Après les semailles de la semaine dernière,
voici, à présent venu le temps de la levée des tiges de blé ! On ne
chôme pas
dans les champs du Seigneur ! Jésus poursuit son sermon à la foule,
massée au
bord de la mer, sermon qu’il a commencé en utilisant le mode de la
parabole. Et
il garde le thème de la culture céréalière pour essayer de faire
comprendre, à
un peuple qu’il juge peu enclin à écouter, des aspects absolument
cruciaux de
la Bonne nouvelle de son père qu’il est venu annoncer sur terre. Dans ce
passage,
qui suit celui des graines dont la destinée est bien variable selon la
manière
dont elles sont accueillies, il utilise l’image du bon grain et de
l’ivraie. On
comprend très vite qu’il veut évoquer les notions de « bien » et de «
mal ».
L’ivraie est une plante redoutée des cultivateurs, une mauvaise herbe
qu’en
grec on nomme « zizanion », ce qui signifie, en gros, « division ». En
effet,
l’ivraie crée la zizanie dans les champs, et c’est donc un symbole bien
choisi
pour évoquer ce qui vient semer le trouble et menacer le bon
développement des
bonnes tiges, et donc le succès de la récolte !
Encore aujourd’hui, les stratégies de lutte
contre l’ivraie demandent des efforts, accrus avec l’abandon, dont on ne
peut
que se réjouir, des solutions purement chimiques, telles que le
glyphosate. Et
dans la parabole de Jésus, les serviteurs décident de mettre en œuvre
les
grands moyens en proposant d’aller dans le champ éradiquer la menace.
Mais la
réponse du maître, qui, dans l’histoire, représente Dieu lui-même a
presque de
quoi surprendre, même si elle a une certaine logique : « Non, en
enlevant
l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps ».
En entendant et en lisant ce texte, je me
suis longtemps dit qu’il était là question de distinction entre les
Femmes et
les hommes de bien, d’un côté, et celles et ceux qui choisissent le mal
de
l’autre. Et que Jésus, par la réponse qu’il prête au Maître de la
moisson,
voulait dire que Dieu se refusait à intervenir, avant l’heure de la fin
des
temps, et nous laissait le soin de nous débrouiller pour faire pousser
le bien,
au milieu du mal qui est, malheureusement, si présent en notre monde.
Mais en
reprenant ce texte pour préparer mon homélie, je me suis rendu compte
qu’il y
avait sans doute une autre lecture possible.
Je me suis dit que Jésus, en parlant du
champ, n’évoquait peut-être pas la création humaine toute entière, mais
plutôt,
chacun de nous. Chacun de nous, en lequel cohabite, en permanence, un
mélange
de bien et de mal, qu’il est d’ailleurs souvent assez difficile de
démêler.
Nous sommes humains et nous sommes à chaque instant tiraillés entre la
tentation du péché et l’aspiration à la sainteté, que nous confère notre
baptême. Et ce tiraillement ne se finit pas toujours comme on le
voudrait. Cela
me rappelle cette phrase de St Paul « Le Bien que je voudrais faire, je
ne le
fais pas, le mal que je ne voudrais pas faire, je le fais » (Rm, 7). Et
oui,
nous sommes humains !
Mais notre créateur ne nous abandonne pas.
Le Livre de la Sagesse, dont nous avons lu un extrait en 1ère lecture,
le dit «
Il n’y a pas d’autre dieu que toi qui prenne soin de toute chose » On
pourrait
se permettre d’ajouter « et de tout être ». Notre créateur nous ouvre un
chemin, il veille sur son champ et nous donne de multiples occasions de
laisser
le bon grain prendre le dessus sur l’ivraie. Saint Paul, encore lui,
nous le
dit en début de 2ème lecture « L’Esprit Saint vient au secours de notre
faiblesse ». Et en effet, elles sont nombreuses les occasions où nous
choisissons le bien, plutôt que le contraire. A chaque fois que nous
essayons
de faire vivre autour de nous, la paix, plutôt que la division, la
fraternité
plutôt que l’exclusion. Oui, je le crois fermement, l’Esprit nous
inspire des
attitudes qui sont dignes du message de Jésus. Mais il nous appartient
de
décider de les mettre en œuvre, de les rendre concrètes. Une oreille
prêtée, un
sourire offert, une main tendue, un cœur ouvert, et alors le blé fait
reculer
l’ivraie. Comme baptisés, comme paroissiens, nous pouvons, nous devons,
nous
efforcer de nous mettre, à la suite de Jésus, au service du Bien, au
service de
nos frères et sœurs. Nous avons cette chance, dans notre communauté
paroissiale, d’en avoir tant de beaux exemples, ce ces beaux épis de blé
qui
enrichissent la moisson. Ces serviteurs, souvent discrets et pourtant
tellement
disponibles qui laissent en eux l’Esprit les pousser à répandre le bien.
Au
jour de la moisson, n’en doutons pas, ils rentreront dans le grenier du
Seigneur.
Et puis pour nous aider dans nos choix, et
nous permettre de pousser vers le Ciel, nous pouvons essayer de
regarder, dans
la personne de Jésus et dans ce que nous disent les textes, ce qu’est
vraiment
le Dieu en lequel nous croyons. Il n’y a qu’à reprendre quelques mots de
la
1ère lecture, du Livre de la Sagesse ; « tes jugements ne sont pas
injustes »,
« ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose », « tu
juges
avec indulgence », « après la faute tu accordes la conversion ». Qu’on
est
loin, et c’est un rappel toujours utile à faire, d’un Dieu punisseur,
d’un Dieu
vengeur, d’un Dieu arracheur. Que c’est encourageant de savoir que notre
créateur, qui nous connait, comme il nous a fait, nous regarde avec
miséricorde, lui qui est bon et qui nous pardonne, comme il nous est dit
dans
le psaume. En lisant ces mots, je pense à ce que, en tant que parent,
nous
essayons de vivre pour l’éducation de nos enfants. Comment l’Amour qu’on
a pour
eux nous conduit non pas à tout leur passer, à minimiser leurs écarts,
ce qui
ne serait pas une preuve d’amour mais une faute d’indifférence, mais à
les
soutenir pour les aider à ne pas perdre et, lorsque nécessaire à
retrouver, le
bon chemin. La vraie force, est de savoir juger avec indulgence. Sans
oublier
qu’indulgence, ne veut pas dire complaisance.
Nos vies sont ainsi, ni totalement bonnes,
ni totalement mauvaises. Des jours nous sommes épis de blé, et d’autres
nous
sommes plants d’ivraie. Et Dieu, qui nous aime infiniment, nous laisse
pousser
tels que nous sommes, avec notre bon côté et nos mauvais penchants. Il
nous
fait confiance, il nous guide avec sa parole donnée mais il refuse de
venir
faucher le mal au risque de blesser le bien. Notre Dieu n’est pas celui
de la
force brutale, il n’est pas celui qui arrache, qui fauche, qui coupe. Il
est
celui de la patience, qui sème avec Amour, laisse pousser avec bonté et,
à la
fin des temps, récoltera avec ménagement et indulgence. Il est celui qui
nous
enseigne que le juste doit être humain. Alors sachons lui ressembler,
soyons
surs de son Amour et donnons-lui, par nos vies justes et attentives aux
autres,
la belle moisson qu’il espère et qu’il attend de nous.
Olivier RABILLOUD, diacre permanent
Le 23 Juillet 2023
Pont St Martin – Rezé St Vincent de Paul