19° dimanche ordinaire.
En
écoutant les lectures de ce dimanche, on pourrait se demander quel
rapport il peut y avoir entre l’histoire du prophète Elie racontée dans
la première lecture, et cet épisode de l’évangile où Jésus rejoint ses
disciples en marchant sur l’eau. Ces deux récits sont sans doute parmi
les plus connus, mais pourquoi l’Eglise nous propose-t-elle aujourd’hui
d’écouter ensemble ces deux textes ?
L’évangile que nous lisons aujourd’hui est la suite immédiate du
passage de dimanche dernier, où Jésus avait multiplié les pains pour
une très grande foule. Nous lisons aujourd’hui qu’aussitôt après, il
ordonne aux disciples de s’en aller par le lac pendant que lui
renverrait les foules. Etonnant, non ? Pourquoi cet empressement à
éloigner ses disciples de la foule ? Cette foule, c’est celle qui
vient de vivre un grand miracle, qui a reçu à manger en abondance,
nourris par la puissance d’un seul homme. Tous ces gens veulent faire
de cet homme leur roi, un chef politique puissant qui chassera
l’occupant romain et rétablira le royaume d’Israël. L’enthousiasme de
cette foule est grand. Nous pouvons avoir une idée de ce qu’est
l’enthousiasme d’une foule, nous qui vivons dans une époque où les
rassemblements de foules sont si fréquents, que ce soit pour des
événements sportifs, culturels ou sociaux. Nous connaissons aussi le
danger potentiel de ces rassemblements, avec les débordements parfois
dramatiques qu’ils favorisent. Jésus veut justement éviter à ses
disciples de vivre ces débordements. Le temps de leur formation n’est
pas encore arrivé à son terme, ils ne sont pas encore prêts. Il veut
les préserver de ces phénomènes de foules qui nous font parfois perdre
la raison en suivant un mouvement presque malgré nous. Rappelons-nous
que c’est cette même foule qui criera, quelques temps plus tard,
« crucifie-le ! » entraînée par seulement quelques
meneurs. Jésus décide donc d’éloigner ses disciples immédiatement. Il
leur commande de passer sur l’autre rive. Quant à lui, il se charge de
renvoyer les gens, de disperser la manifestation. Puis il s’en va à son
tour, mais seul, à l’écart, dans la montagne, pour prier. Comme le
prophète Elie, dans la première lecture, s’était enfui dans la
montagne, lieu symbolique où Dieu rejoint l’homme. Dans les évangiles,
chaque fois qu’on lit que Jésus s’éloigne pour prier, c’est qu’il va se
passer quelque chose de très important. Pendant ce temps-là, ses
disciples sont dans la nuit, seuls et désemparés dans la barque
chahutée par les vents contraires. Combien de fois n’avons-nous pas
nous-même vécu ces moments d’angoisse, dans la nuit de nos
doutes ; ces moments où les événements menacent de nous
déstabiliser, où la marche du monde nous fait craindre le pire. Ces
moments où la souffrance nous fait vaciller, ces instants où la peur
nous aveugle, où le découragement nous anéantit. Quand nous nous
croyons seuls sur notre barque face à des vents contraires, que la nuit
nous paraît interminable, et que nous nous mettons à penser « où
es-tu, mon Dieu ? ». Comme Il nous semble loin, dans ces
moments-là ! Comme Il nous semble indifférent à nos malheurs, à
nos difficultés. Il nous accompagne pourtant dans notre barque, nous
qui le croyons absent, resté sur les rives du lac. Et quand, au beau
milieu de la traversée, au cœur de nos angoisses, nous l’apercevons
enfin, nous avons souvent du mal à le reconnaître. Alors, comme les
disciples, la peur nous fait pousser des cris. Il faut qu’il nous
rassure, qu’il nous parle : « Confiance ! C’est
moi ; n’ayez pas peur ! » Mais le doute reste le plus
fort, et nous avons besoin de preuves : « Seigneur, si c’est
bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau ! » En
effet, quand Dieu se manifeste, c’est toujours dans la discrétion,
alors que nous l’attendons dans des manifestations spectaculaires. Il
n’est pas dans l’ouragan ni dans le tremblement de terre ; il
n’est pas non-plus dans le feu, mais dans le murmure d’une brise
légère. Il n’est pas forcément là où on l’attendrait. Pourtant, si nous
sommes vigilants, il nous sera plus aisé de le reconnaître. Qu’a-t-il
été dit au prophète Elie ? « Sors dans la montagne, et
tiens-toi devant le Seigneur, car il va passer ». C’est grâce à
cette attitude d’attente qu’il va pouvoir le reconnaître lorsqu’il
passera. A son époque, les dieux païens étaient censés être annoncés
par la violence et la force des éléments : l’ouragan, le
tremblement de terre, le feu… Mais Elie ne s’y est pas trompé. C’est
bien dans le murmure de la brise légère qu’il a reconnu son Dieu, notre
Dieu, le seul vrai Dieu. Celui qui vient à pas feutrés, sans s’imposer
à notre regard, sans bousculer nos libertés. Il vient et il nous
appelle à quitter la barque pour le rejoindre. Mais avec ce vent qui ne
cesse de nous tourmenter, ce vent de nos habitudes, de nos penchants,
de nos douleurs, de notre incrédulité, le vertige nous prend, et la
peur de sombrer. C’est alors que nous osons crier, avec Pierre :
« Seigneur, sauve-moi ! ». Alors, aussitôt, Jésus nous
tend la main et nous saisit en disant : « enfin ! Tu
crois ! Pourquoi as-tu attendu si longtemps avant de t’ouvrir
à moi ? Pourquoi as-tu douté ? » Et aussitôt, le vent
tombe ! Tout ce qui nous effrayait disparaît avec les yeux de la
foi. La confiance retrouvée nous fait proclamer notre foi avec les
apôtres de la barque qui se prosternent devant Lui : « vraiment,
tu es le fils de Dieu ! ». Et nous pouvons l’adorer sans
détourner notre regard, nous pouvons nous tenir devant lui sans avoir
besoin de nous couvrir le visage avec notre manteau, contrairement à
Elie qui redoutait de voir Dieu face à face.
Oui, en réalité ces textes nous disent la même chose, avec des mots
différents, car ils s’adressent à des auditeurs différents, dans un
contexte différent, dans deux époques éloignées de neuf siècles. Ils
nous disent toujours la même chose aujourd’hui, encore vingt siècles
plus tard : ce Dieu qui se révèle à ceux qui le cherchent est un
Dieu de douceur, qui respecte notre liberté. Il ne s’impose pas à nous,
il compte sur notre adhésion. Il ne nous abandonne pas, au contraire il
nous tend la main pour nous sauver. Il ne dépend que de nous de la
saisir, dans la confiance en son amour infini, dans l’espérance de ce
salut qu’il nous offre simplement parce qu’il nous aime.
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent.
Monnières, St Hilaire de Clisson, St Lumine de Clisson,
7 août 2011
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