement ». On réalise que cet épisode de la rencontre,
rugueuse, avec la cananéenne, figure de pauvre de son époque, a aidé à une
conversion de Jésus qui, sans doute, à partir de ce moment-là, envisage sa
mission
de manière radicalement nouvelle. Non pas uniquement tournée vers les «
élus »,
vers ceux de l’intérieur, le peuple juif, mais vers le monde entier, en
particulier ses périphéries, en commençant par celles où sont rejetées
toutes
ces personnes qui restent derrière la porte, loin de la table. La religion
à
laquelle nous invite Jésus n’est pas celle du repli identitaire, de
l’entre
soi, mais celle de l’ouverture, du partage, de l’accueil de l’autre, en
particulier de l’étranger, du tourmenté, du pénible. Et ça change tout.
En tant que diacre, lorsque tout à l’heure, après la communion, je ramasserai les petites miettes pour nettoyer la patène et le calice, je penserai à toutes ces cananéenne ou syro phéniciennes, toutes ces personnes qui ont du mal à trouver leur place dans la communauté chrétienne. De nombreuses personnes arrivent aux portes de l’Église en miettes, elles n’arrivent même pas à raccrocher tous les morceaux de leur existence, elles ont parfois du mal à relationner de manière normale parce que dans leur vie tout est cassé, tout est en miettes. Alors elles peuvent nous donner le sentiment de nous agresser, ou pire, se tenir éloignées de la table. Mais Jésus, dans son Évangile, nous a enseigné l’Eucharistie comme sacrement de l’ouverture et du partage. Il nous invite à agrandir la table, à mettre les rallonges, à vivre le vrai partage avec toutes les miettes de l’existence, y compris celles qui, parfois, tombent à terre. A partager avec toutes les cananéenne et syro-phénicienne qui seront, elles aussi, convoquées, un jour, à la table du Seigneur. Puissions-nous ne pas l’oublier, et, surtout, le mettre en pratique.
Pont St Martin – Rezé St Vincent de Paul – 20 Aout 2023